Nous avons rencontré Mme Anissa TOLBA, Directrice du Pôle Strategic Marketing au sein du Cabinet Bravehill (BH) après être passée par le Département Marketing de Procter & Gamble Algérie et pris la tête de la Direction Marketing de Société Générale Algérie.
Le marché algérien est en pleine mutation avec de plus en plus de concurrence pour le plus grand bien du consommateur. Mais dans ce nouveau contexte, les entreprises qui vont le plus tirer leur épingle du jeu sont celles qui vont le mieux comprendre le consommateur algérien et lui offrir des produits qui correspondent à ces attentes. Pour mieux comprendre l’activité de Marketing Stratégique, qui englobe toutes ces études en amont qui permettent de comprendre le client, nous avons posé quelques questions à Anissa TOLBA.
Algerie-Eco: Quel regard portez-vous sur le domaine du marketing en Algérie ?
Anissa Tolba: En Algérie, le marketing est à un niveau intermédiaire. Dans l’esprit de beaucoup de personnes (et de dirigeants d’entreprises), le marketing est encore synonyme de communication. Or, bien que les deux domaines soient très voisins et complémentaires, marketing et communication ne peuvent pas être assimilés.
Pour simplifier, la démarche marketing repose sur 3 grandes étapes : Connaître son marché, développer une offre adaptée à son marché et le faire savoir. Il s’agit des activités de marketing stratégique, de marketing marché/produit et de marketing opérationnel/communication.
Bien souvent en Algérie, les entreprises se concentrent sur le marketing opérationnel, qui se résume malheureusement souvent à de la publicité, en négligeant les deux autres phases qui sont pourtant essentielles, à savoir la connaissance du marché et la définition du mix marketing. La connaissance du marché est pourtant primordiale et représente la première étape de toute stratégie ou démarche marketing.
L’entreprise doit bien connaitre son environnement compétitif, ses consommateurs ou encore la législation en vigueur avant de lancer son offre. Il ne vous viendrait pas à l’esprit de vous présenter à un examen sans avoir révisé, ni assisté au cours, sous peine d’échouer lamentablement et de provoquer la perplexité de votre examinateur ! Et bien pour une entreprise, c’est pareil : lancer une nouvelle offre sans avoir étudié le marché, les besoins du consommateur et les offres concurrentes, c’est préparer un échec commercial.
Mais on dit souvent qu’en Algérie, tout marche ! Vous ne partagez pas cet avis ?
Ce qui était vrai il y a 20 ans, lorsque le marché Algérien n’avait pas encore atteint le niveau de compétitivité actuel et que le consommateur n’était pas encore aussi exigeant et « éduqué », n’est plus vrai en 2016. La concurrence, aussi bien locale qu’internationale, s’est développée; les consommateurs Algériens comparent, essaient et cherchent à présent la combinaison optimale entre prix, qualité et disponibilité. Tous les secteurs et tous les types de consommateurs sont concernés. Par exemple, il y a encore 10 ans lorsqu’on voulait repeindre ses murs, on se rendait chez le « Mzabi » pour acheter un bidon de 25kg de peinture acrylique. Aujourd’hui, de nouvelles enseignes spécialisées se sont installées et proposent une offre de couleurs et de type de peintures extraordinaires, que l’on peut acheter au mètre carré selon la surface à peindre. Le secteur du bâtiment et de la construction connaît un développement de l’offre considérable, et les entreprises qui seront encore là dans 20 ans sont celles qui prendront la peine d’étudier le marché et les consommateurs (aussi bien particuliers que collectivités ou entreprises) pour réussir à dégager un avantage compétitif durable.
La gestion du marketing doit se faire d’une manière stratégique au lieu d’être traitée seulement comme un élément opérationnel de l’entreprise. C’est seulement quand il est traité à la fois comme une orientation stratégique et opérationnelle qu’il peut assurer une croissance durable dans l’entreprise et lui obtenir un avantage concurrentiel.
En quoi consiste une étude Marketing ? En quoi cette étude peut aider le management des entreprises ?
Tout d’abord, il est utile de préciser qu’être à l’écoute du consommateur n’est jamais du temps ou de l’argent perdus. Au contraire, cela permet d’éviter des pertes financières que provoqueraient de mauvais choix marketing.
Une étude marketing commence par un besoin exprimé par l’entreprise. Par exemple : Je souhaite lancer une nouvelle offre sur le marché des pâtes à tartiner, comment m’y prendre ? Dans ce cas, l’étude consistera à explorer le marché & les consommateurs afin de répondre aux questions suivantes :
- Sur le marché: Quelle est la taille du marché des pâtes à tartiner en Algérie ? Quelle est la part des importations et celle des producteurs locaux ? Quels sont les circuits de distribution de la pâte à tartiner en Algérie ? Les conclusions permettront de définir les objectifs marketing que peut se fixer la nouvelle marque en termes de part de marché et de niveau de ventes.
