L’État continuera t-il à construire des équipements publics sans se soucier de leur gestion, à réaliser des cités d’habitation neuves tout en les abandonnant à la dégradation faute d’entretien ? Si l’État, lorsque l’argent existe, peut être capable de réaliser un nombre impressionnant de logements et équipements publics, il n’est en revanche pas du tout doué pour les gérer et les entretenir du mieux possible. Des taches que les promoteurs privés savent à l’évidence mieux faire, au regard de l’état de meilleure conservation qui caractérise la plupart des promotions immobilières privées.
Aucune stratégie gouvernementale n’ayant été conçue dans l’objectif de concilier réalisation et gestion des infrastructures nouvelles, tout porte à croire que la situation va encore durer. Si ce phénomène de rupture entre réalisation et gestion des infrastructures nouvelles est perceptible au niveau de tous les secteurs d’activité économiques, c’est celui de l’Habitat qui cristallise sans doute le plus, ce dysfonctionnement. Depuis la création de ce ministère en 1977, l’État a, en effet, investi près de 230 milliards de dollars dans la construction d’environ 5 millions de logements sans se soucier de la maintenance du parc immobilier existant, pour lequel il n’a commencé à s’intéresser timidement que ces cinq dernières années. La part de logements dégradés avoisinerait de ce fait celle des logements récemment construits selon les estimations concordantes des syndicats d’architectes algériens. D’où l’interminable course de rattrapage entre l’offre et la demande d’habitat. Avant de foncer tête baissée dans cette absurde course, le ministère de l’Habitat aurait du se donner le temps d’une réflexion sur les besoins réels en logements en tenant compte des centaines de milliers de logements devenus inhabitables du fait de l’absence prolongée d’entretien et du nombre tout aussi impressionnant de logements sociaux accaparés par des personnes qui n’en avaient pas le droit. Cet état des lieux est indispensable car il permettra de se rendre compte que la solution à la crise de l’habitat ne réside pas dans le nombre de logements à construire mais beaucoup plus dans celui des parcs immobiliers à réhabiliter et dans le mode de distribution des dizaines de milliers logements sociaux neufs que l’État algériens distribue chaque années. Car si on s’en tient aux seuls statistiques faisant état de 9 millions de logements disponibles pour une population de 35 millions d’habitants (soit un logement pour 4 habitants) on serait tenté de croire qu’en Algérie tout le monde est logé. La réalité est malheureusement toute autre. En dépit de l’effort colossal en matière de construction de logements, la demande nationale officiellement affichée (environ un million de demandes à satisfaire) demeure très importante. L’accaparement indu de logements sociaux, le million de logements non occupés dont a fait état le dernier recensement de la population et de l’habitat, le boum démographique de ces dix dernières années ont en effet, complètement faussé les objectifs de résorption de la demande que le gouvernement s’était fixés. Une réalité qu’il ne semble malheureusement pas vouloir prendre en considération tout entêté qu’il est à réaliser des logements pour des demandeurs mal identifiés dont une bonne partie n’a vraiment pas besoin de la générosité de l’État.
Plutôt que de mystifier l’opinion publique par des chiffres mirobolants indiquant à qui veut bien le croire que le ministère de l’Habitat a encore beaucoup d’argent à dépenser dans la production de logements, il serait mieux indiqué qu’il s’interroge sur ce qui fait que, malgré les dépenses colossales déjà effectuées, les résultats obtenus en matière de satisfaction de la demande, restent constamment en deçà de l’objectif ciblé. Des résultats décevant, aussi bien, en terme de quantité, qu’en terme de qualité, comme en témoignent l’état déplorable des cités nouvellement construites, la dégradation de tronçons d’autoroutes à peine livrées et la situation du transport public dans nos villes. Les recettes d’hydrocarbures ayant fortement déclinées l’État a certes réagi en opérant des coupes drastiques dans le budget d’équipement de l’année 2017, sans toutefois donner clairement la possibilité à des opérateurs autres qu’étatiques de prendre le relais de la maîtrise d’ouvrages publics. Une telle indication aurait eu le mérite d’aiguiller du mieux possible les investisseurs privés que la réalisation de projets immobiliers et certains équipements publics intéresseraient très probablement.
Le secteur de la construction en général mais, sans doute encore plus celui de l’Habitat, ont effectivement besoin de profondes réformes. Le département de l’habitat toujours enclin à construire dans l’urgence le maximum de logements avec l’argent public se heurte au syndrome du « tonneau des Danaïdes » qui l’éloigne constamment de ses objectifs de résorption de demande. Il est temps de faire une halte et d’établir avec le concours de l’ensemble des intervenants (OPGI, DUCH, CNL, APC etc.) un état des lieux exhaustif en pointant du doigt ce qui n’a pas fonctionné dans ce mode de promotion immobilière qui n’a pas changé depuis 1997, date de création du premier ministère de l’Habitat algérien. Si avec 34.000 entreprises de construction, plus de 7000 architectes et 4100 ingénieurs agréés ont atteints aujourd’hui encore d’aussi piteux résultats, c’est qu’il y aune nécessité objective de reconsidérer la manière d’opérer dans ce secteur. Avec le concours de tous les acteurs concernés par l’acte de bâtir, le ministre de l’Habitat doit s’atteler dés à présent à doter son secteur d’une nouvelle stratégie qui, sans exclure totalement du jeu l’Etat entrepreneur, devra accorder une part plus belle aux opérateurs privés que le gouvernement gagnerait non seulement à impliquer dans la réalisation, mais aussi et surtout, dans la maîtrise d’ouvrages des équipements publics jusque là exclusivement financés et gérés par l’État. C’est ce qui se fait partout dans le monde. Pour quelle raison l’Algérie en ferait elle exception ?