Les dirigeants des pays africains, à l’exception du Swaziland (qui continue de reconnaître l’indépendance de Taïwan), ont participé au cinquième Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC) à Pekin en début de ce mois de septembre. Une fois de plus le président chinois Xi Jinping s’est positionné en bienfaiteur du continent noir, avec des promesses de prêts, dons et financement du développement. Toutefois, un certain nombre d’arguments invitent les dirigeants africains à exiger un cadre de coopération de véritable win-win, qui fait défaut.
C’est devenu presque la norme, chaque fois que la Chine réuni ses « amis » africains, elle s’engage sur des montant qui, de prime abord sont perçus comme étant importants. Cette fois encore le président Xi Jinping a annoncé une disponibilité financière de 60 milliards $, a réexpliqué son ambition One Belt One Road et a promis d’élargir la coopération à des secteurs comme la santé, l’éducation et la culture. Ce niveau d’engagement représente exactement le même montant que celui qui avait été pris, il y a trois année, lors de l’avant-dernier FOCAC de Johannesburg en Afrique du sud. Ces engagements peuvent paraître comme une manne, au regard du repli des volumes de capitaux en provenance des partenaires traditionnels de l’Afrique que sont les pays occidentaux, tant en matière d’aide publique au développement que sur le plan des investissements directs étrangers. Mais dans la réalité et le détail des chiffres et des faits, les grandes annonces du forum de coopération Chine-Afrique, font face à de grosses faiblesses, au désavantage des Africains. Trois recommandations pour rééquilibrer ses rapports avec l’Empire du milieu :
1) Surveiller étroitement le volume des échanges et des contrats de service où la Chine reste (trop) gagnante : Le premier point c’est que, quoiqu’on en dise, le financement de la coopération demeure faible au regard de ce que la Chine gagne en Afrique. Depuis le premier forum Chine-Afrique qui s’est tenu en 2006, ce sont au total des engagements pour 155 milliards $ qui ont été annoncés par l’Empire du milieu. Si on prend en compte le fait que le dernier s’étalera sur les trois prochaines années, cela fait un peu plus de 11 milliards $ mis chaque année à la disposition de l’ensemble des pays africains dans le cadre du FOCAC.
Des chiffres collectés par l’Agence Ecofin auprès des différentes banques centrales de la région, il ressort que ces grandes annonces du FOCAC des 12 dernières années ne représentent donc en moyenne que 0,5% du PIB global du continent en 2017 (2216 milliards $). Or la Chine tire de substantiels avantages, de cette position de leadership qu’elle a vis-à-vis de son partenaire. Au-delà du soutien sur l’échiquier politique mondial, les rendements de cette coopération sont très positifs pour elle.
La part payée par les Etats africains dans la réalisation des travaux chinois a toujours été plus importante que les prêts, sauf en 2016.
Selon des données officielles sur les activités des entreprises chinoises dans le monde, la valeur des contrats pour des prestations de service signés par ces dernières en Afrique a été de 390 milliards $ sur la période allant de 2006 à 2016. Enfin, des données publiées par la Johns Hopkins SAIS China-Africa Research Initiative sur les volumes des prêts chinois à l’Afrique (126,6 milliards $), suggèrent que le continent a payé de sa poche, une bonne partie des contrats réalisés par les entreprises chinoises.
L’effet de perte peut devenir plus important pour l’Afrique, si on rajoute le fait que les garanties de certain de ces prêts sont adossés sur des réserves de matières premières, ou de terres agricoles, privant ainsi la région d’une part non négligeable de ses ressources.
Sur le plan des échanges commerciaux de marchandises, la Chine est devenue excédentaire net sur son partenaire dès 2015 et cette situation demeure inchangée. Au total entre 2006 et 2016, le gain net pour le pays de Xi Jinping a été de 48 milliards $.
2) Donner moins d’écho aux effets d’annonces et davantage aux résultats concrets : L’autre défi des annonces des engagements chinois, c’est la vitesse du décaissement. Très souvent, les chefs d’Etats africains sont pressés de faire le bilan de leurs voyages en Chine, et le nombre des accords signés incarne souvent le degré de réussite de la stratégie diplomatique du pays. De nombreux Etats africains, ont profité de l’événement pour organiser des forums d’affaires ou officialiser des échanges sur des contrats ou des prêts.
Cependant, de récentes recherches se sont focalisées sur le degré d’exécution de ces engagements chinois pour révéler que le gros des accords pris, ne fait parfois pas l’objet d’une exécution efficiente. Ces annonces avec la Chine prennent parfois la forme d’Accord de Principe sur lequel il faut encore travailler. Or on a bien vu, comme c’est toujours le cas avec les administrations d’Afrique subsaharienne, que mettre du contenu dans ces engagements cadres peut devenir très complexe. Le perdant dans ce gap est très souvent la région.
On constate par exemple au Zimbabwe, qu’au cours des cinq dernières années, en particulier, une longue liste de projets a été identifiée comme « bancables » et inclus dans divers accords techniques et de coopération signés avec les Chinois, pour des montant proches de 33 milliards $ sur les 20 dernières années. Pourtant, de tous ces montants, moins de 2,5 milliards de dollars ont été débloqués à ce jour. Or la Chine, dans le même temps s’est offert des concessions foncières dans le pays, qui lui sont très profitables.
L’autre exemple est celui du Ghana. Au cours des deux dernières décennies, le pays a pris des engagements à hauteur de plus de 60 milliards de dollars. L’ancien président John Atta-Mills, par exemple, lors d’une visite d’Etat en Chine en septembre 2010, a signé des accords d’une valeur de plus de 15 milliards de dollars. À ce jour, le Ghana a reçu de manière effective, environ 3,5 milliards de dollars de la Chine.
3) Equilibrer les responsabilités, avant que ne survienne le désamour, comme avec l’Occident : La Chine toutefois ne devrait pas être blâmée seule de cette situation. Elle se montre généreuse, mais dure à la négociation des détails et des modalités de décaissements. Mais le fait est que la plupart des bureaucrates et des technocrates africains refusent de consacrer du temps et des efforts à comprendre les multiples facteurs qui influencent le déblocage des fonds promis en Chine. Au lieu de cela, ils se tournent simplement vers de nouveaux schémas lorsque les anciens ne parviennent pas trouver leur chemin. Au final, des dizaines d’accords de principe, parfois, ne parviennent pas au stade de réalisations concrètes.
De nombreux analystes estiment aujourd’hui que ce déséquilibre mérite d’être adressé par les leaders africains. Sur le sujet, beaucoup d’avis ont circulé dans les différentes délégations africaines qui ont fait le déplacement de Pekin, mais c’est le président sud-africain Cyril Ramaphosa qui a ouvert les hostilités, mais avec beaucoup de délicatesse. Ce dernier qui s’est lancé dans une initiative de réformes foncières sans compensations pour des potentiels ex-propriétaires blancs, ne veut pas se fâcher avec la deuxième économie mondiale et partenaire des BRICS. « Le Forum sur la coopération sino-africaine devrait travailler pour équilibrer la structure du commerce entre l’Afrique et la Chine » et « nous sommes heureux que la Chine soit ouverte à cette proposition et encourage, en fait, un commerce équilibré pour un résultat gagnant-gagnant qui profite à la fois aux Chinois et aux Africains » a-t-il déclaré.
Ecofin