Surface cultivable très faible et de surcroît constamment réduite par l’érosion naturelle, l’avancée du désert, l’émiettement des propriétés agricoles, l’accaparement des meilleures terres par les constructions, le boum démographique, l’exode rural vers les régions côtières, l’insuffisante disponibilité d’eau d’irrigation et le non renouvellement de la main d’œuvre agricole, sont autant de facteurs qui empêchent le renouveau de l’agriculture algérienne et rendent hypothétique la prétention des pouvoirs publics à l’autosuffisance alimentaire .
Avec une dotation en terres à usage agricole d’à peine 0,3 hectare par habitant et des rendements parmi les plus bas du monde, la question de l’autosuffisance alimentaire de l’Algérie n’est en réalité qu’un slogan à usage politique interne. Atteindre un tel objectif dans les conditions à tous points défavorables qui s’imposent au patrimoine agricole algérien est, il ne faut surtout pas qu’on nous leurre, un pari quasi impossible à tenir.
L’autosuffisance alimentaire relève d’un mythe sciemment entretenu par les hommes politiques pour donner l’illusion d’un miraculeux redressement de l’agriculture s’ils restaient longtemps au pouvoir. La réalité est malheureusement beaucoup plus complexe et certainement moins optimiste que celle que nos gouvernants nous a souvent présentée. Les terres arables par habitant sont en effet non seulement insuffisantes mais en constant recul sous l’effet de l’accroissement démographique, de l’avancée du désert, de l’érosion et du mitage des meilleures terres agricoles par l’urbanisation (plus de 40 000 hectares seraient soustraits à l’agriculture chaque année, selon le défunt chercheur Hamid Aït Amara).
Le ratio terre cultivable par habitant (O, 3 ha par personne), déjà considéré comme un des plus bas du bassin méditerranéen, est appelé à se dégrader au fil des ans, pour se situer, selon les estimations de ce même spécialiste, autour de 0,1 hectare à l’horizon 2025.
Les avancées de l’agriculture saharienne, aussi encourageantes soient-elles (90 000 hectares auraient été mis en valeur dans diverses localité du sud algérien) n’ont pu compenser que de 20% environ, les 280 000 hectares de bonnes terres du Nord ravies à notre patrimoine agricole par l’urbanisation sauvage, les méfaits de la nature, mais aussi et surtout, les morcellements de l’indivision qui ont réduit la taille moyenne des exploitations agricoles algériennes à moins de 5 hectares. Selon diverses études publiées par l’Institut National de Stratégie globale, l’Algérie aurait perdu, durant la période allant de 1988 à 1995, pas moins de 78 000 hectares de terres fertiles, pour l’essentiel, attribuées au secteur de la construction et des travaux publics. La tendance s’est fortement accentuée durant ces 15 dernières années avec les grands programmes d’habitat et d’infrastructures qui ont ravagé plus de 400.000 hectares de terres arables essentiellement situées dans la bande nord, la plus fertile du pays.
Cette dynamique de pillage des terres agricoles n’est pas prête de s’arrêter en raison de l’exode massif des populations rurales vers les villes côtières, du boum démographique sans précédents que le pays enregistre depuis ces dernières années et des programmes encore très importants de logements et d’équipements qui seront réalisés à court et moyen terme. Même si elle n’est pas en mesure de satisfaire aux besoins alimentaires sans cesse croissants d’une population en trop forte croissance, ni même de compenser les pertes en terres cultivables accaparées par le « béton », l’irrigation aurait sans doute permis de gagner de nouvelles surfaces si elle avait été entreprise de façon massive et rationnelle. Car pour ce faire, il aurait fallu mobiliser des ressources en eau considérables à travers un territoire très vaste. Ce que l’Algérie ne peut à l’évidence se permettre eu égard à ses faibles disponibilités en eaux, à la priorité qui doit être accordée à l’eau potable et, bien entendu, au coût faramineux de l’adduction d’eaux vers les zones lointaines des hauts plateaux ou du Sahara.
