La diversification de l’économie à travers le développement durable s’impose comme la seule alternative pour sortir de la dépendance au pétrole et son corollaire la rente. Ces deux dernières années ont marqué plus que jamais le pays en le poussant à prendre une nouvelle orientation économique avec une gestion différente et un management public revisité. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, Mr Sadek Kheddache, l’Expert en management et en stratégies de développement, analyse la problématique du développement locale en insistant sur la nécessité d’instaurer une démocratie économique.
Algérie-éco : un responsable du ministère de l’intérieur a affirmé que près des deux tiers des 1541 communes du pays sont classées « pauvres », alors que les communes « riches » ne dépassent pas les 7%, avec un tel schéma, pensez-vous que le développement local est possible ?
Mr Sadek Kheddache : D’abord vous m’excuserez si je vous réponds sans évoquer les théories du développement local, mais en parlant directement de cette réalité de déliquescence des communes que nous sommes en train de vivre, et qui empire dans sa situation .Elle empire plus par l’inertie économique et la fausse stratégie de développement. Je trouve les chiffres assez vrais, du fait qu’ils révèlent que plus de 93 % des communes sont pauvres. Cette pauvreté n’est pas financière uniquement, mais elle est d’un autre ordre multidimensionnel. Pour parler de la possibilité de développement de ces organisations, ceci nous renvoie directement à leurs diagnostics, non seulement de gestion mais aussi de tout l’arsenal juridique qui les conditionne et de la délégation de pouvoirs qui leur est accordé. Ce travail préliminaire permettrait d’évaluer d’abord leurs potentiels, d’identifier les pouvoirs et les libertés de gestion ainsi que les obstacles administratifs auxquelles elles sont confrontées. L’exploitation des résultats va permettre de définir les types d’interventions à opérer au niveau législatif et politique et esquisser éventuellement ensuite le projet de développement spécifique à chaque commune adéquat aux ressources et au potentiel de chacune d’elles. Malheureusement, on ne peut pas aborder la question d’un point de vue scientifique, si le pré- requis en matière de la libéralisation de la commune comme l’entreprise publique économique, du carcan bureaucratique, n’a pas été réalisé pour ces entités. C’est absurde de parler de développement dans un système anti développement , rigide et autocratique .Bien sûr , le passage à la libéralisation des pouvoirs de gestion des communes, doit d’abord s’inscrire dans une réforme en amont des textes qui les régissent , puis planifier une transition de l’autonomie de gestion et enfin concrétiser ce projet sans éliminer le contrôle d’organes extérieurs compétents de l’état dont on peut ajouter aux rôles de certaines commissions , des rôles plus larges aux commissaires aux comptes et à d ’éventuels commissaires en management à créer. Posons-nous les questions suivantes : Quelle sont les fonctions et la situation de nos communes actuelles ?Ce sont juste des petites administrations pour l’établissement des documents civils, et la collecte de certains impôts qui ne couvrent même pas les salaires des fonctionnaires à cause de la pauvreté en matière de création de richesses, notamment de PME/PMI, de services, de tourisme, etc…
Comment et par qui sont-elles gérées ? Elles sont gérées par une assemblée et un P/APC qui ne connaissent pas pour la plupart ce que veut dire le mot gestion ou les ABC de la gestion, et dont les décisions ne dépendent pas de leurs pouvoirs mais d’une hiérarchie qui peut aller jusqu’au chef de l’état. Un simple petit dossier d’une PME peut prendre des années à avoir l’aval, et ne parlons pas du foncier qui peut aussi trainer en longueur.
Ce n’est donc pas la question de l’état des lieux qui fait peur ou qui bloque le développement, mais c’est toute la réorganisation de ces pôles de richesses, leurs nouvelles missions, les critères professionnels d’acceptation des candidats à la gestion de ces communes, sa dé-bureaucratisation, son obligation aux résultats, qu’il faut préparer avant de parler de développement qui lui aussi doit s’inscrire dans une stratégie globale planifiée par l’état.
Au vu de l’état des lieux, tout porte à croire qu’elles s’appauvriront d’avantage dans les prochaines années du fait que les subventions de l’état risquent de ne plus leurs arriver une fois que le fond de régulation sera épuisé et les réserves de change asséchées. Le laxisme de l’état vis à vis de certains opérateurs privés (producteurs – importateurs) quant au recouvrement de la fiscalité réelle, a encore aggravé cette pauvreté et a créé des réflexes négatifs pour les évasions fiscales.
A votre avis, ces communes sont-elles réellement pauvres ou plutôt mal gérées et leur potentiel mal exploité d’autant plus qu’actuellement on ne dispose d’aucun bilan sur le patrimoine des collectivités locales?
