En réaction aux effets de la chute des prix du pétrole, l’objectif de quitter la sphère de l’exportation d’un produit unique s’est vite profilé, érigeant en mot d’ordre les alternatives de la diversification des exportations. Cette démarche aléatoire de diversification des exportations a ciblé le marché africain, perçu par beaucoup d’opérateurs comme débouché naturel et facile à investir.
Dans l’ordre de cette logique, lors de différentes rencontres sur ce thème, les échanges n’évoquèrent aucunement les considérations liées à la chaîne logistique. Bien que tout projet de ce genre ne puisse contourner un faisceau d’interrogations couvrant l’ensemble des aspects liés à l’efficience et à l’efficacité de la chaîne logistique en place.
L’un des premiers paramètres d’intégration à la mondialisation des marchés réside dans l’existence d’un réseau logistique développé, capable d’assurer en permanence la fluidité des flux de marchandises, des flux d’informations, de désenclaver l’ensemble des régions participant à l’animation économique et enfin, connecté selon les normes exigibles aux réseaux internationaux.
En Algérie, malgré les efforts de renforcement, de modernisation et de développement de l’ensemble des infrastructures, leur dynamique cependant demeure limitée. Cela ne permet pas encore d’éliminer l’existence de dysfonctionnements émanant de contraintes logistiques nuisibles à la compétitivité dans le cadre de la mondialisation des marchés. Ces contraintes logistiques sont dues aux logiques relatives aux hypothèses de gestion encore confinées dans des paradigmes tayloriens.
L’un des observateurs de la logistique des pays de la rive sud de la Méditerranée, particulièrement celles du Maghreb1, estime que la moyenne des coûts logistiques équivaut à 20% du PIB. Ce coût élevé à l’impact très négatif et pénalisant a été indirectement confirmé récemment par le Ministre Algérien des Transports et des Travaux Publics lors d’une émission matinale de la chaîne 3. Au cours de cette émission, il avait évoqué que les coûts de fret maritime vers notre pays sont prohibitifs, les situant à 30% du prix du produit transporté.
Il est d’évidence qu’en Algérie, la compréhension actuelle de la chaîne logistique réfère à de vieux paradigmes, dans le sens où la notion de chaîne de valeur logistique est entièrement occultée. Cela fait en sorte que les exportations potentielles ne peuvent être compétitives sur le marché mondial. Cependant, il sera tout aussi impératif de prendre la mesure d’un paramètre incontournable : celui d’un contexte international, fondé sur une compétition impitoyable, dans lequel le management de la chaîne logistique constitue une fonction déterminante.
La règle de base pour demeurer compétitif sur tout marché international oblige l’intégration du facteur fondamental relatif à la maîtrise du système de la chaîne logistique dans sa globalité. Cette maîtrise est considérée par l’ensemble des États comme enjeu déterminant. Or, la réalité de notre pays montre que les conditions de ce niveau de maîtrise de chaîne logistique n’existent pas encore. Rappelons cependant que les axes stratégiques de développement d’infrastructures de soutient aux chaînes logistiques ont été consacrés en 2010 par la loi portant SNAT2.
La problématique du dispositif portuaire
Dans la perspective d’engager un processus d’exportation hors hydrocarbures, le dispositif portuaire actuel constitue un facteur contraignant qui ne peut soutenir la compétitivité des entreprises ayant des potentiels d’exportation. Les facteurs essentiels de la faiblesse de nos ports résident, d’une part, dans la nature de leurs capacités, insuffisante et incompatible avec les standards de la massification, et d’autre part dans les faiblesses managériales sous-tendues par des paradigmes éculés. Pour ces raisons il leur est impossible de se connecter de façon cohérente et performante aux réseaux de chaînes logistiques externes. Ce qui les maintient dans une posture de ports de niches très secondaires, frein à la compétitivité des entreprises.
Bien que leurs taux de connectivité maritime paraissent denses, ils ne peuvent assurer de liaisons directes de manière constante. Par exemple, une cargaison de moyenne importance destinée à un port asiatique, américain ou même d’Afrique de l’ouest transitera fatalement par un hub de transbordement.
Cette forme d’itinéraire indirecte par son coût élevé rogne jusqu’à corrompre les avantages concurrentiels de l’entreprise existants au départ. La destination Afrique, en raison des pouvoirs d’achats actuels des clientèles finales exige une réingénierie des processus logistiques pour les transformer en véritables chaînes logistiques réactives dont la collaboration constitue la pierre angulaire.