- Sur la concurrence: Quelles sont les marques présentes sur le marché ? Quelles est leur positionnement prix, les caractéristiques de leur gamme ? Quelle est leur stratégie de communication ? Quelle est la part de marché de chacun des intervenants ?
- Sur le consommateur : Dans le foyer, qui consomme de la pâte à tartiner ? A quelle fréquence et à quelle occasion de la journée ? La consommation est-elle identique en semaine et le week-end ? Comment est consommée la pâte à tartiner : à la cuillère, sur du pain, sur des biscuits, à l’intérieur d’un gâteau fait maison… ? Quels sont les produits substituts/complémentaires à la consommation de pâte à tartiner ? Quels sont les mots ou les sensations associés à la consommation de pâte à tartiner (culpabilité, plaisir, enfance, calories, famille, partage, etc.) …
Toutes ces informations permettront à l’entreprise de développer une connaissance pointue de son marché et de ses consommateurs et ainsi de développer une stratégie marketing pertinente et en ligne avec les attentes et besoins des consommateurs qu’elle aura choisi de cibler.
Justement, l’information est difficile d’accès en Algérie. Comment palliez-vous ce manque ?
Oui, il est vrai que le marché algérien est connu pour être difficile en terme de récolte d’informations, notamment en ce qui concerne les parts de marché. Il y a cependant des moyens d’évaluer la part de marché, à partir par exemple d’une étude sur le taux de pénétration d’un produit donné.
Mais l’information la plus importante à mon sens concerne les attentes, besoins & comportement des consommateurs et celle-ci en revanche est aussi accessible en Algérie que dans n’importe quel marché : il suffit de questionner les gens ! Bien entendu, le questionnement ne se fait pas au cours d’un diner de famille où on demanderait l’avis de notre cousine qui vient d’avoir un enfant sur les couches X ou Y. Les études consommateurs se font selon un protocole bien cadré, que ça soit en focus group, en entretiens individuels, en visite à domicile ou encore en suivant les shoppers au cours de leurs achats. Les conclusions que l’on récolte alors peuvent être confirmées par des études quantitatives dans lesquelles l’échantillon de consommateurs interrogés sera de 500 au minimum.
Pensez-vous que le consommateur algérien est comparable à d’autres consommateurs de la région? Peut-on appliquer des résultats d’autres pays maghrébins sur notre marché ?
On ne peut pas nier que nous évoluons dans un monde de plus en plus globalisé et que l’uniformisation de l’offre est des stratégies marketing est un phénomène mondial. Il serait dommage de ne pas profiter de cette globalisation pour réaliser des économies d’échelle sur les aspects marketing. Et effectivement sur certains sujets, on peut comparer le consommateur algérien à ceux de la région Maghreb et Moyen Orient. Par exemple, en Algérie comme dans tous les autres pays de la région, le Miswak ou Siwak est traditionnellement utilisé pour l’hygiène bucco-dentaire. Les marques de dentifrice (multinationales ou locales) qui ont lancé une variante Miswak se sont basées sur des insights consommateurs propres à la région et qui ne sont applicables qu’à cette région du Monde, et dans ce cas le consommateur Algérien a pu être assimilé aux consommateurs Marocains, Tunisien, Saoudien ou Qatari.
Cependant, il faut se garder de généraliser toutes les conclusions que l’on pourrait tirer des pays voisins, car le consommateur Algérie a des ressorts et des dynamiques qui lui sont propres et qu’il serait dommage de ne pas étudier. Beaucoup de multinationales qui s’implantent en Algérie après s’être installées au Maroc ou en Tunisie commettent l’erreur de ne mener des études que dans ces pays-là, où leurs équipes sont plus aguerries au concept d’insight consommateur, et appliquent les conclusions au marché Algérien. Cela peut déboucher sur des échecs de lancement qui auraient pu être évités en prenant le temps d’appréhender le consommateur algérien dans sa singularité.
Quel conseil donnez-vous aux entreprises Algérienne ?
Je leur conseillerais de donner au marketing une place centrale dans leur organisation et dans leur stratégie d’entreprise, car une marque forte, une stratégie marketing et un positionnement simple et efficace demeurent une garantie de la pérennité de l’entreprise à travers les années, en particulier sur un marché aussi dynamique et changeant que l’Algérie.