L’économie algérienne se porte mal. On le perçoit à travers la dégradation de pratiquement tous les indicateurs macroéconomiques, à commencer, par la croissance économique (1,9%) inférieure à la croissance démographique (2,3%), la baisse de ses réserves de change (79,8 milliards de dollars) soit à peine une année et demie d’importations, l’inflation qui grimpe à plus de 6% selon l’ONS et, à beaucoup plus, en terme de ressenti, le dinar très mal coté et dont la valeur dérive chaque jour davantage, les exportations d’hydrocarbures en nette baisse en raison du boum de la consommation intérieure, la population qui augmente de plus d’un million de nouveaux nés chaque année, pour ne citer que les agrégats qui impactent le plus négativement le vécu des algériens.
Il ne faudrait surtout pas lier, comme certains journalistes ont déjà commencé à le faire, cette dégringolade des performances macroéconomiques aux événements politiques qui secouent depuis quelques mois le pays. Le « Hirak », puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’a commencé que depuis trois mois, alors que la descente aux enfers de notre économie remonte à beaucoup plus loin. Elle a en effet pris racines sous la gouvernance du président déchu Abdelazi Bouteflika et de sa fratrie, qui avait accaparé sa fonction, tout le temps qu’avait duré sa grave et longue maladie, soit au minimum six années. C’est durant cette période que l’économie Algérienne paiera le plus lourd tribut à cette gestion que l’on peut qualifier d’irresponsable, d’immorale et de franchement anti-nationale. C’est durant cette longue phase de gouvernance hasardeuse que le fléau de la corruption s’exacerba en termes de surfacturations des importations, de trafics de devises, de perceptions de commissions indues sur pratiquement tous les gros contrats d’équipements commandés de l’étranger, de mise en circulation de plus 6000 milliards de dinars au moyen de la planche à billets, du détournement du Fond de régulation des recettes d’hydrocarbures et de l’emprunt obligataire de 2015, qui devaient uniquement financer les investissements, pour payer les salaires des fonctionnaires et les transferts sociaux improductifs. De quoi mettre le feu à une économie dont les chiffres, boostés par l’embellie du marché pétrolier, étaient tout à fait convenables, jusqu’en 2013 date à laquelle ils commencèrent à se dégrader.
Il faut évidemment ajouter aux causes de ce marasme, le choix du clan Bouteflika de confier le destin de l’économie algérienne à quelques oligarques qui l’avaient aidés à briguer deux mandats consécutif et s’apprêtaient à financier le cinquième, que le « Hirak » est heureusement parvenu à torpiller. Ces oligarques se sont comportés comme des oligopoles qui ont accaparé les marchés et les secteurs d’activités les plus juteux, au détriment des autres entreprises qui ne recevaient que des miettes, nonobstant, les entraves que les administrations aux ordres leurs faisaient subir lorsqu’elles souhaitaient investir ou exporter. La croissance économique fut ainsi bridée tout au long du règne des Bouteflika. Le développement fut ainsi sacrifié sur l’autel des accointances claniques et de l’enrichissement, au moyen de la corruption, sciemment alimentée et entretenue par les plus hautes hiérarchies du pouvoir. S’il y avait à effectivement des corrompus, les corrupteurs se trouvent à l’évidence au niveau des hautes sphères de décisions qui ont autorisé les malversations commises et, c’est sans doute, ce qui explique les hésitations du pouvoir actuel à porter la campagne anti corruption qu’il a lancé à l’encontre de certains oligarques, à cet endroit précis, se contentant d’incriminer uniquement les hommes d’affaires en épargnant leurs commanditaires tapis dans les sphères politiques et administratives.
