Il n’y a, de l’avis de nombreux hommes d’affaires que nous avons interrogés, aucun espoir que l’économie reparte sur de bonnes bases tant que la crise politique qui mine l’Algérie depuis le début de l’année 2019, n’est pas résolue. Et rien de sérieux ne présage malheureusement d’un dénouement prochain de cette crise politique, tant que les deux protagonistes (le pouvoir et l’écrasante majorité de la population) campent sur des positions systématiquement opposées. Ce n’est pourtant qu’à l’issue d’une neutralisation des rapports de forces ou de leurs basculement en faveur de l’un ou de l’autre protagonistes, que les algériens pourront enfin réfléchir à un nouveau projet de société sur lequel ils bâtiront une politique économique conforme à leurs aspirations et aux exigences de l’après crise sanitaire.
Il est en effet urgent de résoudre au plus tôt cette crise politique qui paralyse aujourd’hui toutes les forces vives de la nation, bloque les initiatives et hypothèque le destin économique du pays. Le plus tôt sera évidemment le mieux, car en matière économique il est clairement entendu que « celui qui n’avance pas, recule » !! Et de ce point de vue, bon nombre de nations semblent l’avoir compris et se préparent à affronter du mieux possible les challenges multiformes de l’après Covid-19.
Empêtrée dans une interminable crise politique aggravée par une crise sanitaire qui accapare toute son énergie et des difficultés économiques qui lui ont fait perdre une part non négligeable de ses moyens, le gouvernement algérien n’est plus en mesure de réfléchir à son avenir. Il semble se complaire dans une sorte de statut quo qui ne présage rien de bon dans ce monde qui bouge et qui se prépare aux grands enjeux économiques et géostratégiques de demain. Il est donc impératif de trouver rapidement solution à la crise politique qui plombe l’Algérie, pour passer aux choses séreuses que sont l’économie, la santé publique et le bien être social. Toutes ces questions requièrent des investissements et des initiatives publiques et privées qui ne peuvent se prendre dans un contexte aussi incertain que celui que vit présentement le pays.
Il y a en effet, des questions que les investisseurs se posent quand il s’agit d’investir ou de manager du mieux possible des affaires. La première et, sans doute, la plus importante qu’ils se posent, est d’ordre législatif. Que permet de faire la loi et qu’est ce qu’elle interdit ? Et de ce point de vue, il faut bien se rendre à l’évidence que les investisseurs ne trouvent pas toujours des réponses claires et satisfaisantes, tant l’arsenal juridique existant est incomplet, contradictoire et souvent même, sujet à de brutaux changements qui favorisent l’instabilité juridique que redoutent, par dessus tout, les investisseurs. Le long confinement pour raison de santé publique et les soubresauts de la crise politique ont en effet compliqué la situation, en la rendant encore plus opaque et imprévisible qu’auparavant. Les réactions des autorités publiques sont de surcroit, toujours aussi versatiles et le climat des affaires déjà peu motivant est devenu encore plus sombre du fait du de persistantes dérives bureaucratiques. En pareil contexte, les opérateurs économiques n’ont d’autres choix que de mettre en veilleuses les activités en cours et à différer leurs projets d’investissements jusqu’à résolution de la crise multidimensionnelle que traverse le pays. Le pouvoir n’ayant d’autres option de sortie de crise que la celle de la répression et les insurgés que celle de l’insurrection permanente, il est peu probable que la stabilité politique revienne de si tôt en Algérie.
Entre temps, les problèmes économiques et sociaux s’accumulent au point qu’ils deviennent vraiment dangereux pour la stabilité et la cohésion nationale. Les ressources financières commencent à manquer, le chômage prend de l’ampleur et le pouvoir d’achat décline chaque jour davantage. L’État ne peut plus compter sur sa seule source de devises qu’est l’exportation d’hydrocarbures dont les prix et les quantités exportables sont malheureusement en constant déclin.
