Fixer les populations dans leurs lieux d’origine dans un pays aussi vaste que le notre et où le territoire connait, de surcroît, de fortes disparités de développement, ne sera assurément pas une mince affaire pour le gouvernement. L’extrême gravité du problème devrait pourtant nécessairement le contraindre à réfléchir à des mesures à prendre de toute urgence pour, au minimum, atténuer l’ampleur de l’exode qui dépeuple nos campagnes et déstabilise nos villes. Une très lourde charge autrefois posée sur les frêles épaules de l’ex ministre madame Dalila Boudjemââ et qui vient d’être confiée, sans doute par souci d’efficacité à Nouredine Bédoui, un des poids lourds du gouvernement tebboune, qui cumule désormais les fonctions de ministre de l’Intérieur, des Collectivités Locales et de l’Aménagement du Territoire.
L’état des lieux que ce dernier trouvera ne sera à l’évidence guère brillant, puisqu’en 1986 déjà le recensement (RGPH) de l’Office National des Statistiques avait mis en évidence qu’un peu plus de 12 millions d’algériens s’entassaient dans les villes côtières et les agglomérations urbaines des plaines immédiatement attenantes. Ce qui revient à dire, qu’en ce temps là déjà, plus de 60% de la population algérienne avait élu domicile sur cette bande du territoire, qui représente pourtant à peine 10% de la surface totale du pays, laissant les Hauts Plateaux et les zones habitables du Sud, dans un état de sous peuplement alarmant. Une dynamique de désertification humaine de l’Algérie profonde était par conséquent déjà largement entamée à cette date.
Elle ne fera qu’empirer les années suivantes sous le double effet de la paupérisation rurale et de l’insécurité qui a tout particulièrement affecté les petits villages durant la décennie noire. Le monde rural s’est tellement dépeuplé au profit des villes du littoral que les algériens donnent aujourd’hui l’impression de tourner le dos à leur vaste pays. Le plus grave est qu’une bonne part des populations qui ont pris la destination des villes a laissé dans leurs localités d’origine des logements généralement auto construits durant les années 70 et 80, pour demander à nouveau d’être logés dans les villes d’accueils.
C’est ainsi qu’en 1996, le ministère de l’Habitat avait estimé à plus de 500.000 le nombre de logements inoccupés localisés, pour la plupart, dans les zones rurales en proie à la terreur des islamistes. Les choses ne se sont guère arrangées depuis, bien au contraire. Et même si les programmes de développement agricoles (PNDA, élargissement des périmètres irrigués etc.) ont quelque peu réfréné les départs, le monde rural continue à perdre chaque année, entre 50 et 60000 habitants, partis s’agglutiner dans les périphéries urbaines, incapables de faire face à une telle déferlante. Les bidonvilles qui y ont vu le jour, ne sont qu’une des conséquences, sans doute la plus dramatique de ce trop plein.
Les 250.000 logements que l’Etat a spécialement consacrés à la résorption de ces poches de bidonvilles qui se sont spontanément constitués, à l’intérieur comme à la périphérie des tissus urbains, ne sont malheureusement pas parvenus à mettre fin à cet épineux problème qui, au fil du temps, prenait l’aspect du mythique « tonneau des Danaïdes ». Faute d’emplois et de prise en charge en matière de santé‚ d’éducation et de loisirs, commenceront à apparaître dans ces banlieues, les phénomènes de pauvreté et d’exclusion, avec tous les maux sociaux qui leur sont liés: délinquance, insécurité‚ commerce informel, extrémisme etc.
Par ailleurs, nos villes n’ayant pas une tradition urbaine suffisamment forte pour intégrer à leurs modes de vie, ces populations déracinées, ce sont précisément ces dernières qui finiront par imposer leurs façons de vivre. Commence alors le processus de » rurbanisation » qui s’exprime à travers le développement de certaines pratiques qui n’ont de raison d’exister qu’en milieu rural: pratique de cultures vivrières et, quelques fois même, élevage de bestiaux au pied des immeubles, accoutrements inappropriés à la vie urbaine, exclusion de la femme des activités publiques, insensibilité à l’esthétique architecturale et urbanistique, peu d’intérêt pour l’hygiène publique etc. Dans pratiquement toutes les cités où elles se sont implantées en masse, ces populations déracinées se sont évertuées à « recréer leurs douars », comme si le seul bonheur possible n’était qu’à cette condition.
Pour faire barrage à cette « rurbanisation » rampante qui altère aussi bien le comportement du citoyen que l’environnement dans lequel il évolue, on ne connaît à travers les expériences de pays qui ont eu à gérer ce genre de situation, qu’un seul remède efficace. Il s’agit de l’aménagement du territoire, qui consiste en la mise en œuvre d’une politique d’équilibre régional plaçant l’Homme au cœur du développement économique et social, en mettant notamment en valeur le lieu où il vit, le but étant de l’y fixer durablement. L’aménagement du territoire est certes, un programme d’actions qui ne paye qu’à long terme, mais qui a l’inestimable avantage d’aller au fond du problème de la désertion du monde rural, en portant le développement, là où son absence (ou son insuffisance) pousse les hommes à partir. Pour ce faire l’Etat est sollicité, non seulement, en tant que régulateur chargé d’orienter au moyen de mesures incitatives, les investissements publics et privés vers ces zones, mais également, en tant qu’investisseur direct, chargé de la promotion des grandes infrastructures de base parmi lesquelles les routes et les dessertes ferroviaires devraient pour longtemps encore continuer à être privilégiées.
Il est en effet bien connu, que là où passe la route et où s’arrête le train, l’activité économique se développe, des logements se construisent et les populations s’y fixent. L’intervention soutenue de l’Etat pour la construction d’équipements socio-éducatifs et la prise en charge de services de proximité‚ (école, centre de soins, administration, poste etc.) est tout aussi essentielle, si on tient, au minimum, à stabiliser les flux migratoires.