Au regard de ce que l’enseignement supérieur et la recherche scientifique représentent comme sources de progrès économique et social, il était attendu que les plus hautes autorités du pays leur donnent priorité en matière de financement, tout en accordant un statut social privilégié aux chercheurs et aux hommes de sciences, en général. Ça serait la meilleure preuve de leur détermination à mettre le cap sur la maîtrise des sciences et des technologies, à un niveau au moins comparable à celui des pays émergents.
L’Algérie a assurément les moyens de mieux structurer le monde de la recherche scientifique, pour peu que la volonté politique soit clairement affichée au plus haut niveau de la hiérarchie politique. Ce n’est malheureusement pas l’image que renvoient nos dirigeants, qui semblent plutôt travailler sournoisement, au maintien de la misère de ce secteur qui a pourtant beaucoup à apporter à notre pays. Comme si c’était une destinée qui lui est volontairement réservée, certains ministres de l’enseignement supérieur se sont même, lancés dans des déclarations franchement hostiles à la formation d’élites scientifiques de haut niveau. « L’université algérienne n’a pas besoin de prix Nobel » avait ouvertement déclaré un des ministres de l’enseignement supérieur de l’ère Bouteflika. Certes très choquante, cette déclaration ne fait en réalité, que traduire un état d’esprit franchement hostile d’une frange du pouvoir et de la société, à l’émergence d’élites scientifiques en Algérie. Elle n’en voit même pas l’utilité tant l’esprit est accaparé des préoccupations exclusivement matérielles. Le ministre en question a quitté depuis trois ans le gouvernement mais les deux autres qui lui ont succédé n’ont absolument rien apporté de nouveau à ce secteur qui poursuit inexorablement sa descente aux enfers.
Bien que plus nombreuses que par le passé, les universités croulent toujours sous le poids des sureffectifs et d’un enseignement au rabais, dispensé par des enseignants mal formés et sans moyens didactiques conséquents. La recherche scientifique, à laquelle l’Etat alloue un budget de misère (à peine 0,28% du PIB dont 92% du budget est destiné aux salaires et indemnités), continue a être le parent pauvre de l’enseignement supérieur. C’est le budget le plus bas d’Afrique dont la moyenne par pays, atteindrait 0,60% du PIB, selon une estimation publiée, il y a peu d’années, par l’UNESCO.
La modicité des crédits alloués aux activités de recherche exclut d’emblée, notre pays de la complétion scientifique et technologique internationale qui requiert un budget d’au minimum 2% du PIB, selon l’expert en économie, que nous avons interrogé sur la question.
De ce peu d’intérêt que nos décideurs ont de tout temps accordé à la recherche scientifique, a résulté de graves dysfonctionnements, dont certains sont porteurs de péril pour l’ensemble de la communauté universitaire. Les replâtrages effectués au gré des crises qui secouent périodiquement le secteur, n’ont en réalité contribué qu’à compliquer, chaque année un peu plus, la pratique de la recherche scientifique. Le problème est si profond, que le ministère concerné est aujourd’hui, incapable de mettre en valeur le potentiel national de recherche existant, d’édicter des politiques susceptibles de mettre fin au marasme qui la tire constamment vers le bas, ni même, de valoriser les quelques résultats positifs enregistrés jusque là. Et pour preuve, plus de 8000 thèses de doctorat attendent vainement d’être soutenues, pour certaines, depuis plus de 10 ans, selon l’estimation d’un haut cadre du ministère de l’enseignement supérieur, qui ne s’émeut même pas de l’extrême gravité du problème.
La déconnexion de la recherche scientifique, de l’environnement économique et social du pays perpétue par ailleurs, l’image détestable d’une Recherche sans impact concret sur le développement et la société algérienne. Ce ne sont pourtant pas les initiatives en matière de partenariat entre les entreprises et les universités, qui ont manqué, estime un chercheur du Cread. Des partenariats qui, pour diverses raisons, n’ont jamais pu aboutir. Beaucoup d’argent a été englouti dans des initiatives prometteuses mais, malheureusement, vite abandonnées.
L’éloignement des centres de recherche, pratiquement tous installés dans les grandes villes du nord du pays, altère encore davantage, cette image d’une recherche scientifique qui travaille en vase clos et ne développe aucune synergie avec les entreprises et autres centres d’intérêt, comme par exemples, l’agriculture, l’écologie et une multitude de faits sociaux qui posent problème en Algérie. A titre d’exemples aucune étude sociologique n’a été réalisé sur le phénomène des émeutes qui proliféraient en Algérie du temps du règne d’Abdelaziz Bouteflika, ni sur la dynamique sociale des Aarouchs qui drainaient pourtant des foules considérables en Kabylie, ni sur les manifestations colossales du Hirak encore d’actualité. Les ordres de ne pas réaliser ce genre de recherches sont ils venus du pouvoir ?
L’incapacité du gouvernement à promouvoir une recherche scientifique conforme aux changements qui s’opèrent un peu partout dans le monde, les quelques travaux qui ont pu être menés à terme, finissent bien souvent, dans les tiroirs ou les rayons de certaines bibliothèques universitaires sans laisser d’impact sur les objets d’études.
Coupée des réalités du pays et œuvrant en vase clos, la Recherche Scientifique semble pédaler dans le vide, sans jamais pouvoir apporter quelque chose de concret à la connaissance locale et, encore moins, à la science universelle. Même si la compétence de certains de nos chercheurs est avérée, les prouesses qu’ils réalisent souvent au prix d’immenses difficultés, restent méconnues, faute de médiatisation. Pour le commun des algériens, les universitaires algériens sont des « chercheurs qui ne trouvent rien ». Leur statut social se trouve de ce fait injustement dévalorisé.
Étant persuadés que c’est la coopération entre l’université et l’entreprise, qui pourrait donner un sens et une feuille de route effective à la recherche scientifique en trouvant ainsi matière à se développer utilement pour le pays, c’est précisément sur cet axe que les autorités politiques devraient déployer la Recherche en faisant une affaire d’Etat. Tous les pays émergents sans exception ont suivi cette voie pour moderniser leurs économies et leur environnement. Les problèmes de l’économie étant par nature multiformes, la recherche scientifique aura en permanence beaucoup à faire, pour mettre aux services des unités économiques, des applications, inspirées de diverses branches du savoir. C’est ainsi que progressera, tout en étant utile, ce moteur de la croissance qu’est la Recherche-Développement.
Pour que l’Algérie ne soit pas trop en retard sur le reste du monde, elle devra impérativement opérer une ouverture à l’international, en s’insérant autant que possible parmi les plus grands réseaux de recherche, au moyen des outils modernes de communication et des partenariats, pour la plupart déjà conclus mais très peu utilisés, avec les meilleures universités du monde. C’est à ces conditions seulement, que la recherche scientifique pourra sortir du gouffre, dans lequel les pouvoirs publics algériens l’ont fourvoyé, par ignorance ou par calculs.