Si les prérogatives de Kais Saied relèveront essentiellement de la sécurité et la diplomatie, le futur président tunisien est très attendu sur la lutte anticorruption ou encore la justice sociale : après avoir obtenu un mandat clair, tour d’horizon des principaux défis à relever.
Doit-on s’attendre à un changement de politique étrangère ?
Enseignant de droit constitutionnel, Kais Saied n’a aucune expérience en matière de diplomatie et professe « des principes plutôt qu’une feuille de route claire », décrypte l’ancien diplomate Taoufik Ounes. Il a tenu des propos virulents sur Israël, considérant comme une « haute trahison » toute relation avec l’État hébreu. Une position nationaliste arabe qui lui a valu d’être salué dans la région, sans qu’on puisse en déduire une politique clairement distincte de ses prédécesseurs – Tunis n’entretient aucune relation diplomatique avec Israël.
Au vu des déclarations durant la campagne, « il ne faut pas s’attendre à un changement radical dans la politique étrangère de la Tunisie », estime M. Ounes. Mais il est possible qu’il « clarifie la position de la Tunisie sur la situation en Syrie », poursuit cet expert, en référence aux appels à renouer des relations diplomatiques avec Damas, rompues en 2012. Avec l’Europe, M. Ounes s’attend à « une continuité des relations avec la France et l’Union européenne ». Ex-puissance coloniale, Paris a appelé à « amplifier » le partenariat bilatéral, lors d’un échange téléphonique entre le président Emmanuel Macron et M. Saied lundi.
Quels défis sécuritaires ?
Si la situation s’est nettement améliorée depuis une série d’attentats dévastateurs en 2015, le pays est sous état d’urgence permanent depuis près de quatre ans, et des attaques, bien que de moindre ampleur, visent toujours les forces de l’ordre. Le 27 juin, un double attentat suicide a fait deux morts en plein centre de Tunis, ravivant le spectre de la violence. Lors d’un débat télévisé, Kais Saied avait estimé qu’une des clés de la lutte contre le « terrorisme » était l’éducation, la philosophie, l’amélioration de l’enseignement en primaire pour « immuniser » les jeunes de ce fléau.
Parmi ses premiers déplacements de président, il a dit vouloir se rendre en Algérie et en Libye, les deux grands voisins. À l’ouest, l’Algérie traverse une période mouvementée avec la poursuite de la contestation contre le pouvoir. À l’est et au sud, la Libye reste dans le chaos, une situation qui a eu un important impact sécuritaire et économique pour la Tunisie depuis 2011. Un autre dossier de taille est la réforme de l’appareil de police, qui fut un rouage de la dictature et reste l’objet de critiques sur la persistance de pratiques contraires aux droits humains. Par ailleurs, Kais Saied a dit considérer éducation, santé et accès à l’eau comme faisant partie de la sécurité nationale, laissant entendre qu’il souhaite s’impliquer directement sur ces dossiers.
Quelle marge de manœuvre sur l’économie ?
La marge de manœuvre est très limitée dans ces domaines, au regard de la constitution qui donne les coudées franche au gouvernement. Mais, fort d’une légitimité assise sur un scrutin populaire sans appel qui contraste avec le morcellement du vote aux législative. Il peut choisir d’intervenir dans les négociations sur la formation du gouvernement, voire dans son futur programme économique et social. Il peut en outre lancer des initiatives présidentielles – propositions de loi au Parlement, ou fonds destiné à l’emploi des jeunes par exemple.
Les Tunisiens, qui ont manifesté ces derniers mois contre la vie chère et le chômage, ont aussi montré en élisant un homme se refusant à toute solution miracle, qu’ils tenaient surtout à une moralisation de la vie publique.
Alors que la révolution n’a pas mis fin à la collusion entre politique et économie, l’espoir pour beaucoup de Tunisiens est que l’élection d’un homme qui ne doit rien aux élites favorise une plus grande justice sociale.
La décentralisation radicale, un projet réaliste ?
Si Kais Saied a prôné une démocratie directe, via des conseils locaux, pour traduire au mieux ce que « le peuple veut » au lieu du système partisan en vigueur au Parlement. Difficile, dans ces conditions, d’imaginer l’Assemblée voter sa propre dissolution.
La décentralisation du pouvoir, qui était une revendication de la révolution pour réduire les inégalités régionales et favoriser la reddition des comptes par les élus, est déjà en cours. Mais sa concrétisation a manqué jusque-là de volonté politique.
Un code des collectivités locales a été adopté in extremis avant les premières municipales démocratiques en mai 2018, mais moins d’un sixième de ses décrets d’application ont été adoptés. « Des élus et des ministères étaient opposés à un partage du pouvoir », explique Nessryne Jelalia, directrice de l’observatoire politique Al-Bawsala. « On a désormais un président et des partis au Parlement qui en ont fait un cheval de bataille », se réjouit-elle. « Il va y avoir un coup de pouce à la décentralisation ».
Afp