Le général à la retraite Ali Ghediri, en détention depuis juin 2019 à la prison d’El Harrach d’Alger, a adressé, lundi 15 juin 2020, une lettre ouverte au président de la République, Abdelmadjid Tebboune.
Voici le texte intégral de la lettre relayée par le site Maghreb Émergent :
« Après une année de détention, l’on est venu me signifier, pour la quatrième fois consécutive, la prorogation, nonobstant la forme, de la durée de « confinement politique » auquel je suis soumis et désigné par euphémisme mandat de dépôt, cette mesure exceptionnelle que le législateur, conscient de l’usage abusif qui pourrait en être fait, a, par prévenance, soumise à des conditions strictes et bien définies. Et c’est précisément cet abus que je suis en train de subir dans ma chair, dans les geôles d’El Harrach au motif inavoué que ma présence sur la scène politique n’était pas sans incommoder certains décideurs.
Il en va ainsi, monsieur le Président de la République, dans tout pays où les garde-fous institutionnels font défaut ; sans de telles conditions, les ressentiments personnels et les ambitions inhibent les consciences et laissent libre cours à l’omnipotence pour s’imposer aux lieu et place des lois et règlements régissant l’ordre républicain. Il devient alors loisible aux maîtres du moment d’instrumentaliser les institutions et les organismes de l’Etat et d’en soumettre le fonctionnement à leur seul bon vouloir.
Telle est la vérité, monsieur le Président. Et ce serait, en effet, attenter à la compétence et à l’intégrité du corps des magistrats que d’admettre qu’il puisse s’agir d’une décision judiciaire prise sur la base de faits et charges dûment établis. C’est d’une décision éminemment politique dont il s’agit car seule la politique se considère, quand elle est pratiquée dans de pareilles conditions, aux règles morales, non tenue. De la sorte, d’honorables citoyens, serviteurs toute une vie durant de l’Etat, autant moralement intègres que patriotes engagés, se retrouvent arbitrairement taxés de traîtres à la Nation et, par la seule omnipotence des décideurs, sont jetés sans preuve aucune en pâture à la vindicte populaire, coupables de crimes qui n’ont d’existence que dans l’imaginaire des commanditaires.
Les charges les plus dénuées de sens et les plus irréelles sont alors avancées pour servir d’habillage juridique à une accusation qui prend racine dans le terreau fertile des pulsions individuelles, des calculs de basse politique et du besoin vital de satisfaire certains égos hypertrophiés n’obéissant qu’à leurs instincts. Dans de pareils cas, l’avis contraire est perçu comme forcément subversif et tout opposant politique comme traître en puissance ; il en a été ainsi de ma candidature aux élections présidentielles avortées du 18 avril 2019: un droit citoyen appréhendé, par les décideurs du moment, comme un crime de lèse-majesté, une outrecuidance, un défi à leur suprême autorité en tant que gardiens autoproclamés du temple. Ils ne pouvaient ni ne sauraient admettre cette manière d’envisager la politique. Ils ont trouvé en mes positions contre le cinquième mandat et en mon engagement ferme et résolu pour une nette rupture avec le système en place prétexte pour m’accabler d’accusations d’extrême gravité relevant de la haute trahison.
C’est partant de ces seules considérations que s’est montée la cabale contre ma personne à laquelle les charges contenues dans mon dossier font figure de couverture judiciaire éhontée à des fins politiques et personnelles. Un véritable montage de mensonges grotesques et sans intelligence aux relents de règlement de comptes dans le seul but de me salir et me tenir éloigné du processus des élections présidentielles. Pour ce faire, les décideurs ont pêché par excès de confiance en la puissance que leur offrait la conjoncture qu’ils pensaient éternelle et, à ce titre, à même de forcer à leur seul profit les portes de l’histoire afin qu’elle soit écrite à leur guise.
Par devers leurs certitudes, les générations à venir retiendront -dans le détail parce que l’histoire obéit à ses seules lois- les postures des uns et des autres. Ces postures seront alors appréciées par rapport, en premier lieu, aux tentatives de maintien du système politique qui a mené le pays à l’impasse et qui était en phase de lui donner l’estocade en imposant au peuple le cinquième mandat et, en second lieu, par rapport au mouvement citoyen, El hirak, véritable ressac de l’aspiration démocratique novembriste, désormais grand ‘‘marqueur’’ de notre Histoire nationale. Pour ma part, mes idées et mes positions politiques, je les ai assumées spontanément au moment où l’évidence n’était pas de mise. Je continuerai à les assumer tant elles n’émanent point de revirement de circonstance ou de ralliement de dernières minutes dictés par un rapport de forces défavorable. Elles tirent plutôt leur essence de convictions si profondes qu’elles justifient, à mes yeux, tous les sacrifices de ma part, jusqu’au sacrifice suprême. En vérité, telle est la vocation de tous ceux qui ont embrassé le métier des armes au sein d’l’honorable Armée Nationale Populaire à laquelle j’ai consacré, sans regret, les deux tiers de ma vie ne m’attendant point à ce que d’aucuns osent m’accuser d’en saper le moral une fois à la retraite. Je laisse le peuple seul juge…
Cela étant monsieur le Président de la République, j’ose dire, malgré mon état de « confiné politique » et face à l’acharnement dont je fais l’objet, que je ne suis pas sans croire que l’on ne saurait assurer une transcendance politique réelle -indispensable élan salvateur pour l’édification d’une république nouvelle authentiquement démocratique- sans liberté et sans justice ; elles en sont le socle.
Je reste par ailleurs convaincu que sans une solide détermination et sans un engagement sans faille pour la concrétisation de la rupture avec ce système, le risque est grand de perdre ce qui donne sens à notre existence en tant qu’individus, que génération et que nation.
Par le biais de cette lettre ouverte, j’espère, monsieur le Président de la République, vous avoir fait parvenir, à partir des geôles d’El Harrach, après une année de silence que je me suis imposé au seul regard de la situation du pays, non pas une imploration mais un appel pour une justice équitable, sereine et diligente qui puisse s’exercer sans injonctions d’où qu’elles puissent émaner. »
Respectueuses et fraternelles salutations.
Ali GHEDIRI,
Ex-candidat aux élections présidentielles du 18 avril 2019