L’enrichissement sans cause est, sans aucun doute, le phénomène face auquel les algériens sont le plus mal à l’aise. S’il suscite publiquement une condamnation morale de leur part, il est par contre souvent perçu comme un modèle de réussite, un raccourci vers l’acquisition de biens matériels et de pouvoirs chez de nombreux jeunes qui n’ont jamais su établir une ligne de démarcation claire entre l’enrichissement licite et celui qui ne l’est pas.
Le marché informel, le trafic de drogues et les colossaux prébendes tirés de diverses formes de corruptions ont, en effet, permis à une large frange de la population de faire rapidement fortune en faisant fi de la législation et des principes moraux, certes, clairement consignés dans les textes, mais différemment interprétés, selon que l’ils appartiennent à une frange de la société ou une autre. Autant l’une des franges s’affranchira sans état d’âme de l’honnêteté que la morale et le droit exigent dans l’exercice du busines, autant l’autre en fera un crédo strict, quitte à y perdre. Entre ces deux mondes que tout oppose, le clivage a toujours existé. Lorsque l’Etat est capable de veiller aux bonnes règles économiques et commerciales, c’est la frange légaliste qui l’emporte mais, quand c’est aujourd’hui le cas, ce sont les commerçants véreux qui sont rois, la frange hors la loi est celle qui suscite le plus d’admiration dans la société. N’ayant rencontrés aucune résistante de la part de la Justice et des organes légaux de répression, ces « businessis » tangents avec la loi, ont gagné en puissance et respectabilité notamment auprès des jeunes qui tendent à les prendre comme référence. Ces nouveaux riches qui gardent encore les stigmates de leur appartenance aux couches les plus pauvres de la population, n’hésitent effectivement pas à afficher de manière ostentatoire leur enrichissement (logements, véhicules de luxe, voyages fréquents à l’étrangers, liasses d’argent liquide etc.), bien souvent, acquis dans l’illégalité et au dépens d’autrui (pas d’impôts ni cotisations sociales). Le plus grave est que ces « anciens pauvres » devenus subitement riches constituent, comme nous l’affirmions plus haut, de parfaits exemples de réussites sociales pour de nombreux algériens et, notamment, les plus jeunes. Des cas de personnes parties de rien pour devenir riches en des temps records, sont fréquemment cités comme d’emblématiques exemples de réussite à imiter dans un pays où les perspectives d’enrichissement légal sont effectivement bouchées. Comment en effet un cadre algérien peut il se frayer un chemin honorable dans une société qui le rémunère très mal, ne permet pas aux plus méritants d’évoluer dans leurs carrières et soumet la réussite, non pas, à la compétence professionnelle, mais aux relations subjectives entretenues avec les hiérarchies ?, entend t’on souvent, dans les conversations courantes.
Il n’est, de ce fait, pas rares de voir des jeunes se plaindre de ce désespérant blocage, de plus en plus convaincus que le monde appartient désormais à ceux qui osent faire fi de la réglementation et de la bonne morale. Saisir une opportunité qui n’est pas conforme à la loi pour empocher le pactole, devient alors une obsession pour tous ces jeunes qui rêvent d’une belle vie à laquelle ils pourraient, avec un peu de chance, accéder rapidement. Ces opportunités se trouvent dans le marché informel, la connexion avec les milieux maffieux et toute une panoplie de business illégaux, qui permettent d’accumuler des fortunes sans grand risque compte tenu de la permissivité des services contrôle. Faisant allusion a ses propres amis qui ont fait fortune dans le négoce informel, alors que lui parvient à peine à boucler les fins de mois avec son maigre salaire, un fonctionnaire a qui nous faisions part de cas d’enrichissements rapides de certains jeunes du quartier, nous a répondu quelque peu amer : « Il n’y a que les fils de bonnes familles comme nous qui n’arrivons pas à nous enrichir dans ce pays où tout est à acheter et à vendre. Il suffit de soudoyer l’administration qui ne demande que ça pour que les affaires marchent, mais moi je n’ose pas. Ce n’est pas dans mon éducation, alors je reste pauvre !! ». Notre interlocuteur sait en effet de quoi il parle, la réalité étant qu’il existe effectivement chez de nombreux jeunes ce désir de se lancer dans les affaires en prenant le soin de se trouver d’abord un protecteur au niveau d’une institution publique ou d’un cercle du pouvoir. Pour beaucoup d’entre eux cette issue se présente comme l’unique voie de bien gagner sa vie, dans un pays qui offre très peu d’opportunités d’emplois bien rémunérés mais où il y a, par contre, beaucoup d’argent à amasser dans une multitude d’affaires qu’il suffit de savoir flairer et saisir opportunément. Toute une panoplie d’espaces destinés à l’enrichissement sans cause existent en effet, à commencer par le marché parallèle de la devise, les sociétés de négoce avec leurs lots de surfacturations et de tromperies sur la qualité des marchandises importées, les transactions immobilières frauduleuses, pour ne citer que les moyens d’enrichissement les plus en vogue. Les fortunes qui y sont amassées sans effort particulier, sont effectivement prodigieuses et à l’abri du fisc.
L’exercice du métier de « négociant clandestin » n’exigeant pas de sortir d’une grande école de commerce, seule la débrouillardise « El Qafza »,couplée à un réseau de solides connaissances (El Maarifa », comptent dans ce type de business qui peut, du jour au lendemain, faire de vous un archi milliardaire. Comment s’étonner alors que le travail productif soit autant dévalorisé et que soit, par contre, glorifié l’accès rapide et sans efforts, aux fortunes rentières. Les jeunes sont, de ce fait, de plus en plus nombreux à rêver de gagner des millions sans travailler, au risque de sombrer, comme ça sera parfois le cas, dans la délinquance.
On comprend alors la frénésie d’une frange de plus en plus importante de la population pour ce type de pratiques et il n’est, aujourd’hui pas rare de voir certains parents pousser leurs enfants dans cette voie, en leur avouant que faire des études poussées dans les conditions présentes, n’est assurément pas le meilleur moyen de s’offrir un bon pouvoir d’achat. L’enrichissement sans cause publiquement proclamé comme meilleur moyen d’enrichissement et d’ascension sociale est, de ce fait, en train de pervertir la société algérienne qui perd progressivement le sens des valeurs qui structuraient harmonieusement la société algérienne, à savoir, l’amour et l’ardeur au travail, l’honnête et le respect des lois. Il y a vraiment danger dans la demeure !