A l’évidence, un état des lieux aussi peu reluisant de notre patrimoine foncier agricole est de nature à écarter tout espoir d’autosuffisance alimentaire, quand bien même, le potentiel agricole existant pourrait, sans conteste, être poussé à de meilleurs rendements, grâce à l’irrigation, la mécanisation et l’utilisation d’engrais. L’autosuffisance alimentaire signifierait, en effet, pour l’Algérie, la possibilité de produire à partir de ce bien maigre potentiel de terres cultivables, suffisamment de céréales, de légumes, fruits, huiles, lait, viandes et autres produits nécessaires à la constitution de la ration alimentaire (2500 calories par jour) au profit de 40 millions d’Algériens aujourd’hui, plus de 50 millions à l’horizon très proche de 2025.
Or, aucun indice technique nouveau, aucun progrès significatif réalisé en termes de rendement agricole ni de réforme susceptible d’y conduire, ne permet aujourd’hui d’affirmer que l’agriculture algérienne va connaître un essor spectaculaire dans les prochaines années. Les prix exagérément élevés des fruits et légumes ainsi que les importations de plus en plus massives de céréales et légumes secs et une industrie de la conserve qui ne décolle pas, faute de surplus agricole, constituent le meilleur indice de ces trop faibles performances productives et les énormes capitaux engloutis dans le programme national de développement agricole (PNDA) ne sont pas parvenu ne serait-ce qu’à réduire, cette décadence structurelle de l’agriculture algérienne. Bien au contraire, les mêmes causes engendrant les mêmes effets c’est, à l’évidence, l’hypothèse de la poursuite du déclin du secteur agricole qui paraît, malheureusement, la plus plausible. La prétendue possibilité d’atteindre l’autosuffisance alimentaire grâce à la mise en valeur de terres situées dans le sud du pays relèverait, comme le prouve une étude prospective réalisée par l’Institut de stratégie globale au début des années 1990, mais toujours d’actualité, beaucoup plus de la mystification politique que d’une vision pragmatique susceptible d’être appliquée sur le terrain.
Mais alors quelle politique agricole préconiser à un pays qui, pour des raisons structurelles, n’a jamais pu et ne pourra sans doute jamais, assurer son autosuffisance alimentaire, important chaque année entre 10 et 15 milliards de dollars de produits alimentaires ? Cette constatation est d’autant plus grave que le taux de couverture de ces importations par des exportations de produits de même nature, est pratiquement nul. C’est, de notre point de vue, une politique qui devrait consister non pas, comme c’est actuellement le cas, à s’entêter à préconiser une illusoire autosuffisance alimentaire, mais à déterminer avec suffisamment de précision ce qu’on pourrait faire de concret pour que les exploitants agricoles algériens puissent produire et exporter certains produits agricoles qui, parce que favorisés par les conditions climatiques et foncières particulières à l’Algérie (soleil, qualité spécifiques des sols, modes de faire valoir traditionnels etc.) ont de bonnes chances d’être écoulés à des prix incitatifs sur les marchés extérieurs.
Cette orientation de l’activité agricole dictée par les impératifs de la mondialisation requiert une mise à profit des avantages comparatifs et compétitifs dont l’Algérie dispose naturellement et que la recherche scientifique et le bon management des exploitations agricoles pourraient à l’évidence renforcer. L’intérêt pour le pays est de produire et exporter les produits à forte valeur ajoutée (viandes ovines, primeurs, produits du liège et de l’alfa, dates etc.) pour importer des produits à coûts plus réduits (céréales, légumes secs, etc.).
L’effort d’investissement qu’il faudrait consentir pour l’atteinte de tels objectifs est gigantesque et les ressources très importantes allouées au PNDA n’ont à l’évidence pas suffi à amorcer cette dynamique, car le challenge ne consiste pas seulement à promouvoir des investissements nouveaux, mais aussi à réparer les gros dommages causés à l’agriculture laissée, pour diverses raisons, longtemps à l’abandon. Il faudrait en effet reconstituer les milliers d’hectares de vergers détruits par l’urbanisation, réparer les réseaux d’irrigation vétustes, replanter les vignes arrachées, imposer aux agriculteurs le recrutement de techniciens et ingénieurs agricoles dont environ 30.000 seraient réduits au chômage. La tâche n’est évidemment pas simple, mais pour peu que les pouvoirs publics concernés soient déterminés à soutenir cette démarche associant, aussi bien, les exploitants publics que privés, à cette dynamique de résurrection, le challenge a, à l’instar de tous les pays qui ont suivi avec succès cette voie, de bonnes chances d’être gagné.