En tout état de cause, il ne faut pas oublier que le marché Africain est déjà investi par les exportateurs européens et asiatiques aux expertises bien aguerries. Tenant compte de ce facteur, la réingénierie des processus logistiques nécessite une démarche rigoureuse, innovante, novatrice et dynamique afin d’assurer un changement paradigmatique efficace et efficient.
D’un autre côté, les pays – africains tant ceux du nord que ceux du sud Sahara – commencent à conformer leurs systèmes de chaînes logistiques aux nouvelles exigences en terme de système d’information, d’infrastructure et de démarches managériales.
En Afrique, les projets d’infrastructures portuaires sont nombreux. Certains déjà en exploitation, se sont parfaitement intégrés aux itinéraires des grands flux de transport maritime. Tanger Med, qui par exemple en 2016 a frôlé les 5 millions de conteneurs dans le service assimilable aux exportations qu’est le transbordement. Les ports Égyptiens de Damiette et de Port Saïd réalisent respectivement 0,8 et 3,6 millions de conteneurs/an.
En Afrique les pays disposant d’infrastructures sur la façade atlantique dont la sphère d’influence traditionnelle est l’Afrique sahélienne ont déjà entamé la réalisation de grands ports en eaux profondes. Leur objectif sera entre autres de consolider leur marché, c’est-à-dire une partie de celui ciblé par l’Algérie.
Pour toutes ces raisons, le projet d’investir économiquement ces marchés, nécessite une démarche rationnelle et ordonnée tenant compte de tous les facteurs évoqués. L’enjeu étant aussi celui de l’État dont la responsabilité et de bâtir une vision irrésistible à partir de laquelle découlera une stratégie gagnante de chaîne logistique permettant une collaboration efficace et efficiente de l’ensemble des acteurs tels que ports, industriels, prestataires des activités annexes, douanes, services financiers…
Par ailleurs, l’objectif du port en eaux profondes d’El Hamdania, important à plus d’un titre, aurait dû être pensé sur la base d’une vision systémique intégrative de chaîne logistique, afin de dynamiser les capacités compétitives de tous les acteurs concernés. Ce défaut de vision à induit le l’improvisation et des décisions découlant de planification tacite d’essence décousue.
Par exemple, ce port annoncé en 2009, le choix du site d’El Hamdania n’a été fixé qu’en 2015. Le temps de cinq années mis pour le choix du site ne peut à notre sens s’expliquer. Aujourd’hui, les études de choix de site ne sont plus harassantes comme par le passé.
L’ingénierie du génie civil n’exigeant plus, techniquement, le choix de sites situés dans des anses protégées par le relief. Les nouvelles techniques ne nécessitent plus de longues durées de réalisation comme par le passé. Par ailleurs, lors de la décision de projet de nouveaux ports, il fut également question de renforcement de capacités des anciens ports.
El Hamdania, ne peut être perçu comme une avancée seulement par ses capacités d’infrastructure. Il ne peut s’installer durablement sur les circuits des flux logistiques transcontinentaux que s’il est pensé dans une logique de chaîne logistique étendue. L’enjeu, désormais sera de l’extirper de l’esprit paradigmatique actuel réductionniste fondé sur l’optimum local.
Ce changement paradigmatique constitue un pré requis à toute élaboration de vision et de stratégie. Il est nécessaire de rappeler que la mondialisation des marchés a conduit à repenser radicalement et fondamentalement le niveau de souveraineté de chaque maillon de la chaîne logistique.
En effet tous les collaborateurs de la chaîne logistique, dont les limites sont généralement supranationales, ne recherchent plus leur propre intérêt (optimum local) mais plutôt l’intérêt du client final de la chaîne (optimum global).
Cet état d’esprit de chaîne logistique étendue s’est transposé à l’organisation portuaire à travers un nouveau modèle de gouvernance et de management.
Il est vital pour les ports algériens de s’insérer dans cette logique de chaîne logistique étendue. Pour se faire il est nécessaire de mettre en place une stratégie rationnelle et claire, de nature systémique. Un changement radical et fondamental, dans le sens que la vision processuelle doit être transversale intégrant tous les collaborateurs de la chaine logistique afin d’optimiser la valeur fournie au client final. Aussi, il est primordial de consolider un état d’esprit basé sur la confiance en soi et en celui de tous les collaborateurs de la chaîne logistique afin de se substituer au paradigme funeste des préjugés d’incapacités qui semblent s’ériger en règle.
