La COP 21 a marqué un jalon dans la prise de conscience mondiale de l’urgence de mettre en place un nouveau modèle de développement respectueux de notre environnement. Dans ce modèle, l’Economie de la Fonctionnalité semble être un concept clé selon lequel, de plus en plus, nous nous soucierons beaucoup moins de la proprieté des biens mais plutôt de leur usage et de leur fonction. Ainsi des entreprises qui vendaient des imprimantes commencent à fournir des services d’impression et gèrent le parc d’imprimante de manière optimisée entre les clients. Le client n’achète plus un objet mais un service. C’est cette nouvelle Economie qu’Algérie Eco tente de comprendre avec Marie Anne Bernasconi, reponsable de la Société Estrelab et spécialiste de l’Economie de la fonctionnalité.
Marie-Anne, pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
J’ai fait études de langues, de commerce et de développement durable, en grande partie à l’étranger, qui m’ont menées jusqu’en Chine. C’est là, dans le brouillard Pékinois, que j’ai eu le déclic et que j’ai décidé de consacrer mon travail au développement responsable des entreprises. Depuis 2013 je gère Estrelab, une société qui propose aux entreprises et créateurs d’entreprise d’interroger leurs modèles économiques et leurs pratiques managériales par le prisme de la coopération. Avec mes partenaires, nous organisons des ateliers qui leurs permettent de se poser les bonnes questions tout en co-créant avec leurs parties prenantes (clients, employés, fournisseurs …) pour arriver à de meilleurs résultats économiques, sociaux et environnementaux.
Le développement durable est-il compatible avec les réalités économiques ?
L’économie, telle que nous la vivons aujourd’hui, a pour principe de base la croissance. Or la croissance a ses limites. Comme le mentionne l’écrivain et penseur américain Charles Eisenstein, une fois arrivé au terme de l’adolescence, nous arrêtons de grandir. Ce n’est pas pour autant que nous ne continuons pas à vivre. Les entreprises atteignent aujourd’hui les limites de cette croissance avec la saturation des marchés, la hausse des coûts des matières premières, l’incapacité de la biosphère à absorber la quantité de déchets générés … Les entreprises ont peut être elles-aussi atteint la fin de leur adolescence.
Il s’agit maintenant de continuer à produire, mais en y intégrant du sens et surtout en sortant d’une logique de production matérielle volumique. Dans les sociétés occidentales, la majeure partie de la population a satisfait ses besoins principaux, physiologiques et sécuritaires, tandis que la production de biens visant à satisfaire ces besoins est en sur-capacité : aliments de l’agro-industries, logements, loisirs, habillement, etc. Il s’agit aujourd’hui pour les entreprises de contribuer à répondre aux besoins plus élevés de la pyramide de Maslow : besoin d’appartenance et d’amour, besoin d’estime et besoin d’accomplissement. Le développement de l’économie collaborative est révélatrice avec 47% de personnes qui perçoivent cette nouvelle économie comme une façon de rencontrer des gens et de nouer des liens (CREDOC, juin 2014), mais aussi comme une alternative à l’emploi en développant d’autres sources de revenus (67%).
Les entreprises n’ont donc aujourd’hui plus le choix. Pour survivre dans le contexte de crises multiples, pour répondre à l’évolution des besoins de la population, pour réussir à recruter des employés motivés et à intégrer les nouvelles générations, pour participer à la restauration d’une planète en péril plutôt que de contribuer à sa destruction, elles doivent innover dans leurs modèles économiques.
La COP21 a-t-elle était un jalon important dans l’établissement d’un nouveau modèle de développement ?
Il est encore tôt pour se prononcer. C’est en tout cas un beau signal de changement de conscience de la part de la classe politique.
Vous êtes spécialistes en Economie de la fonctionnalité et de la coopération. Pouvez-vous nous parler de cette notion ?
Depuis une dizaine d’années, d’autres modèles que le modèle traditionnel se développent, dont l’Economie de la Fonctionnalité et de la Coopération (EFC), développée par deux enseignants-chercheurs, Christophe Sempels et Christian Dutertre. L’EFC aide les entreprises à apporter des réponses aux enjeux qu’elles vivent en se concentrant sur 4 piliers :
– le développement durable et la gouvernance qui la soutien
– la performance des ressources immatérielles qui sont rarement valorisées (la coopération, la confiance, la culture, les connaissances …)
– la décroissance des facteurs matériels et la croissance des facteurs immatérielle en passant d’une logique de produit à une logique de service
– l’amélioration de la qualité du travail et de la qualité de la coopération.
En suivant un parcours vers l’EFC, les entreprises développent leurs ressources internes pour mieux appréhender les usages faits par leurs clients et proposer des solutions qui intègrent produits et services. C’est ainsi qu’une entreprise de vente d’informatique accompagne des personnes éloignées du numériques (séniors, enfants dyslexiques…) à travers des partenariats avec des associations locales, une entreprise de pesticides passent à la protection de champs par des solutions naturelles, ou encore une entreprise de ménages propose des maisons propres. Grâce à une meilleure connaissance des usages, les entreprises peuvent s’engager sur des résultats et nouer des relations partenariales avec leurs clients tout en réduisant le volume de produits mis sur le marché. Pour avoir une meilleure idée de résultats obtenus par des entreprises qui suivent cette trajectoire, voici des témoignages de dirigeants : https://www.youtube.com/channel/UCfFWOOg80nhOMeXyw-LzvhA.
Pensez-vous ces concepts applicables en Algérie ?
L’Algérie est dans un contexte différent et ne vit pas nécessairement les mêmes problématiques que les entreprises françaises. Mais sa croissance est également confrontée à des limites, comme par exemple la dépendance aux variations du cours du pétrole. Les entreprises si elles veulent être innovantes et continuer à se développer dans un contexte de crise et de globalisation, ont tout intérêt à se pencher sur de nouveaux modèles, comme l’Economie de la Fonctionnalité et de la Coopération.
M.E.