Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’Etat algérien a été particulièrement généreux avec le secteur agricole, auquel il a consacré pas moins de 1200 milliards de dinars au cours de ces dix dernières années. A cette prodigieuse manne financière sont venus s’ajouter tous les capitaux et aides multiformes accordés aux agriculteurs sous formes de crédits régulièrement épongés par les autorités politiques. Les exploitations publiques et privées n’ont de ce fait jamais été à court d’argent public et si les comptes bancaires des fellahs n’affichent pas toujours d’excédents de trésorerie ce n’est certainement parce que ces derniers ont moins récoltés et vendus, mais parce qu’ils ont de plus en plus tendance à être investir leurs revenus en dehors des campagnes.
Même si la rentabilité des investissements laisse à désirer, cette masse de capitaux publics a tout de même permis à une agriculture moribonde de reprendre quelques couleurs et d’entamer petit à petit le chemin de la croissance qu’elle a perdu depuis le milieu des années 80. Petit à petit l’agriculture qui emploie 1,6 millions de personnes a gagné des points de croissance au point de devenir en 2016 le premier contributeur à la richesse nationale, avec un peu plus de 11% du produit intérieur brut (PIB)). La réalisation de grands périmètres irrigués, la mise en valeur de centaines de milliers d’hectares, l’extension des surfaces céréalières, arboricoles et autres, ont à l’évidence beaucoup contribué à l’augmentation du potentiel agricole algérien. S’il est vrai que l’Algérie est toujours dépendante des importations de produits stratégiques comme le blé et le lait, la compensation a tout de même commencé à s’opérer au moyen des cultures maraîchères et de l’arboriculture dont les récoltes saisonnières enregistrent record sur records ces dernières années, au point de créer aux fellahs de sérieux problèmes de méventes. Un problème que l’Etat a tenté de régler au moyen du stockage en frigo des quantités excédentaires et de leur déstockage progressif au fur et à mesure du déroulement des récoltes. Les fellahs n’ont de ce fait jamais subi d’effondrements dramatiques des prix agricoles depuis l’été 2010, date à laquelle fut lancée cette politique de régulation par le stockage dans des chambres froides.
Le surcroît de production dégagé par certaines exploitations agricoles a, à l’évidence, redynamisé l’aval agricole au point que le chiffre d’affaire réalisé par les industries agroalimentaires représente aujourd’hui près de 50% la production industrielle nationale, hors hydrocarbures. C’est dire l’importance de ce secteur appelé à donner encore davantage de valeur ajoutée au pays en raison de l’importance des capitaux qui y sont investis et de la tendance à l’amélioration des performances productives qu’on commence déjà à percevoir tant au niveau des exploitations agricoles que dans les unités agroalimentaires.
S’il est encore loin de l’optimum, l’amont agricole commence, en effet, à dégager dans certaines filières des excédents susceptibles d’alimenter l’aval agricole, en l’occurrence les usines de transformation qui se multiplient sur tout le territoire national. Mais en dépit de l’accroissement massif des capacités de stockage en frigo et de la construction de nombreuses conserveries industrielles (jus de fruits, confitures, conserves de légumes etc.) les exploitants agricoles continuent aujourd’hui encore à appeler l’Etat à leur rescousse pour trouver solution aux excédents de produits périssables qu’ils ne parviennent pas à écouler notamment en période chaude. C’est le cas pour les agrumes, certains fruits et légumes, le lait de vaches et, quelques fois même, les viandes blanches qui doivent impérativement être stockées en chambres froides ou rapidement transformées en conserves industrielles. C’est sans doute en raison de ces substantiels surplus de production qu’a pris l’habitude de dégager l’agriculture, qu’un réel engouement pour l’industrie agroalimentaire s’est emparé de nombreux investisseurs nationaux et étrangers. Ce surcroît d’intérêt est perceptible à travers les initiatives multiformes mises en œuvre dans diverses filières agroalimentaires allant de la fabrication de conserves à base de légumes et fruits, en passant par la transformation des céréales et du lait en divers produits alimentaires (biscuits, yaourts etc.).
Si l’Etat continue aujourd’hui encore à détenir de nombreuses entreprises de la filière agroalimentaire, force est de constater que c’est le privé qui prédomine largement, aussi bien à l’amont, qu’à l’aval agricole. Le privé national et étranger tend même à conforter chaque année un peu plus sa présence en y promouvant de gros investissements. Jugeant l’investissement rentable dans pratiquement toutes les filières de l’agroalimentaire, des investisseurs français, espagnols, italiens, arabes sont déjà pied d’œuvre dans différentes régions agricoles du pays. Seuls ou en partenariat avec des opérateurs algériens, ils n’hésitent plus à se lancer dans des initiatives qui rapportent gros tant le marché est demandeur. Longtemps restés en marge de cet élan d’investissement, les grandes firmes agroalimentaires françaises ont-elles aussi décidé d’avoir une politique plus volontariste en direction du marché algérien. Ces trois dernières années ont, à titre d’exemples, été marquées par la signature de huit conventions cadres visant à développer en association avec des exploitants publics et privés algériens, les filières de la viande, des fruits et des légumes. La coopération porte notamment sur le transfert de savoir faire dans les domaines de la mécanisation agricole, le développement des semences, la fertilisation des sols, le stockage et l’agriculture saharienne. Les exemples de création, en collaboration avec certains producteurs français, de centres de production et de transformation de lait de vaches commencent également à voir le jour notamment en Kabylie (cas des localités de Fréha et de Béjaia érigées en zone verdoyante d’élevage et de production laitière pour l’une et en pôle agroalimentaire regroupant de grandes entreprises privées telles que Cévital, Danone, Soumam et Ifri, pour l’autre.
Les investissements publics mis en œuvre tout au long de ces dix dernières années au profit de l’amont agricole, ont commencé à porter leurs fruits au nord comme au sud du pays. L’augmentation massive et multiforme de la production agricole qui en a résulté est de nature à impulser une très forte dynamique à l’industrie agroalimentaire. Des unités de production nouvelles sont nombreuses à avoir démarré et d’autres sont en cours de réalisation. Celles qui fonctionnaient au ralenti pour insuffisance d’approvisionnements ont pu augmenter leurs performances productives à la faveur de ce relatif accroissement de la production agricole qui sera certainement confortée dans les prochaines années. Certains producteurs de conserves et de jus comptent même abandonner l’importation d’intrants au profit des fruits et légumes produits localement, mais il reste à régler la question des normes de production que ne respectent malheureusement pas les agriculteurs algériens. Une importante entreprise de conserves a déjà commencé à entreprendre des démarches dans ce sens. De fructueux partenariats entre opérateurs algériens et étrangers, sont également en train de se développer pour déployer encore davantage cet effort devant permettre à l’Algérie de réduire à terme sa dépendance alimentaire. L’enjeu est en effet de taille, quand on sait que le pays est depuis quelques années le premier importateur africain de denrées alimentaires. Pas moins de 75% de ses besoins alimentaires sont en effet assurés par les importations.