C’est dans la logique de cet esprit que s’est construit le concept de place portuaire venu se substituer à la notion de port. Le mode de gouvernance a évolué, l’autorité portuaire n’est plus dans une logique d’ordonnateur impératif, mais plutôt de régulateur en tant maillon de la chaîne logistique, donc de la chaîne de valeur. Dans cette logique, l’autorité portuaire est dans l’obligation de s’imprégner des méthodes de gestions basées sur des démarches managériales permettant de maximiser le profit, de réduire les gaspillages (la non valeur ajoutée au client final) et de réduire la variabilité dans les processus de transaction de toute la chaîne logistique.
La communauté de la place portuaire, composée de toutes les entités participantes à l’activité portuaire et bénéficiaire de ses services, ainsi que celles de soutient légal et réglementaire, au-delà de leurs intérêts particuliers ou de leurs divergences, convergent vers l’intérêt général, c’est-à-dire l’optimum global de la place portuaire.
Il est également temps de s’interroger avec clarté sur le devenir des ports actuels. Des perspectives d’intégration à une chaîne logistique étendue est envisageable. Cependant il est nécessaire de fonder concrètement leur avenir dans une stratégie intégrative, tenant compte des expertises respectives, capables de faire émerger des dynamiques de spécialisation conséquentes.
Dans l’état actuel, a titre d’exemple, outre l’approche d’extension de terminaux, conteneurs, céréaliers ou autres en perspective hubs dont la portée ne pourra concerner que deux ports au maximum, car ils disposent de capacités humaines conséquentes. Aussi, le réseau de chaîne logistique étendue de la croisière pourra objectivement être organisé et réalisé.
La démarche de construction de ses stratégies complémentaires à celle du Port du Centre ne doit pas ignorer l’importance du paramètre « évolution de l’Afrique ». La recherche de la maximisation de la valeur de la chaîne logistique ne peut se faire qu’en épousant une culture organisationnelle relative au management de la complexité dynamique qui focalise sur l’optimum global.
Ce n’est que de cette façon, il n’en existe pas d’autres, que la chaîne logistique pourra être réactive aux turbulences de l’environnement, c’est l’essence même de l’intelligence économique.
Dans le monde, les ports, donc les concurrents futurs du système portuaire algérien, se sont depuis longtemps adaptés à cette approche de chaîne logistique étendue. Sur le plan international, la concurrence s’étant focalisée entre les chaînes logistiques, la coopération entre concurrents intègre le paramètre d’une nécessaire évolution dans une même chaîne logistique, la logique exige la formalisation d’un range Sud Méditerranéen, à l’exemple de celui de la Mer du Nord.
Le réseautage entre les places portuaires, soutenu par le partage des informations entre leurs systèmes d’information, est devenu courant favorisant les échanges et les solidarités économiques entre communautés portuaires, par conséquent l’amélioration du retour sur investissement de toute la chaîne logistique.
En conclusion, le principe d’une vision de redéploiement économique qui se construit aujourd’hui pour consolider le socle de demain est incontournable. Vouloir commencer à s’orienter vers les exportations hors hydrocarbures sans vision viable et intégrative de toutes les ressources semble suspect.
Reconnaître les insuffisances actuelles est une condition nécessaire pour bâtir une vision viable de chaîne logistique étendue support des entreprises algériennes exportatrices. C’est sur la base d’une vision que découle une stratégie permettant de développer des plans intégratifs à court, moyen et long termes. La prise de conscience de la nécessité de chaîne logistique étendue ne peut se faire que par des programmes spécifiques.
C’est à ce niveau que débutera la réflexion sur les éléments qui conditionnent l’efficience et l’efficacité du projet. L’implication de l’institutionnel comme les chambres de commerce sera vital. Tout comme, il est urgent de profiler concrètement dans l’esprit de tous les opérateurs intervenants dans une chaîne logistique étendue les nouvelles philosophies managériales, caractérisées par le pragmatisme relatif à la maîtrise de la complexité dynamique.
Par:
Abdelkader Boumessila, Directeur Général de IDEEFORCE spa
Ammar Hadj Messaoud, Président Directeur Général de SCIQUOM
Nouredine Boumahrat, Président du Conseil Scientifique d’IDEEFORCE