Le Professeur émérite de l’Ecole polytechnique d’Alger, Chems Eddine Chitour, a estimé, ce dimanche 19 mai 2019, qu’il faut passer de « la légitimité révolutionnaire à la légitimité du neurone. »
S’exprimant sur les ondes de la radio nationale, à l’occasion de la journée nationale de l’étudiant, Pr Chitour, a passé en revue les problèmes du système éducatif et universitaire en Algérie.
« Je crois que nous sommes à une croisée des chemins. L’Algérie a des potentialités et je le dis sans démagogie. Nous avons 1.5 millions d’étudiants, et 500 000 dans la formation professionnelle. Il faut se battre pour quelle ne soit pas le réceptacle des laissés pour compte. Il faut permettre aux étudiants de la formation professionnelle de rejoindre l’université. C’est une nouvelle université, une autre école, qui doit servir comme un ascenseur social, du mérite, où les enseignants sont bien payés », a-t-il indiqué, comparant le salaire d’un universitaire dans les pays avancés qui est en moyenne de 60 000 euros par an, aux 100 000 DA par mois en Algérie (environ un millions DA/an).
« Il n’y pas de miracle. Quand on paye un footballeur à 450 millions de centimes, il y a quelques choses de pourri dans le système. Ça ne peut pas marcher, il faut réhabiliter l’effort. Quand on voit des parents d’élèves disent que l’école ça ne mène à rien, je vais aller inscrire mon fils dans un club sportif », a-t-il regretté.
« Vous savez, il y a des jeunes qui touchent environ 100 000 DA par mois, pour les meilleurs, des universitaires de top niveau, ils ont lancé des satellites algériens en Inde. Qui c’est qui en parle ? C’est cela la science, notre visibilité à l’extérieur, ce n’est pas le footballeur qui reste sur le banc de touche et touche 450 millions de centimes. C’est ce que vous produisez. Nous sommes au 21ème siècle, il faut changer totalement de logiciel, c’est l’économie de la connaissance et du savoir. Il faut revoir tous les métiers, car il y a des métiers pour lesquels nous formons mais qui n’existent plus », a expliqué le professeur Chitour.
« On ne peut pas amalgamer la religion et la science »
Il a estimé qu’il faut ouvrir l’école sur l’universel et permettre à l’enfant de découvrir la beauté des sciences. « Chez nous, le bac mathématiques c’est 2%, alors qu’en Allemagne, les filières scientifiques c’est 35%, en Iran c’est 25%. C’est-à-dire, un élève sur quatre va dans les disciplines scientifiques», a-t-il précisé, ajoutant que « chez nous, on a étouffé les sciences ». Pr Chitour a qualifié le système LMD à un monstre qu’on a créé au détriment des filières d’ingénieurs et de techniciens.
« Il faut qu’il y est la sérénité, et que l’école soit tenue hors des perturbations politiques, et il ne faut pas qu’elle soit la caisse de résonance. Laissons l’école travailler, qu’il y est un consensus politique, il n’y a que la science qui passe, il n’y a que la légitimité du neurone », a-t-il estimé.
Selon Pr Chitour il y a des gens rétrogrades au sein du système éducatif et de l’enseignement supérieur en Algérie. « On ne peut pas amalgamer la religion et la science et la technologie. Ce sont deux choses différentes », a-t-il dit. « Moi je suis religieux, je n’ai pas à le dire, c’est mon affaire privée. Nous n’allons pas vers la sciences, mais vers la démagogie », a-t-il déploré. Pr Chitour a ajouté qu’il faut qu’il y soit une élite scientifique et républicaine dans ce pays, mais, « pas l’élite de l’argent et de la pourriture comme celle que nous avons actuellement ».
« Les gens ont bien compris que nous sommes au 21ème siècle, et qu’il faut passer de la légitimité révolutionnaire à la légitimité du neurone. C’est ce qui permettra à l’Algérie dans les 10 à 15 années à venir, lorsqu’il n’y aura plus de rente, si on veut de la visibilité à l’international, il faut miser sur l’économie de la connaissance», a-t-il dit.
« On ne s’occupe du système éducatif qu’au mois de septembre »
Selon lui, «actuellement, on est à 9.5 millions d’élèves, c’est énorme et c’est près du quart de la population. Il y a à peu près 25 000 écoles, 5000 CEM, 3000 lycées. Ce qui constitue une force de frappe très importante du point de vue quantitatif. Le point de vue qualitatif est une autre affaire».
«On ne s’occupe du système éducatif qu’au mois de septembre. Il faut que la rentrée se fasse, il ne faut pas qu’il y est de vagues. Après, on l’oublie pendant toute une année », a-t-il expliqué.
Pour lui, quand des ministres descendent sur le terrain pour inaugurer des établissements scolaires, « ils n’inaugurent pas l’acte pédagogique, c’est-à-dire, la création intellectuelle. Non ! Ils inaugurent des amphis, des salles de classes. A bon droit, le système dit : j’ai fait ce que j’avais à faire», a estimé le Professeur Chitour.
« Actuellement, le système éducatif c’est 780 milliards de Dinars, pour près de 10 millions d’élèves, ce qui représente à peu près, 78 000 DA par élève. Il faut savoir que, cette somme est le dixième de ce que dépense un élève en Europe. Je veux dire qu’on ne met pas assez de moyens. Pour être honnête, si on prend tout le système éducatif, c’est à peu près 1100 milliards de Dinars. C’est l’équivalent du budget du ministère de la défense. C’est quatre fois le budget du ministère des Moudjahidines. D’un côté, les Moudjahid à 271 mds DA, et l’enseignement supérieur avec 270 mds DA. Il y a des problèmes, il faut favoriser le système éducatif dans lequel on ne met pas assez d’argent, et on n’est pas assez exigeant sur la qualité des formateurs », a détaillé Pr Chitour.
« Ce qui a tué l’école algérienne, c’est le Maâlich »
Autres points soulevés par l’intervenant concernant le système éducatif, la formation des enseignants, qui selon, « ne répond pas à des critères ». « Nous sommes assez rigoureux dans la formation. Ce qui a tué l’école algérienne, c’est le Maâlich (Ce n’est pas grave), on indexe le niveau des épreuves du baccalauréat sur l’établissement le moins performant. Le grand problème, c’est qu’on a fait dans la démagogie », a-t-il dit, ajoutant qu’ « on n’a pas été assez juste avec les enseignants, qui sont considérés comme moins que rien, alors qu’ils sont les gardiens du temple. Il faut être très rigoureux dans la formation, dans le recrutement, et il faut rien laisser passer», a insisté le Pr Chitour, estimant que « le système éducatif est la colonne vertébrale du pays ».
Pour lui si l’école n’a pas su répondre à ce qui était attendu d’elle, c’est parce que les enseignants, sous-payés, n’avaient ni les moyens, notamment pédagogiques, ni, pour certains parmi eux, les compétences, pour dispenser un enseignement de qualité.
Enfonçant le clou, le professeur Chitour a observé que si l’école en est arrivée à la situation de marasme dans laquelle elle se trouve enfoncée, c’est parce, dit-il, on n’a jamais prêté la moindre considération à l’enseignant, ce « formateur des générations futures ».
L’invité a jugé qu’il y a nécessité, aujourd’hui, de réhabiliter l’enseignant, de lui donner les moyens nécessaires pour exercer, en étant au préalable, très rigoureux dans sa formation.
Il a estimé, en outre, que « la deuxième république réussira, si elle réussit à mettre en place un système éducatif performant. »