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Qu’est-ce que le courage managérial ?

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Cet Article est une contribution de Frédérique Gutlé, fondatrice et dirigeante du cabinet de conseil et de coaching Konfidentiel (www.konfidentiel.net)

Depuis quelques années, le concept de courage managérial est présent dans les magazines, les articles de journaux, les catalogues formations, et désormais dans les référentiels de management. Mais pourquoi maintenant ? 3 hypothèses à cela :

La 1ere hypothèse c’est qu’en ces temps de crise, les entreprises ont besoin de héros et que les managers ont été désignés pour les incarner.

La 2ème hypothèse est l’inverse de la 1ere … les managers ne seraient pas suffisamment courageux et ceci au point de devoir graver le courage comme une qualité essentielle dans les référentiels de management.

La 3eme hypothèse, elle, suggère que pour pallier aux défauts de l’organisation, à l’impuissance d’agir de cette strate hiérarchique, il fallait trouver un moyen pour que les managers puissent à nouveau oser et agir. Leur redonner le droit et l’envie de le faire.

Nous reviendrons sur ces hypothèses. Mais commençons tout d’abord par redéfinir le courage.

A l’origine, le courage, coraticum en Latin, signifiait avoir du cœur. Aujourd’hui, le dictionnaire définit le courage comme « la force de caractère, la fermeté que l’on a devant le danger, dans la souffrance ou face à une situation difficile ».

La plupart des définitions du courage le reconnaissent dans l’action, c’est-à-dire comme un comportement en situation de risque ou de difficulté. Autre point important à préciser c’est que le courage n’est pas le contraire ou l’absence de peur (sinon personne, jamais, ne serait courageux), mais l’art de surmonter la peur. Avoir peur est inévitable à l’échelle d’une vie.

Ce qui nous appartient, ce n’est pas de ne pas avoir peur mais plutôt de ne pas avoir peur de notre peur, d’autant plus que la peur n’évite pas le danger.

1/ C’est d’abord, dans une approche philosophique et éthique, que le courage est apparu, notamment dans les discours théoriques des philosophes grecs.

Il a été identifié comme étant une démarche morale et une vertu fondamentale.

Aristote considère le courage comme une activité de l’homme dirigée par la vertu et par les valeurs morales en vue d’accomplir des actions nobles et de défendre ce qui est juste.

Il positionne le courage entre la témérité et la bravoure et le définit comme le juste milieu entre la peur et l’audace. Cette approche reste d’actualité.

Celle de Nietzsche également, pour qui le surhomme n’est ni un homme supérieur, ni un homme parfait. Il est l’hypothèse d’un homme libéré de la peur et du besoin de croire…

Pour les philosophes, le courage n’est pas simplement une capacité des individus à faire face aux menaces en dépit de la douleur ou de la peur, c’est aussi la capacité à prendre des risques, c’est la poursuite d’un objectif noble et l’effort consenti pour le réaliser.

2/ Dans une approche beaucoup plus récente, celle de la psychologie positive, le vrai courage exige d’être conscient, c’est-à-dire d’avoir la perception d’une menace, mais aussi, de savoir évaluer le danger et accepter la prise de risque. Les auteurs en psychologie positive associent, eux aussi, le courage à la maîtrise de la peur.

Par ailleurs, ils considèrent le courage comme une force de caractère et un trait de personnalité découlant de caractéristiques personnelles spécifiques.

Ainsi, les personnes courageuses se distinguent par leur capacité à ignorer le danger (c’est la bravoure), par leur capacité à continuer d’agir (c’est la persistance), à suivre leurs convictions (l’intégrité) et agir avec énergie et enthousiaste (la vitalité). Bravoure, persistance, intégrité et vitalité sont les forces de caractère ici reconnues comme nécessaires au courage.

3/ Une troisième approche complémentaire est celle des cognitivistes :

Pour eux, le courage est un concept multidimensionnel complexe qui repose sur l’évaluation personnelle du risque, sur les attitudes et les perceptions face aux défis et les motivations à défendre ses croyances.

Ainsi, le courage serait un concept qui serait propre à chaque personne, selon ses références cognitives. Il y aurait donc autant de types de courage que de personne. D’ailleurs, ce qui apparait difficile pour certaines personnes ne l’est pas pour d’autres. Ce qui demande du courage aux uns n’en demande pas aux autres…

Le courage c’est donc sa propre capacité à sortir de sa zone de confort. Se mettre en risque personnellement, selon ses propres représentations de la difficulté.

Différentes approches qui ont successivement déterminé le courage comme une vertu, une manière d’être, un comportement, une compétence, ou même un trait de personnalité. Quel que soit sa nature, il doit s’actualiser dans l’action. Point de courage sans action.

Venons-en au courage managérial…

4/ Sous l’angle du management, le courage se voit inscrit principalement dans cette logique d’action et dans les comportements. Le courage est certainement l’une des caractéristiques les plus anciennes définissant un leader.