Ces communes ont été toujours très mal gérées, réellement elles n’ont jamais été gérées. On les administre depuis l’indépendance, et elles ne sont ni plus ni moins que des organes administratifs au profit du système politique. Le patrimoine, notamment foncier, de ces communes est énorme, mais en termes de potentiel, là, il faut éclaircir les choses. Le potentiel d’une commune, c’est les ressources et les capacités qui existent en elle physiquement comme les gisements , les terrains , les eaux , la mer , etc…et de façon immatériel , les expertises , les compétences et les savoirs- faire qu’elles détiennent ou qu’elles puissent acquérir sous forme de contrats d’assistance et de conseils . Le potentiel en général de ces communes est bloqué dans son exploitation par la hiérarchie administrative qui les dominent. Les actes libres de gestion du maire sont donc assujetties à des autorisations du chef de daïra, du wali, du ministre des collectivités locales et parfois encore du gouvernement ou de la présidence. Il n’est pas aisé de tenter de discuter d’un thème sorti du monde de la gestion par des pratiques anti-gestion et le fait d’en parler devient aussi politique, car depuis quand parle-t-on d’économie, de gestion ou de management des communes ? Qu’est ce qui se cache derrière cet engouement brusque de débattre de la pauvreté et de la richesse des communes, alors que les fondamentaux pour une relance économique et une stratégie de développement du pays en général n’existent pas ? J’ai évité d’employer le terme management car tout le système politico-juridico-économique est absolument hostile à ce concept Américain et Japonais, et n’a aucun support pour sa mise en œuvre sur le terrain social et économique en Algérie. D’ailleurs l’entreprise économique publique qui est sensée créer de la richesse, est elle-même otage de la politique et n’est nullement obligée aux résultats. Pourquoi déplacer alors le débat sur une administration publique qui n’a aucune autonomie de gestion, ni qu’elle a été investie de ce rôle à jouer en matière de création de richesses ou de développement locale ?
La majorité des communes sont largement déficitaires et sont toutes tributaires d’importantes subventions de l’Etat pour équilibrer leurs budgets, non uniquement pour mauvaise gestion ; mais à cause d’absence d’une politique et une stratégie de développement local de la part de tous les gouvernements passés et actuels.
Les Walis ont été sommés par le ministre de l’intérieur de relancer l’activité économique locale, ont-ils réellement les coudées franches selon vous ?
On met toujours la charrue avant les bœufs. Les walis, ou n’importe quel administrateur de ce pays, ne pourra faire que ce qu’ils sont en train de faire, car les obstacles à l’initiative sont innombrables dans notre pays. Le dernier code communal a renforcé le pouvoir du wali sur ces collectivités locales, qui est devenu le magistrat essentiel dans toutes les affaires de la gestion. Le ministre a appelé les walis à user de leurs pouvoirs sur les communes dans le cadre de ce nouveau texte, en croyant changer le monde économique par un simple code. On ne change pas une société ou une économie à coup de décrets et de lois qui sont le plus souvent incohérents avec tout le système socio-économique et qui entravent parfois l’initiative et le développement. Même donc les pouvoirs du wali sont d’une certaine manière limités par l’arsenal juridique qui conditionne les activités économiques et les libertés de gestion au départ. Il y a, à mon avis, un énorme travail à faire en amont, concernant toute la législation inhérente aux investissements locaux, à la liberté de gestion des institutions, des administrations et surtout des entreprises économiques. En fait il faut aller vers une démocratie économique bien encadrée par une justice compétente et impartiale et une législation souple, cohérente et adéquate. Sommer les walis à relancer l’activité économique, alors qu’ils ont les mains liées par la bureaucratie ainsi que les différents blocages dus à la législation économique en général, me parait une mission difficile.
Le développement local revêt des caractères complexes et diversifiés. Il requiert de l’ingénierie et de la technicité dont on peut citer : les managers de projets, les économistes, les sociologues, les agronomes, les géographes, les urbanistes, etc… La gestion de l’interactivité des secteurs créé une dynamique de développement qu’il n’est pas du tout facile à gérer avec le manque de compétences au sein de ces collectivités.
Le gouvernement demande implicitement aux Walis d’être des managers, devant l’échec flagrant des partis politiques en charge des assemblées élues, sont-ils outillés pour cette mission et où réside la difficulté d’un tel challenge ?
Un administrateur reste un administrateur. Il est impossible qu’un wali puisse devenir un manager au sens propre du terme. Comme aussi, il n’est pas aisé à un vrai manager de gérer dans un système bureaucratique et un marché de bazar. Le marché algérien obligerait le manager à adopter les pratiques malsaines qui ont supplanté les meilleures performances d’un manager scientifique et loyal.
L’Algérie a été administrée depuis l’indépendance et elle l’est toujours. On l’a dit plus haut, ni l’assemblée, ni le maire n’ont eu les pouvoirs de gestion nécessaires et les libertés d’action mais qui essuient aujourd’hui les échecs des politiques. Quels outils de gestion déverrouilleraient la bureaucratie et réguleraient le marché algérien pour pouvoir amorcer le développement local et national ? On ne les trouvera ni à HEC Montréal ni à Harvard. Les outils de gestion classiques buteront sur la non-normalisation de tout le système économique bouleversé par l’informel, la corruption, les passes droits, l’incompétence de la justice en matière des relations de travail et des crimes économiques, etc.
Ce n’est ni le wali, ni le ministre des collectivités locales qui résoudraient ce problème économique majeur en Algérie. Le problème crucial réside dans l’absence d’une vision stratégique planifiée sur un moyen et long terme pour l’intégration et la diversification économique globale de laquelle découleraient les développements sectoriels et des collectivités locales. Le challenge est plutôt national. Il faut donc rompre totalement avec les comportements rentiers au profit d’une démocratie économique afin non seulement, de sauver les collectivités locales, mais tout le pays.