L’Europe est mal en point. L’observateur extérieur ne peut que constater les difficultés qui se sont amoncelées depuis plusieurs années. Réponse désordonnée à la crise financière, inexistence face aux conflits, discordes internes, institutions contestées … Le coup de tonnerre du Brexit , la crise de l’immigration, la montée des populismes et des partis extrêmes dans plusieurs nations ont amplifié l’impression de désunion, voire de délitement. Individuellement, les Etats membres ne sont pas tous au mieux de leur situation : faiblesse politique au Royaume Uni, crise de la Catalogne en Espagne, incertitudes italiennes, effacement portugais, déconvenue électorale en Allemagne, montée des nationalismes en Europe centrale… . Peu d’éléments objectifs plaident en faveur d’une Europe désormais en phase critique.
Les Britanniques avaient imposé depuis une quinzaine d’années, la politique d’une Europe/grand-marché-intérieur, vaste zone de libre échange, loin des ambitions d’intégration économique et politique des années 1960, ravivées dans les années 1980. L’élargissement de l’Europe à 28 rendait d’ailleurs chimérique toute politique réellement intégrée. Seule la politique monétaire de l’Euro a pu se concrétiser entre un nombre limité de pays participants.
Paradoxalement, le Brexit a mis un terme à la prééminence de l’approche britannique, ce qui, tout à coup, laisse place à d’autres orientations.
Celles-ci peuvent être parfaitement contradictoires et opposées. D’un coté, les mouvements hostiles à l’Europe ont, fortement progressé un peu partout (Royaume Uni bien sur, France, Pays bas..) et parfois même en Europe de l’Est (Pologne, Autriche), approchent de près le pouvoir.
Mais de l’autre coté, des voix commencent à se faire entendre pour entreprendre un effort de reconstruction, plus exactement de refondation.
Puisque les britanniques ne sont plus là pour bloquer toute autre initiative que le Marché unique, il y a place pour de nouvelles orientations, sans doute plus ambitieuses, quitte à donner à l’Europe d’autres objectifs et surtout d’autres pratiques. Dans son discours de la Sorbonne, le président français a tracé les grandes lignes du projet qu’il veut faire partager. Sécurité, maitrise des frontières, transition énergétique, solidarité et partenariat avec l’Afrique et le Maghreb, doivent compléter la poursuite de l’effort d’intégration économique et monétaire, socle incontestable. La coopération intellectuelle (numérique) et culturelle (suite des programmes Erasmus) doit être amplifiée. Bref, les chantiers sont multiples et l’ambition demeure forte.
Qui, dès lors, pour construire cette Europe refondée ?
Pour simplifier, le schéma d’évidence est celui d’une Europe à plusieurs dimensions, à plusieurs vitesses à laquelle participeraient les Etats en fonction de leur propre rythme. Comme s’est constituée un « zone Euro » entre ceux qui voulaient se doter d’une monnaie commune. Il est évident en effet que 27 pays ne peuvent adopter au même moment les mêmes initiatives et qu’il faut y réintroduire souplesse et opportunité.
Pas de marche forcée donc, mais il faut un moteur. Et ce moteur ne peut être que le couple France –Allemagne. Pas seuls certes et le groupe des pays les plus engagés comptera d’autres membres. Mais sans entente Allemagne-France, rien ne peut se faire, compte tenu à la fois de l’histoire et des réalités politiques et économiques de l’Europe d’aujourd’hui.
C’est là le sujet principal d’aujourd’hui.
La France a connu une indiscutable perte d’influence durant les deux quinquennats de Sarkozy et Hollande. Pendant ce temps, l’Allemagne exerçait un leadership incontesté (crise grecque notamment) mais ne pouvait à elle seule donner de nouvelles impulsions à une Europe. Celle-ci était, au demeurant, paralysée par les divergences entre ses membres, trop nombreux pour s’entendre sur une approche politique commune sur presque tous les sujets.
Depuis un an, le schéma s’est inversé : la France reprend des couleurs et la confiance réapparait, à l’intérieur comme à l’étranger. Au même moment l’Allemagne connait un coup d’arrêt. Ses performances économiques sont moindres et sa situation politique, personnifiée par la chancelière Merkel vacille soudain. Plus de 3 mois sans gouvernement constitué, d’interminables négociations sur un programme, voilà qui peut ruiner le crédit psychologique d’un pays et de ses dirigeants. La bonne nouvelle est que pour parvenir à la « grande coalition » avec les socialistes, Mme Merkel a du introduire des perspectives européennes auxquelles ses électeurs propres n’étaient initialement prêts. La construction européenne a repris pour le nouveau gouvernement une place prioritaire qu’elle n’avait initialement pas conservée.
Le « couple franco allemand » n’est pas une vaine construction. C’est au travers de l’entente entre les deux pays, à l’époque de dirigeants d’exception (De Gaulle/Adenauer, Giscard d’Estaing/Schmidt, Mitterrand/Kohl) que les grandes étapes de la construction européenne ont été menées à bien. Dans un registre plus modeste, Macron et Merkel peuvent ouvrir une nouvelle époque, celle d’une Europe refondée, centrée autour de quelques objectifs essentiels (sécurité, immigration, politique budgétaire, éducation et culture par exemple). Avec la participation résolue des Etats désireux d’aller ensemble de l’avant, des politiques sans cesse plus intégrées pourraient voir le jour.
Au-delà de ces noyaux, des cercles de coopération avec les autres membres de l’actuelle Union devraient être mis en place, sans que cela constitue contraintes et bureaucratie envahissantes.
C’est là la possibilité d’une Europe plus souple mais plus robuste, qui ne vise pas à l’uniformité unanime de 27 nations différentes mais qui, pour ceux qui y participeraient, serait un engagement politique, structurel et durable.
Le jeu, à l’instant présent, est ouvert. Il repose pour l’essentiel sur la situation de l’Allemagne dans l’année qui vient. La chancelière Merkel, européenne convaincue mais politicienne avisée, doit naviguer entre ses alliés anciens, peu ouverts à plus d’intégration, et se nouveaux partenaires, partisans décidés de « plus d’Europe ». Côté français, Macron souhaite imprimer sa marque à un nouveau chapitre et ne ménagera pas ses efforts pour cette refondation.
L’année qui vient sera décisive.
Jacques Bille