Le courage dans le leadership est un stimulus qui trouve ses réponses dans la défense de convictions, l’action dans l’intérêt de l’organisation, et la volonté de persister en dépit des difficultés. Il renvoie donc aux comportements présents en situation de crise ou de conflit Or agir en situation difficile c’est forcément accepter de se tromper.

Le courage managérial c’est accepter de se tromper parce que dans toute action, toute initiative, et bien entendu, dans toute prise de risque il y a un risque d’échec.

Travailler avec courage correspond à la capacité à dépasser ses propres peurs, à être conscient du risque d’échec et s’engager tout de même dans l’action quand elle semble nécessaire.

Evidemment, les leaders se trompent mais n’abandonnent pas, même quand ils tombent. Ils se relèvent, secouent la poussière de leurs vêtements et trouvent le courage de s’engager à nouveau.

Attention, c’est de la persévérance et non de l’obstination. Dans leur persistance, ils ne perdent jamais de vue l’avenir positif qu’ils essaient de créer.

Le courage n’existe pas dans la destruction, là beaucoup de gens se trouveraient courageux. C’est à la portée de tous de détruire, de casser quelqu’un en public ou de saborder le boulot d’un collaborateur meilleur que soi … Non, le courage ne vit que dans la perspective d’un meilleur, dans la construction d’un avenir positif… On en revient à l’idée d’une finalité juste et noble. C’est ce qui justifie la prise de risque personnelle.

Le courage managérial n’est pas que dans la persistance …il est aussi dans l’humilité… c’est la force d’admettre ses erreurs, d’accepter la défaite et de persévérer malgré les difficultés déjà rencontrées. C’est accepter l’échec et oser le dire. Ayez le courage de dire : « je me suis trompé » en tant que manager. Vous verrez ….

Je peux vous assurer que, contre toute attente, cela force le respect et renforce la légitimité. C’est faire preuve d’humilité bien sûr, mais aussi de lucidité. C’est rassurant pour les autres de montrer qu’on ne persiste pas dans l’erreur.

Qu’on ne s’obstine pas pour de mauvaises raisons… notamment celle de vouloir avoir raison parce que je suis le boss…

Le courage managérial c’est donc prendre des risques, et de plus en plus souvent, en univers incertain.

Evidemment, des risques calculés. L’une des fonctions des managers et dirigeants est de prendre des risques calculés qui ne mettent pas en danger l’organisation, sa mission ou les personnes qui y travaillent. Ce n’est pas de l’inconscience.

Celui qui prend des risques à tout-va, sans en mesurer les conséquences, n’est pas courageux. C’est une tête brulée !

Le courage justement suppose de percevoir le danger, d’être tenté de s’en écarter et de quand même s’y confronter. Sous cette perspective, le courage managérial apparait comme la capacité personnelle à agir ou créer des opportunités d’action dans un environnement complexe et incertain. C’est aussi disposer d’une certaine qualité de jugement et de sang-froid. Le courage est sans victoire pour soi. Il se produit lorsque le manager prend des risques en vue, non d’un gain personnel, mais d’objectifs altruistes en ligne avec l’intérêt de l’organisation.

Le geste est sa propre fin, désintéressé de toute forme de récompense personnelle.

Il s’agit de prendre les orientations nécessaires, mêmes si elles sont impopulaires ou qu’elles peuvent causer l’insatisfaction ou la désapprobation de ses collaborateurs.

Les situations ne manquent pas pour exprimer son courage managérial dans les entreprises.

Prenons quelques illustrations concrètes…

Le manager doit savoir soutenir une décision difficile qui peut amener colère et déception… C’est par exemple mettre fin à un projet qui était, soi-disant, phare pour l’entreprise et pour le groupe ; un projet qu’on a personnellement soutenu, pour lequel on a mis une forte pression à l’équipe et dans lequel l’équipe s’est beaucoup investie. Là, le courage c’est expliquer et soutenir cette décision, alors même que nous n’avons pas été consulté !

C’est aussi, ne pas être tenté par un discours facile et déresponsabilisant : « Vous comprenez ce n’est pas de ma faute, la direction a décidé que… ». C’est encore, ne pas jouer la victime et surenchérir sur les critiques qui ne manqueront pas de venir.

Avoir du courage managérial c’est savoir surmonter les contradictions de l’entreprise, en allant de l’avant, en insufflant un nouvel élan et en redonnant du sens et de l’énergie au travail de chacun. Le courage managérial ne se mesure pas dans les moments où le manager est à son aise, mais lorsqu’il traverse une période de controverse et de défis.

Un autre exemple d’acte courageux serait non pas de décider de supprimer les bonus mais de le dire soi-même aux intéressés. C’est à dire gérer de bout en bout les implications de ses décisions sans refiler le sale boulot à son N-1 ou aux RH. Le courage c’est arrêter ces petites lâchetés qui au lieu de nous grandir, nous décrédibilisent.

Un dernier exemple de courage managérial serait de recadrer, dans les règles de l’art bien sûr, un collaborateur qui abuserait de la gentillesse des autres, se déchargeant systématiquement de certaines tâches inintéressantes au profit de choses plus gratifiantes et visibles.

