L’enseignant-chercheur à l’université de Californie Santa Cruz aux Etats-Unis, Thomas Serres, a estimé que, « les Européens gagneraient à soutenir la révolution algérienne, surtout s’ils tiennent à limiter les migrations », et que « les Algériens ne demandent que ça : le droit de rester chez eux et de vivre dans la dignité. »
« Puisque l’intérêt proclamé du gouvernement français et de la nouvelle Commission européenne est de limiter les migrations, disons-le franchement, les Algériens ne demandent que ça : le droit de rester chez eux et de vivre dans la dignité. Pour cela, ils luttent pour instaurer un système fondé sur la souveraineté populaire et la justice sociale. Les étudiants défilent ainsi chaque semaine dans le calme pour ne pas avoir à émigrer pour fuir un état de non-vie », a écrit Thomas Serres dans une tribune intitulée « Algérie : » L’Europe et la France seront solidaires ou complices », publiée dans le journal Le Monde du Dimanche 29 septembre 2019.
« La France et l’Europe laissent la contre-révolution se dérouler » en Algérie
« L’appareil répressif qui sert à imposer l’élection a été conçu avec le soutien actif de la France »
Thomas Serres a souligné dans son analyse que « l’appareil répressif qui sert à imposer l’élection a été conçu avec le soutien actif de la France. La formation des forces de police algériennes à la « gestion démocratique des foules » est le produit d’une coopération sécuritaire de longue durée, que l’Union européenne a d’ailleurs encouragée. Dès lors, la responsabilité européenne et française est engagée ».
Pour l’enseignant-chercheur « compte tenu de l’emprise de la machine bureaucratico-militaire sur les institutions, il ne fait guère de doute qu’elle sera en mesure d’imposer son favori. » Il a fait remarqué que les deux « favoris » de la présidentielle prévue le 12 décembre prochain, ne sont autres qu’Ali Benflis et Abdelmadjid Tebboune, deux anciens-premiers ministres de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika. « Le changement de système attendra », a-t-il estimé.
« Le régime n’a pas « mangé » l’Algérie tout seul, il a bénéficié de la complicité active de compagnies étrangères »
Selon Thomas Serres, Ali Benflis « plaît aux Occidentaux », et pour cause, a-t-il rappelé, « en 2014, il annonçait aux Echos que la solution à la crise algérienne était de complètement libéraliser l’économie nationale. »
« Face à la crise budgétaire qui résulte de plus de deux décennies de corruption et de privatisations frauduleuses, le moment semble venu de porter le coup fatal aux résidus de l’économie socialiste », a analysé le chercheur, expliquant que « c’est dans ce contexte que le gouvernement Bedoui a annoncé la fin de la règle du 51/49 encadrant les investissements étrangers et un retour à l’endettement extérieur. »
« Quoi que l’on pense de ces mesures, le fait est qu’un gouvernement sans représentativité démantèle la souveraineté économique du pays pour envoyer des gages de bonne conduite à ses partenaires étrangers », a-t-il écrit.
« Le hirak est pourtant largement une conséquence du sentiment partagé d’un vol des richesses nationales », a estimé Thomas Serres, qui a rappelé l’un des slogans célèbres du mouvement populaire « Vous avez mangé le pays » (Klitou Leblad), que chantent les manifestants.
Mais, pour le chercheur, « le régime n’a pas « mangé » l’Algérie tout seul. » Selon lui, « il a bénéficié de la complicité active de compagnies étrangères, et notamment européennes(…), de banques peu regardantes (principalement en Suisse), et bien sûr de la bienveillance des pouvoirs publics. La France, entre autres, a été particulièrement accueillante pour les capitaux mal acquis des dignitaires algériens, notamment à travers l’achat de propriétés immobilières. »