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Entrepreneurs et opposants politiques, principales victimes de la répression

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Depuis que l’Algérie est indépendante, les chefs d’entreprises et les activistes politiques ont toujours servi de cibles sur lesquels les régimes en crise se braquent, pour détourner, par la répression, l’attention des belligérants qui leur contestent le pouvoir.

De 1962 à ce jour, l’histoire regorge de cas de dirigeants d’entreprises et d’opposants politiques, que le pouvoir a jetés en prison pour de longues années de « détentions préventives », au terme desquelles ils furent, pour la plupart, acquittés par manque de preuves. Des opposants, aujourd’hui appelés « activistes » sont généralement « cueillis » sur leurs lieux de travail, à leurs domiciles, dans les universités ou parmi les manifestants, par des forces de l’ordre qui excellent dans cet art. Leurs sorties de prisons correspondent généralement à la fin de ces crises politiques, que les régimes en place ressentaient comme des menaces pour leur pérennité dans l’exercice du pouvoir. Des carrières et des destins de citoyens, parfois brillants, furent ainsi anéantis sans possibilités de recours, ni dédommagements pour les préjudices subis.

En cette période de chasse aux entrepreneurs et aux activistes politiques, ces pénibles souvenirs sont encore vivaces chez de nombreux chefs d’entreprises publiques et privées ainsi que chez beaucoup de militants politiques, témoins de ces campagnes de chasse aux sorcières, savamment orchestrées par des officines du pouvoir dans l’unique but d’échapper aux frondes populaires qui les visaient tout particulièrement. Ces entrepreneurs et opposants politiques dont les Algériens avaient été conditionnés à se méfier ou à haïr, constituaient les cibles idéales des juges aux ordres des clans au pouvoir et de la police politique qui les alimentait en « présumés coupables ». Ces campagnes de répression n’ont pas épargné les dirigeants des entreprises publiques sur qui pleuvront de lourdes condamnations bien souvent décidées en-dehors des tribunaux. Le nombre de directeurs généraux et cadres dirigeants d’entreprises publiques ayant subi cet humiliant supplice dépasserait allègrement le millier, selon des statistiques que nous avons pu relever dans de nombreux journaux.

De fait de ces mauvais souvenirs, la terreur est aujourd’hui déjà bien installée chez les patrons, qui vivent, depuis l’emprisonnement d’une légion d’entrepreneurs présumés coupables, dans l’angoisse d’être rattrapés par des affaires dont ils n’avaient pas mesuré l’importance du temps où le business, piloté depuis les plus hautes sphères du pouvoir, ne pouvait s’opérer qu’ainsi. Leurs craintes sont d’autant plus fortes que la Justice ne prend même plus la peine d’expliciter les motifs des arrestations et les griefs retenus contre ceux qu’on été mis en détention, sans tenir compte des principes sacro-saints de la présomption d’innocence.

Les actions judiciaires engagées, sans aucun effort de communication, contre des hommes d’affaires préalablement ciblés, pour des délits qui n’ont souvent rien à voir avec les faits de corruption officiellement brandis par l’autorité judiciaire (cas d’Ali Haddad qu’on arrête et condamne pour la détention de deux passeports et non pas pour les graves malversations qu’il auraient commise et d’Issad Rebrab, détenu depuis plus de 7 mois pour une prétendue affaire de fausse déclaration douanière qui avait pourtant été jugée en sa faveur en 2018), sont aujourd’hui perçues par l’opinion publique beaucoup plus comme des règlements de comptes entre clans rivaux au pouvoir que comme la volonté d’assainir franchement un monde des affaires, gangrené par la corruption. Leur conviction est d’autant plus forte que de nombreux médias indépendants ont apporté la preuve que la grosse corruption se trouve beaucoup plus du côté de ceux qui emprisonnent plutôt que de ceux qu’on emprisonne à tour de bras, sans respect des procédures judiciaires en vigueur et sans précision relatives aux griefs qui leur sont reprochés.

Une rétrospective des événements subis par les entrepreneurs algériens et les opposants politiques depuis l’indépendance du pays, confirme bien que les patrons et, sans doute encore plus les opposants, n’ont jamais fait bon ménage avec les régimes en place, ni même avec la population algérienne qui, bien souvent, les considèrent comme des délinquants potentiels. À chacune des grandes crises politiques (1963, 1980, 1988, 1991, 2001 et 2019), le pouvoir et une importante frange de la société algérienne ont, en effet, fait front commun contre eux, pour leur mener la vie dure, en mettant en doute le bien-fondé de leurs fortunes s’agissant des entrepreneurs, et de leurs combats politiques, s’agissant des opposants.