Voir l’injustice et laisser faire serait une absence de courage managérial. Là le courage est la capacité du manager à investir sa posture d’autorité. Le courage en entreprise, c’est oser dire les choses, oser faire les choses alors même que nous n’avons ni l’habitude, ni l’envie de les faire.

Les occasions d’expression du courage ne manquent. Et les actes courageux sont donc multiples…

Entre autre, le courage managérial c’est :

  • oser dire les choses même quand elles sont difficiles
  • décider souvent dans l’incertitude et décider sans avoir toutes les garanties
  • faire confiance, notamment par la mise en œuvre de délégations
  • partager des informations sans craindre une perte de pouvoir
  • mettre en avant les compétences et réalisations des autres
  • favoriser l’expression, créer un cadre de confiance où le manager écoute et n’a pas toujours raison
  • imposer de la rigueur à ses collaborateurs et faire respecter les règles
  • accepter de se tromper et continuer après l’échec
  • rester humble et demander de l’aide quand on ne sait pas faire
  • dire ce que l’on fait, faire ce que l’on dit et l’assumer

Finalement, le courage managérial consiste d’abord à accepter de se rendre vulnérable, c’est faire preuve de jugement, décider et agir en prenant des risques et en affrontant la peur qui les accompagne, le tout dans l’intérêt de l’entreprise.

C’est en cela que le courage s’inscrit dans le management. Il n’est ni héroïsme, ni sacrifice, mais simplement placé au cœur de l’efficacité. Et c’est dans cette conception qu’il est reconnu comme une compétence incontournable. C’est une forme d’intelligence désintéressée…

Mais pourquoi tout manager n’est-il pas courageux ? Pourquoi constatons-nous souvent l’absence de courage managérial ?

Tout d’abord, il faut quand même reconnaître qu’il y a des organisations plus ou moins favorables à l’expression du courage :

On pense par exemple aux organisations bureaucratiques où le poids de la procédure et de l’immobilisme rend inutile tout acte de courage, les organisations sous le régime de la peur évidemment invitent peu au courage, quant aux organisations autocratique ou paternaliste elles ne sont guère plus encourageantes …

Il faut aussi dire que les jeux de pouvoir, les jeux politiques-présents dans quasiment toutes les entreprises- briment la libre expression et le courage managérial… quand il y a manipulation, que les positions affichées ne sont pas forcément celles auxquelles on peut se fier, que le jeu des acteurs change …. Là il faut une bonne dose de confiance en soi, de jugement, et d’intelligence situationnelle pour passer à l’action !

Et dans ces conditions, ceux qui osent, le font souvent par ignorance ou par inconscience mais non pas par courage. Que de choses ne faut-il pas ignorer pour agir…

Cela nous amène au 2ème inhibiteur du courage en entreprise : l’anticipation de conséquences négatives et la non acceptation des risques.

Pourquoi mettre en péril sa carrière, l’image de soi ou même sa tranquillité si chèrement acquises ? C’est la perspective d’une perte importante pour soi qui fera que certains manqueront de courage voire n’envisageront même pas l’idée d’une prise de risque personnelle. Par ailleurs, l’abandon est une marque de manque de confiance en soi ou de manque de confiance en son environnement.

Un 3ème facteur qui empêche l’acte de courage managérial est la peur du conflit. Beaucoup de personnes n’aiment pas le conflit et autant de personnes ne savent pas le gérer.

Elles privilégieront plutôt l’évitement qui consiste à contourner les situations difficiles. Manquant ainsi de dire les choses, de rétablir l’équité ou de donner son point de vue quand celui-ci diffère de la hiérarchie… Or le courage est un processus d’apprentissage continu, ne jamais l’expérimenter c’est la meilleure façon de ne jamais le développer. Comme disait si bien Sénèque : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, mais c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles ».

Un dernier facteur modérateur du courage est la résignation. Quand on a maintes fois fait preuve de courage sans jamais en avoir perçu les conséquences positives. Alors, tout naturellement on se décourage puis on se résigne.

Conclusion :

On voit bien qu’il faut une synergie de conditions et une certaine adéquation entre elles pour faire émerger le courage managérial.

Le courage managérial est à la fois conditionné par le manager lui-même, par l’environnement dans lequel il travaille et par leurs interactions

Pour revenir sur les hypothèses de départ… Il me semble que l’entreprise ne recherche pas des héros…Pour autant elle a besoin d’initiatives, de prise de risque, de collaborateurs qui défendent leurs convictions et leurs valeurs et persévèrent dans la difficulté.

Le courage est une compétence indispensable et même un fondement du leadership.

A mon sens, c’est davantage pour faire face aux dysfonctionnements des organisations et inviter, voire pousser, à l’action que le courage managérial s’est hissé en tête de liste des qualités du manager.

Vous n’êtes plus sans savoir que c’est un processus d’apprentissage qui se développe et se conforte dans la pratique.

Alors pourquoi ne pas commencer à le cultiver ?

Frédérique Gutlé

Dirigeante du cabinet Konfidentiel

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