AccueilActualitéInternationalGuerre froide Chine-USA : l’Afrique va-t-elle devoir choisir son camp ?

Guerre froide Chine-USA : l’Afrique va-t-elle devoir choisir son camp ?

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Lors d’une conférence de presse tenue en mai 2020, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a accusé certains politiciens américains de pousser Pékin et Washington dans une « nouvelle guerre froide ». Si le terme semble fort pour certains observateurs, pour d’autres il est complètement justifié au vu de la montée des tensions entre les deux pays, depuis l’élection du président Donald Trump, en 2016. Prise dans cette nouvelle tempête alors qu’elle fait l’objet de toutes les convoitises, on peut légitimement se demander si l’Afrique devra « choisir ses alliés ». S’il est vrai que le contexte de l’époque de la guerre froide entre Moscou et Washington est assez différent du contexte actuel, la réponse à cette préoccupation pourrait ne pas être aussi évidente que cela…

Escalade de tensions

Alors qu’ils ont toujours su avoir des relations diplomatiques « pacifiques » malgré les différences idéologiques, les Etats-Unis et la Chine semblent inaugurer, après 50 années de coexistence, une ère d’affrontements politiques. En effet, dès l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche, Washington a commencé par développer une attitude résolument agressive envers son rival chinois.

Dès l’année 2018, les Etats-Unis se sont engagés dans un conflit commercial contre la Chine, avec pour leitmotiv de mettre fin à la « concurrence déloyale » des Chinois et à la violation de règles de propriété intellectuelle par Pékin. A coup de droits de douane punitifs sur des centaines de milliards de dollars de marchandises, les deux pays se sont livrés une guerre sans merci qui aura contribué à ralentir sensiblement la croissance mondiale.

Deux ans après le début de ces hostilités, c’est la pandémie du nouveau coronavirus qui est devenue la nouvelle source de conflit entre les deux géants. Alors qu’en janvier, le président Donald Trump saluait encore la bonne gestion de l’épidémie par Pékin, la contamination de millions de personnes à travers le monde et sur le territoire américain l’a poussé quelques semaines plus tard à opérer un virage à 180 degrés.

Désormais, Donald Trump ne veut plus « remercier le président Xi au nom du peuple américain » comme il l’avait fait sur son compte twitter, mais pense plutôt à demander des réparations à Pékin pour avoir mal géré une crise qui « aurait pu être arrêtée à la source [la ville chinoise de Wuhan, NDLR] et ne se serait pas répandue dans le monde entier ».

Non seulement Washington accuse Pékin d’avoir dissimulé l’apparition du virus ainsi que l’ampleur de l’épidémie, mais il affirme également que le nouveau coronavirus aurait été créé par des chercheurs chinois, volontairement ou non. La Chine, de son côté, semble avoir décidé de jouer le jeu de Donald Trump, affirmant qu’elle « ripostera à chaque insulte » du président américain.

A ces situations s’ajoutent les dissensions au sujet de Hong Kong, la guerre américaine contre le géant Huawei ou encore la situation de Taïwan, qui font craindre un remake de l’après 1945.

Le « problème chinois »

54 ans après le début de la révolution culturelle initiée par Mao Zedong, la Chine désormais deuxième puissance mondiale fait peur.

Elle a multiplié, ces dernières années, les projets pour s’implanter partout dans le monde. Grâce au soutien de l’Etat central, de nombreuses multinationales chinoises sont présentes dans les secteurs clés de l’économie mondiale. Aujourd’hui, le pays le plus peuplé de la planète est également celui qui tire la croissance mondiale. On estime que la Chine consomme à elle seule un cinquième des exportations mondiales de matières premières. Et avec le gigantesque projet de la Route de la soie, le pays compte bien accroître sa prépondérance dans le commerce mondial.

D’ailleurs, dans de nombreux secteurs tels que la pharmacie ou la technologie, l’empire du Milieu joue le rôle d’usine du monde, en raison notamment du faible coût de sa main-d’œuvre.

Et c’est justement ce boom économique qui suscite autant d’inquiétudes de la part des autres puissances mondiales. De nombreux pays voient dans l’ascension fulgurante de la Chine, une menace pour leur souveraineté économique. En France, comme dans d’autres pays, la crise de la Covid-19 a, par exemple, fait resurgir les débats sur une relocalisation des sites de fabrication de nombreux produits pour lesquels l’Europe dépend fortement de Pékin.

Si ces pays ont, ces dernières années, souffert en silence de l’hégémonie grandissante de la Chine, l’élection en 2016 du président Donald Trump et sa politique du « America First » ont contribué à donner un coup de fouet aux tendances protectionnistes et instaurer un véritable climat pré-guerre froide. Désormais, les pays veulent surtout contrer l’influence grandissante de Pékin. En Afrique, continent dont le premier partenaire commercial est la Chine, cette situation s’est traduite par une véritable guerre d’accords commerciaux. Désormais, chacun veut aider l’Afrique à trouver une solution au « problème chinois » qui enfermerait les Etats du continent dans une dépendance aux exportations de matières premières et à la dette.

L’Afrique a toujours dû choisir son camp…

Depuis l’époque de la colonisation, l’Afrique n’a souvent pu qu’observer et subir les effets des batailles menées par les grandes puissances occidentales pour imposer leur domination sur le monde.

Malgré les efforts menés par ses dirigeants pour éviter une bipolarisation idéologique et économique de ses pays, l’Afrique a toujours dû choisir son camp. Ainsi, la création d’un Mouvement des non-alignés en pleine guerre froide n’avait pas empêché le Dahomey (actuel Bénin), le Mozambique, la Somalie, l’Ethiopie ou l’Angola, entre autres, de choisir le camp communiste pour bénéficier de l’aide de Moscou tandis que d’autres ont préféré se ranger sous la bannière américaine.