On se souvient qu’aux premiers jours de l’indépendance déjà, le premier président algérien, Ahmed Ben Bella avait publiquement jeté le discrédit sur les quelques entrepreneurs privés encore activité, tout en menant parallèlement une répression féroce contre les opposants, nombreux en ce temps là. Des industriels, comme Hamoud Boualem, Bentchicou, Djillali Mehri, Tamzali et bien d’autres, ont du fuir le pays, tandis que des militants aussi prestigieux que Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem, Ferhat Abbas, Hocine Ait Ahmed, Mohamed Khider et autres furent, pourchassés, incarcérés ou contraints à l’exil. Le système socialiste, qui s’installera de 1965 à la fin des années 1980, consacrera clairement, à travers la charte nationale de 1976, le rejet du «privé exploiteur» et des partis politique autres que celui du FLN. Les activistes clandestins, majoritairement jeunes, étaient considérés comme des traîtres qu’il fallait jeter en prison et des centres de détention clandestins, où la torture et les exactions étaient de mise. Ils étaient pourchassés par la police politique, aujourd’hui encore en exercice, chez eux, au niveau des sièges des partis et des ONG, dans les rues, les manifestations, à l’intérieur des campus universitaires et aux frontières. Beaucoup de prisonniers en ressortiront traumatisés pour le restant de leurs vies.

Cette perception discriminatoire du patron et de l’opposant politique, héritée de l’ère socialiste n’a, malheureusement, pas encore disparue malgré les changements politiques et économiques apportés par les réformes de 1988. Elle est encore présente dans bien des esprits, et montre son visage laid chaque fois que la conjoncture et les manipulations politiciennes lui donnent l’occasion de s’exprimer. Bien que ces réformes de 1988 aient beaucoup contribué à améliorer l’image sociale du privé et autorisé des partis politiques autres que le FLN, il n’en demeure pas moins qu’une certaine hostilité persiste, aujourd’hui encore, aussi bien à l’égard des patrons qu’à l’égard de tout individu ou organisation, qui s’oppose radicalement au pouvoir.

L’hostilité aurait même tendance à s’exacerber, voire à tourner à la diabolisation, comme c’est le cas aujourd’hui, au gré des enjeux politiques de l’après-Bouteflika. La police politique organisera la reprise du lien perdu entre le pouvoir et la société, au moyen de la répression contre les hommes d’affaires, jetés en prison sous les applaudissements d’une frange de la société hostiles aux riches et contre les opposants qui activent dans le hirak pour empêcher le régime de renaître de ses cendres. La chasse aux « entrepreneurs véreux » devient alors le moyen de calmer la fureur des populations insurgées, et celles contre les activistes un gage pour les populations qui ont choisi, par intérêt ou par conviction, le camp du pouvoir.

À chaque fois que surgissent les crises politiques et, celle que nous vivons depuis le 22 février n’y déroge pas, force est de constater que les régimes en place n’hésitent pas à sacrifier sans état d’âme entrepreneurs et activistes politiques en les jetant dans leurs sinistres geôles. Quelques hommes politiques et entrepreneurs véreux ont, certes, été incarcérés, mais le parquet général a toujours refusé de communiquer à l’opinion publique, les griefs réels ou supposés retenus contre ces justiciables. Et, comme par le passé, il est à craindre que ça soit les hommes d’affaires incriminés et non pas les commanditaires et les plus gros corrompus encore en liberté ou, pire encore, tapis dans les hautes sphères du pouvoir, qui seront jetés en pâture à une opinion publique sciemment remontée contre eux. Certains hommes d’affaires ont même été contraints de payer les services de hauts gradés pour éviter d’être inquiétés par la justice. De nombreux officiers abonnés à ce genre de pratiques ont, du reste, été incarcérés, rapportent certains médias.

Un environnement aussi délétère, où l’incertitude des lendemains matérialisée par la déliquescence du Droit, l’arrestation souvent arbitraire d’hommes d’affaires et d’activistes politiques, l’opacité des jugements et les calculs politiciens, n’est évidemment pas l’idéal pour les affaires ni pour le militantisme positif ni même pour le vivre ensemble qui ne peut advenir que dans climat politique serein et apaisé. S’il n’est pas rapidement mis fin à cette situation de non Droit et de terreur que le régime a créée toutes pièces pour rester au pouvoir, il y a vraiment risque que le climat anxiogène, résultant par toutes ces dérives autoritaires, dégénère en un conflit si grave que les algériens n’auront pas, à eux seuls, la capacité de régler. Il est donc urgent que le pouvoir, incarné par l’état-major de l’armée, arrête cette répression, qui de toute façon ne changera rien à la détermination du hirak, pour écouter le peuple insurgé et convenir de la meilleure issue possible à cette crise.

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