La chute brutale des prix du pétrole a révélé une nouvelle fois la vulnérabilité de l’économie nationale qui dépend non seulement d’une seule ressource mais qui est aussi suspendue à un marché imprévisible, a indiqué mercredi 11 mars, l’économiste Abdelhak Lamiri.
De passage ce matin sur les ondes de la Chaîne III, Lamiri a expliqué : « Nous sommes focalisés sur un problème secondaire au lieu de se focaliser sur l’essentiel. La plupart des responsables et des citoyens se sont focalisés sur comment mobiliser des ressources financières. On parle des ressources pétrolières, comment faire intégrer l’argent de l’informel dans le circuit formel, comment financer plus tard l’économie par les banques étrangères. On cherche des ressources, mais le problème de l’Algérie n’est pas là. Il est tout autre : C’est qu’est-ce qu’on peut faire avec ces ressources? »
« Quand on fait un diagnostic approfondi de la manière dont fonctionnent les entreprises et les administrations, on revient à une conclusion surprenante qui est : quelque soit le volume des ressources, on ne peut pas améliorer la situation du pays ou l’amélioration sera très faible, vu les méthodes managériales qui existent dans les entreprises et les administrations. C’est là où il nous faut une révolution et il faut agir », a-t-il dit.
« La situation actuelle était prévisible, puisque le marché pétrolier est un marché sur lequel on n’a aucun contrôle. Ce sont les firmes internationales, de la géopolitique, et maintenant, des virus qui peuvent dérouter tout un système économique. On ne peut pas contrôler les prix internationaux, malgré le fait qu’il existe une union de pays à travers l’OPEP, ils ne peuvent rien faire. La géopolitique fait que maintenant avec 40% de la production, ils (les pays de l’OPEP) ne peuvent pas influer sur le marché international, et surtout qu’il y a des frictions avec les russes et les saoudiens qui sont en désaccord. Donc ce n’est pas maîtrisable.
« Les thérapies par les coupes budgétaires et la rationalisation des dépenses ne vont pas aboutir à une réforme économique »
Par contre, a poursuivi Lamiri, « ce que l’on peut maîtriser, c’est notre destin à nous. C’est comment faire fonctionner efficacement une économie. C’est là qu’on doit travailler en mettant le plus de ressources, de moyens et de temps pour redresser la situation d’une manière durable et à ce moment-là, le pétrole sera une cerise sur le gâteau ».
L’économiste a estimé que les « thérapies » consistant à trouver des solutions par les « coupes budgétaires » et « la rationalisation des dépenses » ne vont pas aboutir à une réforme économique.
« Les gouvernements successifs nous ont promis de rationaliser l’utilisation des ressources et une économie diversifiée, hors-hydrocarbures et compétitive, mais personnes n’a su le faire car les fondamentaux ne sont pas solides », a-t-il rappelé.
Selon lui, dans une économie, ce sont les fondamentaux de bases qui sont les plus importants. Ils consistent, a-t-il précisé, en la qualité du système éducatif, de la formation, la modernisation managériale. « C’est là qu’on doit mettre le plus de ressources et le plus de moyens pour que l’économie fonctionne bien. Car on peut lui donner l’argent pour se diversifier, mais, nous aurons une faible productivité et l’économie sera toujours dépendante des hydrocarbures », a-t-il expliqué, ajoutant qu’il faut travailler là où ça va produire des effets, « et dans ce domaine, on fait très peu d’efforts », a-t-il regretté.
« Un seul chiffre devrait nous faire peur. Nous avons une cagnotte qui se réduit comme une peau de chagrin. Nous sommes à 62 milliards de Dollars des réserves de changes, et on était 189 mds USD (2014). Chaque année on perd en moyenne 20 à 25 milliards de Dollars. On prend dans cette cagnotte et on l’injecte dans l’économie. C’est à peu près 12% de l’économie globale que l’on injecte chaque année, pour avoir une croissance de moins de 2%, moins que la croissance de la population! », a-t-il expliqué.
« L’algérien produit chaque année 0,5 de moins que ce qu’il a produit l’année précédente »
Le problème selon lui, c’est que « nous avons une économie productive mais dont la productivité est dérisoire ». « Elle stagne et elle baisse. Chaque année, chaque algérien produit 0,5 de moins que ce qu’il a produit l’année précédente », a-t-il relevé, rappelant que « dans le monde la productivité augmente de 1,3% chaque année ». « Alors que dans le reste du monde, le citoyen produit de plus en plus, chez nous, malgré les équipements, les ressources… on produit de moins en moins. C’est là le problème et c’est ça qu’il faut résoudre », a-t-il souligné, ajoutant que « penser « sectoriellement » au niveau macro-économique et oublier que le problème est micro-économique, c’est problématique et on ne peut pas aller de l’avant. »
Selon Lamiri, la dépendance c’est ce qui arrive à des économies mal gérées. L’Algérie doit « travailler très rapidement à mettre les compétences aux standards internationaux », a-t-il préconisé.
« Pour le moment, ce n’est pas possible d’exécuter des programmes »
Pour l’économiste « on ne peut pas gérer quelque chose qu’on ne mesure pas », et c’est pour cela, a-t-il ajouté, « il faut moderniser d’abord les cerveaux, puis moderniser le management des institutions, et à ce moment-là, les programmes économiques que va développer le gouvernement deviendront possibles à exécuter. Pour le moment, ce n’est pas possible d’exécuter des programmes avec une telle faiblesse managériale et une insuffisance criarde en matière de développement humain. »
Pour Lamiri, on peut pour le moment régler un certain nombre de choses avec le peu de ressources que l’on a. « Mais, le problème, c’est de corriger les choses au fond. On a une économie qui a un cancer deuxième degré qui est guérissable, mais, moyennant des chocs thérapeutiques importants, mais on est en train de lui donner une ordonnance de grippe. ça ne colle pas! Ce qui colle, c’est la véritable thérapie. Et lorsqu’on aura celle-ci, à ce moment-là, on fera un plan de diversification économique, indépendance des hydrocarbures… Pour le moment, tant que nous aurons au niveau des entreprises et des administrations des insuffisances criardes », a-t-il dit, indiquant que selon les spécialistes en management, l’Algérie a au moins 50 ans de retard sur les autres pays en terme managérial, qu’il faudra rattraper.
Concernant les entreprises des hommes d’affaires dont les patrons ont été emprisonnés pour des affaires de corruption, Abdelhak Lamiri a suggéré de différencier entre les personnes et les entreprises et ne pas faire la même erreur avec l’affaire Khalifa où on a détruit des équipements de production qui auraient pu être utilisé dans le développement du pays. Pour Lamiri, il faudrait trouver quelque part « un consensus pour aller à un nouveau départ » et que les responsables impliqués restituent l’argent détourné au peuple algérien.