- Advertisement -
Le premier ministre Ahmed Ouyahia, vient d’adresser aux ordonnateurs de marchés publics (ministres, grandes institutions publiques et autorités locales) ainsi qu’aux organisations syndicales auxquels il demande le soutien, une directive datée du 7 septembre 2017, leur enjoignant de réduire autant que possible le niveau des importations en privilégiant les producteurs nationaux qui postulent aux appels d’offres. La facture des importations, est-il souligné, aurait dépassé allégrement les 70 milliards de dollars alors que les recettes d’hydrocarbures stagnent autour de 30 milliards à peine, ce qui rend la situation financière du pays intenable et clairement exposée aux périls de l’insolvabilité. A l’évidence, cette directive vise à mettre les opérateurs publics que sont notamment les ministères et les walis devant leurs responsabilités en cette période de restrictions budgétaires. Les organisations syndicales, à l’instar de l’UGTA, sont quand à elles interpellées afin qu’elles veillent aux grains en rappelant à l’ordre les ordonnateurs qui n’appliqueraient cette directive, à relents à peine voilés, de patriotisme économique.
Le patriotisme économique et l’idée de réduire les importations au moyen de la préférence algérienne, n’est en réalité pas nouvelle. On retrouve cette rhétorique chez tous les chefs de gouvernements qui se sont relayés, y compris ceux qui gouvernaient dans l’aisance financière procurée par les niveaux record de recettes d’hydrocarbures. Ils ont à plusieurs reprises modifié le Code des Marchés Publics pour accorder en usant de diverses subtilités juridiques la préférence aux produits nationaux allant même jusqu’à interpeller les entrepreneurs algériens, mais sans leur en donner les moyens, sur la nécessité de se lancer dans l’industrie de produits exportables. Les résultats n’ont malheureusement pas suivi, puisque nos entreprises continuent aujourd’hui encore à tout importer et à ne pratiquement rien exporter. La situation dramatique dans laquelle se trouve notre commerce extérieur n’est en réalité pas dû à un manque de patriotisme dont seraient coupables les entrepreneurs algériens. Il est tout simplement dû à un accord international signé en 2003 par le gouvernement algérien. Accord par le quel l’Algérie rejoint la zone de libre échange euro-méditerranéenne à l’intérieur de laquelle le commerce est sans frontières et sans taxes douanières. Il sera suivi quelques années après par un autre accord de libre échange avec certains pays arabes qui ne draine pas autant de flux commerciaux mais qui fait, lui aussi, beaucoup perdre au pays. Il est vrai que ces accords ouvraient la voie aux produits des pays européens et arabes, mais il est absolument faux de dire qu’il les fermaient aux marchandises algériennes qui ont la possibilité d’être vendus sur les marchés européens et arabes pour peu qu’ils répondent aux principes de préservation de la santé publique et que le rapport qualité-prix leur donnent des chances d’être acceptés par la plus large clientèle possible. Ce n’est malheureusement pas ce qui s’est réellement passé. Alors que les tunisiens et les marocains tous membres de ces zones de libre échange ont su tirer leur épingle du jeu, l’Algérie forte de ses disponibilités financières (200 milliards de dollars de réserve de change) a choisi la solution de facilité. Celle consistant à importer tous azimuts, pour satisfaire une clientèle avide de produits étrangers qu’elle peut désormais se permettre car solvabilisée par de substantielles hausses de salaires octroyées par le gouvernement pour acheter la paix sociale à la veille du « printemps arabe ». L’état d’esprit n’ayant guère changé, il ne sera évidemment pas facile d’opérer des changements dans les mentalités qui continueront longtemps à préférer les produits étrangers à ceux fabriqués localement, d’autant plus qu’il n’y a en réalité que très peu de produits de qualité à mettre sur le marché local. Il faut en effet savoir que les importations ruineuses qui se sont effectuées tout au long de la décennie se sont faites au détriment de l’appareil de production national qu’elles ont fini par laminer. L’appareil industriel algérien aurait perdu entre 45.000 et 50.000 entreprises de production chaque année de 2009 à ce jour, selon des chiffres concordants fréquemment rapportés par la presse. Au point où des ministres n’ont pas hésité à parler de « désertification industrielle ». Cette désertification industrielle n’étant toujours pas réparée (la contribution de l’Industrie au PIB ne dépasse guère 3%), l’interpellation d’Ahmed Ouyahia en vue « d’acheter algérien » ne sera à l’évidence qu’un vœu pieux destiné à la consommation interne. Elle sera de nul effet pour la simple raison que ce qui reste de l’industrie algérienne n’a plus grand-chose à offrir aux algériens qui ont, de surcroît, découvert les attraits des produits importés.
Aux restrictions qui seront imposées aux importateurs se substitueront nécessairement les importations frauduleuses de produits prisés par les algériens. Il suffit de se rendre dans les aéroports pour constater le retour massif du commerce de la valise et dans les showrooms de voitures, la présence d’automobiles de toutes marques importées au gré de formules « claires obscures ».
La directive d’Ahmed Ouyahia ne fait curieusement qu’à peine allusion aux importations de services qui, ces dix dernières années, ont augmenté beaucoup plus rapidement que la croissance de la valeur ajoutée qu’elles étaient sensées générer. Ce sont pas moins de 11 milliards de dollars qui s’évaporeraient ainsi chaque année pour financer des études d’architectures et d’urbanisme ainsi que diverses formes d’ingénierie que certains bureaux d’études algériens se font forts de pouvoir réaliser. Une affirmation qu’il faut évidemment vérifier, mais pourquoi ne pas donner leurs chances aux architectes et ingénieurs algériens, ne serait-ce que pour acquérir de l’expérience.
Le secteur commercial, tout comme celui de l’industrie, qui se sont peu modernisés depuis l’adhésion du pays aux zones de libre échanges euro-méditerranéenne et arabe, auraient même tendance à s’engager dans le sens d’une « informalisation » croissante et, de plus en plus, contraignante pour les acteurs de l’économie légale, pour ceux qui veulent remplir correctement leurs rôles d’industriels et de commerçants modernes et ouverts sur le monde. De ce fait, la propagation de la concurrence déloyale, avec toutes les conséquences négatives sur le développement économique du pays, est à redouter car difficile à combattre après qu’elle ait pris, comme c’est malheureusement le cas, profondément racine dans la société algérienne.
Plutôt qu’à chercher vainement à entraver par des mesures administratives qui resteront, comme toutes celles qui les avaient précédées, lettres mortes c’est contre le marché informel qu’il aurait au contraire sévir, car l’Etat a effectivement beaucoup à gagner de la réduction du champ de l’économie parallèle. Et les lois et les moyens de lutte existent pour cela. Il suffit seulement de les appliquer. Le cantonnement, ne serait ce qu’à une proportion gérable, de ce fléau qui ferait perdre à l’Etat pas moins de 400 milliards de dinars chaque année, est en effet de nature à faire profiter le pays et les opérateurs économiques légaux d’une manne fiscale non négligeable dont le Trésor a tout particulièrement besoin en cette période déclin des recettes d’hydrocarbures.
- Advertisement -