Aujourd’hui, le contexte est certes différent, mais c’est encore le jeu des alliances (commerciales et économiques cette fois) qui semble vouloir dicter le déroulement de cette nouvelle guerre froide.

L’un des exemples illustrant le mieux cette situation est celui du géant chinois des télécommunications, Huawei, qui est actuellement au centre de la campagne anti-chinoise du président Trump. En effet, l’entreprise chinoise a été blacklistée par le président Donald Trump ; ce qui interdit aux sociétés américaines de travailler avec elle. Selon l’actuel locataire de la Maison-Blanche, la Chine utiliserait la 5G, dont Huawei est devenu le leader, pour réaliser de l’espionnage à grande échelle. Si aucune preuve de ces allégations n’a encore été fournie, Washington a néanmoins lancé une véritable campagne mondiale pour évincer l’entreprise chinoise du marché de la 5G. En Europe, par exemple, les USA ont menacé de sanctions les pays qui adopteraient la technologie de la société chinoise.

Cette pression a entraîné une certaine prudence de la part de ces pays qui, pour l’instant, se sont contentés de durcir l’encadrement des conditions de déploiement de la 5G de Huawei, à défaut de l’interdire.

Allant plus loin, la police canadienne a mis aux arrêts, en 2018, à la demande des USA, Meng Wanzhou directrice financière de Huawei, accusée par Washington d’avoir contourné les sanctions contre l’Iran.

Pour l’instant, l’Afrique n’est pas encore directement concernée par cette guerre de la 5G dont le dénouement semble encore difficile à imaginer. Néanmoins, la Chine a déjà prouvé qu’elle était capable d’influencer les prises de décisions des pays du continent, en matière de politique étrangère. Exerçant une forte pression, grâce aux milliards de dollars d’aide qu’elle promet au continent, la Chine a par exemple réussi à rallier à sa cause presque tous les pays africains concernant la reconnaissance de l’Etat de Taïwan qui clame depuis plusieurs décennies son indépendance par rapport à Pékin. Sur le continent, seul l’E-Swatini résiste et maintient encore des relations diplomatiques avec Taipei.

Mais la donne pourrait changer cette fois…

Conscients que le besoin de financement des Etats africains pour mettre en œuvre leurs programmes de développement pourrait représenter une opportunité pour « réduire » l’influence de la Chine, les Etats-Unis n’ont pas hésité à mettre leur politique d’aide en faveur du continent sous le signe de la lutte contre le nouvel « impérialisme » chinois.

Ces dernières années, Washington a exhorté les pays africains à s’affranchir de la « domination chinoise » qui les enfermerait dans un « piège de la dette ». L’initiative « Prosper Africa », lancée en juin 2019 à Maputo (Mozambique) pour permettre aux USA d’investir 50 milliards $ en Afrique, au cours des prochaines années, semble d’ailleurs s’inscrire dans ce registre. Les entreprises américaines offrent une « valeur inégalée », avait alors déclaré la secrétaire d’Etat au Commerce, Karen Dunn Kelley, lors de la présentation du projet. « Pourtant, nous avons perdu du terrain face aux pratiques commerciales de plus en plus sophistiquées – mais trop souvent opaques – des concurrents étrangers », avait-elle ajouté, en référence aux méthodes chinoises de financement en Afrique.

Mais contrairement à l’époque de la première Guerre froide, il serait clairement erroné d’affirmer que les pays africains n’auront d’autre choix que de se contenter de choisir l’un ou l’autre des camps. Même si les pays du continent ne sont pas encore suffisamment forts pour s’imposer face à ces deux géants, les efforts réalisés ces dernières années afin de créer un bloc économique puissant sur le continent pourraient changer la donne.

Considérée comme le projet phare de l’intégration africaine, la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) – qui vise à doper les échanges intra-africains, favoriser l’industrialisation et promouvoir le « made in Africa » – offre l’occasion au continent noir de devenir (du moins en théorie) une véritable puissance économique, capable d’avoir voix au chapitre.

Le lancement de plusieurs projets d’intégration à travers le continent, ces dernières années, a d’ailleurs coïncidé avec une vague de prise de conscience (dans le discours politique tout au moins) des dirigeants africains, de la nécessité pour leur pays de s’émanciper véritablement.

Le discours du président rwandais Paul Kagame lors de la World Policy Conference au Maroc en octobre 2019 illustre d’ailleurs parfaitement cette tendance : « L’Afrique n’est le prix à gagner ou à perdre pour personne. Pas du tout. […] Il est de notre responsabilité, en tant qu’Africains, de prendre en charge nos propres intérêts et de développer notre continent à son plein potentiel. En réalité, cela a toujours été la question principale. Nous avons attendu beaucoup trop longtemps, en fait pendant des siècles […] Aujourd’hui, l’Afrique jouit de relations commerciales solides dans le monde entier, que ce soit avec l’Europe, l’Inde, l’Amérique du Nord ou la Chine. En effet, nous voulons plus d’investissements et de commerce avec tout le monde, car cela nous laisse tous dans une situation plus favorable. C’est pourquoi il est si important pour l’Afrique de se rassembler en tant que région […] La zone de libre-échange continentale africaine est désormais en vigueur et les échanges commerciaux débuteront en juillet 2020. Cet accord modifiera radicalement la manière dont l’Afrique fait des affaires avec elle-même et avec le reste du monde ». Et d’ajouter : « Nous pouvons être de meilleurs partenaires. Cela signifie que nous devons tous, ici et ailleurs, travailler ensemble. C’est ce qui nous remettra sur la voie d’un monde meilleur, où chacun trouvera son compte ».

Ecofin

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