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La fortune permet-elle d’accéder au pouvoir ? Pour les entrepreneurs, la voie est libre mais la route est longue

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Quand bien même on se plaindrait de la manière lente et désordonnée avec laquelle les réformes de 1988 ont été mises en œuvre, on voit tout de même se réaliser de grands changements systémiques qui préfigurent l’Algérie de demain. La percée de l’entreprise privée, la place de plus en plus importante qu’occupe la femme algérienne dans l’activité économique et la recomposition du champ des élites, constituent autant de signes avant-coureurs de l’avènement d’une nouvelle société qui souscrit progressivement aux exigences de la mondialisation. Pour un pays sclérosé par trente années de régime socialiste, les ruptures systémiques accomplies pourraient être qualifiées, sans démagogie aucune, de révolutionnaires.

Les réformes entreprises au cours de ces vingt cinq dernières années ont en effet complètement chamboulé le champ des élites d’où ont surgi de nouvelles compétences politiques, syndicales, médiatiques, mais aussi et surtout entrepreneuriales. Si durant les décennies 70 et 80, les élites politiques et économiques étaient exclusivement issues du parti unique (FLN) et du secteur public d’où émanaient tous les dirigeants du pays et les puissants directeurs généraux des sociétés nationales, l’apparition du multipartisme à la faveur de la Constitution de 1989 et l’ouverture de l’économie engagée peu après, ont effectivement ouvert la voie à de nouvelles élites auxquelles furent offertes l’occasion de s’affirmer en dehors des voies tracées par le système socialiste. Au plan politique et syndical, on assistera à l’émergence d’élites de diverses sensibilités, qui n’auraient à l’évidence jamais eu de chances de s’affirmer dans le cadre du système de parti unique qui s’était, faut-il le rappeler, réservé l’exclusivité de l’action syndicale.

De cette ouverture du champ politique et syndical sont nées des élites qui encadrent aujourd’hui,  une trentaine de partis politiques et presque autant de syndicats autonomes qui influent, en dépit de tous les obstacles dressés devant eux, sur la vie politique et sociale du pays.

Il est toutefois utile de remarquer que l’émergence des élites en question s’est souvent faite au détriment de l’ex-parti unique qui fut pendant de longues années l’unique tremplin vers la haute hiérarchie politique, entrepreneuriale et syndicale. Vidé de bon nombre de ses cadres qui ont créé leurs propres partis,  rejoint de nouvelles organisations syndicales, ou versé dans les affaires, l’ex-parti unique usé par l’exercice du pouvoir, avait ainsi perdu l’essentiel de ses cadres qui se sont en effet recyclés, au gré des occasions offertes, dans le business, l’opposition politique et le syndicalisme autonome.

Incapable de se réformer en donnant notamment leur chance aux quelques jeunes militants qui lui sont restés fidèles, le parti unique FLN et ses démembrements (UGTA, UNPA, UNFA) n’ont pratiquement plus d’élites nouvelles à présenter aux élections. En cas de compétition électorale loyale, les candidats « périmés » présentés par ce vieux et irréformable parti, n’auraient, à l’évidence, aucune chance d’être élus.  

De très nombreuses élites politiques, syndicales, journalistes et autres nées à la faveur de l’ouverture de 1988 occupent également le devant de la scène. Mais l’émergence la plus spectaculaire est certainement celle des élites entrepreneuriales  (appelées également élites économiques) apparues à la faveur de l’ouverture économique opérée au tout début des années 90. L’économie de marché, à la construction de laquelle les autorités du pays s’étaient attelées juste après les émeutes d’octobre 1988, ont en effet entraîné un net et rapide déclin des entreprises publiques et de leurs puissants directeurs généraux, qui avaient, on s’en souvient, occupé le devant de la scène durant l’ère socialiste.

La dissolution de prés de 2000 entreprises publiques et les coups portés par la Justice à leurs encadrements (prés de 5OOO D.G et cadres d’EPE avaient été incarcérés) ont fortement laminé cette corporation de gestionnaires pratiquement tous cooptés par l’ex parti unique et certaines sphères du pouvoir.  Le résultat en est qu’aujourd’hui, les PDG des entreprises publiques occupent une place beaucoup plus modeste dans le champ des élites économiques.

Les entrepreneurs privés qui étaient « diabolisés »  du temps de la toute puissance des sociétés nationales, auraient même tendance à leur ravir la vedette aujourd’hui. Car, à la stérilité du champ des élites politiques constituée que de vieux et éternels acteurs s’oppose, à contrario, la grande fécondité du champ des élites économiques, qui a produit au cours de ces dix dernières années de nombreux patrons qui prennent progressivement en main les destinées d’une économie en phase avancée de libéralisation. En effet, si du côté des élites politiques on constate un certain marasme, du côté des élites managériales on observe, par contre, un réel dynamisme, matérialisé par l’émergence d’élites de valeur parmi lesquelles on peut citer Issad Rabrab, Slim Othmani, Ali Haddad, Omar Ramdane, Reda Hamiani, Abdelwahab Rahim, Slimane Aït Yala, Abdelmadjid Kerrar, Taieb Ezzraïmi, Sofiane Hasnaoui et, bien d’autres entrepreneurs bien connus des Algériens.

Symptôme d’une société patriarcale qui opère un profond changement de mentalité, les algériennes qui en étaient autrefois totalement exclues, sont de plus en plus nombreuses à intégrer le champ des élites économiques. Les patronnes d’entreprises qu’elles ont, pour la plupart, elles-mêmes créées sont aujourd’hui légion et tout porte à croire qu’elles le seront davantage dans les prochaines années. Elles sont effectivement très nombreuses à avoir souscrit aux dispositifs de création d’entreprises Ansej, Andi, Calpi et autres, et les réussites dépasseraient allègrement la dizaine de milliers, selon les premières estimations de l’association des femmes entrepreneures (SEVE).

Toutes ces élites économiques en ascension à la faveur de l’ouverture économique, pourront-elles prendre un jour la place des élites politiques en poste ? Les sphères politique et économique n’étant pas hermétiquement cloisonnées, assistera-t-on dans un proche avenir à l’intrusion  des entrepreneurs dans le monde politique, plus précisément encore, dans l’exercice direct du pouvoir politique? Les grandes ruptures systémiques qui sont en train de s’opérer dans les secteurs clés de la vie économique et sociale seraient de nature à accorder un certain crédit à cette question sur laquelle se penchent déjà de nombreux politologues algériens et étrangers. Les changements systémiques déjà opérés permettent en tout cas d’affirmer que les patrons, ou du moins les plus fortunés d’entre eux, ont déjà les pieds dans le pouvoir réel, même si le sujet reste, pour des raisons historiques, encore tabou. Dans un très proche avenir on assistera (de nombreux « think tanks », notamment américains, y voient déjà une objective possibilité), à l’effondrement de ce tabou allant même jusqu’à prédire la nomination très probable d’entrepreneurs à la tête de ministères économiques et, pourquoi pas, la désignation à une échéance plus lointaine, d’un entrepreneur privé à la tête d’un gouvernement.

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