Le covid-19 qui sévit actuellement avec des effets économiques certains devrait pousser les gouvernements africains à cesser rapidement avec la pratique des incitations et « cadeaux » fiscaux, en faveur des multinationales qui sont incorporées dans les pays riches. Face à la pandémie, le continent ne reçoit pas l’appui qu’il aurait attendu de la communauté internationale.
La région est régulièrement présentée comme risquée, en raison de son manque d’infrastructures dans presque tous les domaines. Elle est tout autant blâmée pour ses institutions jugées très faibles avec une forte probabilité que surviennent des ruptures sociales. Une récente note du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du Quai d’Orsay sur la gestion du covid-19 dans certains pays africains a largement abondé dans ce sens. L’actualité quotidienne pourrait donner raison à cette façon de voir et les statistiques sur la pauvreté ou l’indice de développement humain renforcent ces idées. Dans le même temps, on n’aborde pas en profondeur la question des pertes de ressources du fait des flux financiers illicites ou abusifs.
En effet, partant du risque qu’attribuent certains « analystes » à l’Afrique, les gouvernements de la région sont persuadés de prendre des mesures incitatives pour encourager les investissements. Dans le domaine des ressources naturelles qui soutient l’essentiel des économies en Afrique subsaharienne notamment, les opérateurs jouissent ainsi de régimes fiscaux d’exception qui leur permettent de générer d’importantes marges. Il faut ajouter à cela, les pertes de ressources du fait de la pratique par les multinationales des optimisations et abus fiscaux.
L’étude de référence en la matière est celle publiée en 2016 par le panel de haut niveau sur les flux financiers illicites en Afrique, conduit par l’ancien président sud-africain, Thabo Mbeki. Il y est estimé que l’Afrique perdrait chaque année plus de 50 milliards $ depuis 2010. Sur un autre plan, l’ONG britannique Tax Justice Network dans le rapport de son indice 2019 sur les paradis fiscaux dans le monde a démontré que des pays de l’OCDE comme la France et la Grande-Bretagne qui sont également membres du G20 sont les plus agressifs en Afrique en matière d’obtention des accords fiscaux avantageux. Les produits intérieurs bruts de ces deux pays pour les années 2017 et 2018 représentent à chaque fois un peu plus de 2 fois celui de l’ensemble du continent africain à ces périodes respectives.
Les ministres des Finances de la région ont récemment demandé que la dette de leurs pays respectifs soit annulée ou que le paiement des intérêts soit suspendu. Ils n’ont reçu jusqu’ici que des réactions assez tièdes du G20 et du nouveau partenaire (la Chine). Le ministre français de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a annoncé avec enthousiasme des discussions pour un « moratoire », sous le leadership de la France. Dans le même temps, ces « pays dits amis » ont annoncé des mesures à plusieurs milliers de milliards $ pour protéger leurs économies et leurs ménages de la conjoncture actuelle.
Des changements sur les accords fiscaux seront nécessaires : Plusieurs acteurs de la société civile mondiale estiment que la gestion de la solidarité internationale dans le contexte du Covid-19 devrait pousser les dirigeants africains à repenser leur approche des incitations fiscales. Déjà, elles n’ont pas fait de l’Afrique la destination privilégiée des investissements directs étrangers, si on s’appuie sur différents rapports de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED). Ensuite, en temps de crises graves comme celle du moment, les pays qui sont les plus agressifs pour obtenir des situations fiscales avantageuses pour leurs entreprises ne sont pas pressés de répondre même partiellement à une requête comme celle concernant l’annulation de la dette.
La solution pour l’Afrique passerait donc inévitablement par une plus grande mobilisation des ressources domestiques. Chez Tax Justice Network et plusieurs organisations qui lui sont partenaires, on estime qu’il y a aujourd’hui une opportunité de changer les choses avec les débats et discussions en cours sur la réforme de la fiscalité internationale. Les principales idées préconisées sont que la région devrait limiter au maximum les disparités fiscales entre ses pays. Elle devrait aussi soutenir le projet d’une taxation unitaire avec une répartition du produit fiscal qui tient compte, non pas des pays de vente, mais de ceux dans lesquels se sont effectuées les productions effectives.
En attendant, l’Afrique est légèrement épargnée sur le plan sanitaire par la progression du virus. Mais les effets économiques ne sont pas négligeables. Les gouvernements soutenus par leurs banques centrales ont riposté du mieux qu’ils peuvent. Ces solutions vont du soutien temporaire à la consommation de certains biens et services, en passant par les assouplissements des règles bancaires pour éviter des faillites d’entreprises. L’aide multilatérale (FMI, Banque mondiale) est aussi annoncée, mais elle reste assez modeste.
Ecofin