Il faut également savoir que si l’économie poursuit sa dégringolade, ça ne sera certainement pas à cause de cette révolution de la dignité qu’est le Hirak, qui ne manifeste, comme chacun le sait, que les vendredis fériés (aucune incidence sur la production), mais, bien la faute à tout l’arsenal juridique défaillant hérité de l’ère des Bouteflika. La gouvernance du président déchu est en effet caractérisée par l’instabilité juridique qui a fait fuir les investisseurs étrangers et anéanti bon nombre d’entrepreneurs locaux, l’absence totale de visibilité économique, l’absence de stratégie économique, l’affectation de ressources financières à des entreprises publiques en faillites, les sélections subjectives du conseil national de l’investissement (CNI), la gestion hasardeuse du secteur de l’énergie, l’abandon des terres agricoles publiques à une faune de prédateurs etc.
Au vu de ce que nous décrivons succinctement à propos de la très mauvaise gouvernance de l’économie algérienne, il ne faut donc pas s’étonner du pessimisme franchement affiché par la Banque Mondiale dans son tout dernier rapport (Perspectives économiques mondiales) rendu public le 4 juin dernier. Ce dernier passe en revue quelques agrégats fondamentaux de notre économique pour faire des projections à l’horizon très proche de 2021. C’est ainsi qu’elle ne prévoit pour cette année 2019 qu’une croissance de 1,9% (0,4% de moins que ce qui était prévu par la loi de finances), inférieure d’environ 0,5% à la croissance démographique de la même année, ce qui pose problème. Le plus grave, selon cette même institution, est que la croissance continuera à chuter durant au minimum les trois années prochaines, pour se situer à, à peine, 1,4% en 2021.
Le problème est que l’Algérie ne peut même plus compter sur un éventuel retournement de conjoncture pétrolière qui ferait rebondir les prix du brut. Avec les gaz et le pétrole de schistes que les USA et la Canada produisent en surabondance, la stagnation de l’économie mondiale, la faiblesse de l’Opep et l’insuffisance des quantités d’hydrocarbures à exporter en raison de la surconsommation locale, il y a effectivement peu de chances d’engranger des recettes d’hydrocarbures confortables les toutes prochaines années. Il faudra compter sur la fiscalité ordinaire, mais même cette source budgétaire, sera amoindrie par le recul de l’activité des entreprises qu’on a, du reste, déjà commencé à constater en début d’année. Période qui correspond, on l’a compris, à l’agitation politique provoquée par l’éventualité d’un cinquième mandat que voulait briguer l’ex président Bouteflika.
Le constat d’une très probable entrée en récession de l’économie algérienne étant clairement établi par la Banque Mondiale et bon nombre d’experts algériens qui recommandent tous, d’entamer immédiatement de profondes reformes structurelles, qu’ils ont pratiquement tous pris le soin de décrire, il se pose la question de savoir qui mettra en œuvre ces ajustements qui ne se feront pas sans douleur, notamment, pour les couches populaires les plus vulnérables. Il aurait fallu que soit rapidement installée une équipe gouvernementale légitimée par le peuple qui lui donne mandat pour redresser l’économie, quel que soit coût social à payer. Nous sommes malheureusement loin de ce pré requis que les résidus du régime de Bouteflika refusent d’accorder au peuple, qui le réclame à haute voix dans les rues de nos villes depuis plus de trois mois. Le temps que veulent gagner ces résidus du Bouteflikisme à rester au pouvoir constitue, à n’en pas douter, du temps perdu pour le peuple algérien, qui aurait préféré consacrer cette période à organiser la meilleure transition possible, devant déboucher sur l’élection honnête et transparente du prochain président de république, parfaitement conscient que uniquement sous la haute autorité d’un chef d’État légitime que ces réformes difficiles et parfois même impopulaires pourront se faire. Plus tôt l’état major de l’armée qui détient le pouvoir réel en Algérie, laissera le peuple organiser lui-même la transition, comme lui en donne le droit les articles 7 et 8 de la constitution, plus vite l’Algérie sortira de la crise politique, pour se consacrer à l’enjeu capital des réformes économiques. La balle est donc dans le camp de ceux qui, depuis la démission d’Abdelaziz Bouteflika, détiennent l’authenticité du pouvoir. Ils seront par conséquent seuls à porter la responsabilité, en cas de détérioration grave de notre économie.