L’Algérie a besoin de stabilité politique pour pouvoir aborder et solutionner de manière sereine toutes ces questions fondamentales, à défaut de quoi aucune politique économique à la mesure des enjeux à venir, ne pourrait être conçue et mise en œuvre dans l’intérêt du pays. Et les questions fondamentales que les autorités politiques algeriennes ont feint d’ignorer des années durant, sont en train de resurgir, pour certaines, avec exigence de solution immédiate (Cas de la baisse des quantités de pétrole et gaz à exporter).
Sans limitation des questions qu’il faudrait absolument mettre sur table, on évoquera pelle mêle des thèmes aussi stratégiques que la mise à niveau des administrations et des institutions chargées de la mise en œuvre des réformes économiques. A qui confier la conception et la mise œuvre des réformes sachant que nos institutions n’ont pas la légitimité requise pour ce genre d’actions et qu’elle sont de surcroit sclérosées et incapables de manager ce type de changements qui requiert consensus?
Quelle stratégie d’intégration à l’économie mondiale adopter compte tenu de la situation de nos entreprises et de nos modes de production ? Quelle stratégie adopter en matière de privatisations ? Quelles sont les entreprises qui doivent en être épargnées ? Faut-il donner priorité au développement de la nouvelle économie basée sur les nouvelles technologies, les énergies renouvelable et de préservation de l’environnement, ou, faut-il seulement sauver et mettre à niveau le tissu industriel existant ?
Faut-il mettre l’Homme au centre du développement économique et social futur en développant davantage les infrastructures hospitalières, les universités et centres de recherches, la culture, les sports et loisirs, ou faut-il continuer à se soumettre aux seuls impératifs de rentabilité économique ?
L’Etat doit-il se désengager du secteur public économique où y rester, Sachant que près de 1000 EPE sur les 1400 en activité, sont en situation de faillite ? Qu’est ce qu’un service public devant rester sous le giron de l’Etat et une entreprise publique économique qui doit, de par son statut de société par actions, être soumise à l’obligation de résultats, à la concurrence et, si nécessaire, à la privatisation ? Tout cela n’est pas clair et devra impérativement être clarifié dans le cadre d’une nouvelle politique économique.
Qui sera chargé de piloter la transition à l’économie de marché en veillant, à travers un échéancier d’objectifs à atteindre, à ce quelle soit la moins longue possible
La stabilité couplée à la légitimité politique est évidemment nécessaire pour trancher des problèmes aussi importants que les modalités d’octroi de crédits aux entreprises, la politique de change, l’accès au foncier, le régime des transferts appliqués aux franchises, le retour indispensable au weekend universel et les apports multiformes de nos élites expatriées. L’interprétation polysémique accordée par les pouvoirs publics à ces questions centrales avait donné lieu à bien des dérives dont avaient profités les oligarques proches du pouvoir. Il ne faudrait donc pas que cela se reproduise!
Les grandes questions monétaires qui ne sont pas réglées méritent, elles aussi, d’être mises à plat, car elles conditionnent l’efficacité de la nouvelle politique économique à concevoir. Quel taux de change (officiel, effectif et/ou réel) appliquer au dinar ? Faut-il stabiliser le dinar à sa valeur actuelle ou, au contraire, le soumettre aux mécanismes du marché ? L’Algérie a telle intérêt à avoir un dinar fort ou faible ? Faut-il arrimer le dinar au dollar, à l’euro ou sur un panier de devises? Quelles actions précises l’Etat compte entreprendre pour éradiquer le marché parallèle de la devise et autres activités informelles qui gangrènent l’économie.
Enfin, l’Algérie, ses acteurs économiques et ses partenaires étrangers, ont besoin d’être fixés sur le statut des richesses du pays et des instances habilitées à décider de leur exploitation. Pour ce qui est des hydrocarbures par exemple, la décision doit elle toujours revenir au Conseil National de l’Energie créé à cet effet, mais qui se réunit rarement, sans jamais prendre le soin d’expliciter publiquement les décisions prises ? Ils ont également besoin de savoir si l’intensification des exportations de gaz et de pétrole n’hypothèque pas à terme, nos réserves et si l’exploitation de pétrole et gaz de schiste est vraiment un bon choix stratégique?
Il y a également lieu de débattre de la question centrale de l’après pétrole, d’autant plus, que les perspectives en matière de quantité et de prix sont pessimistes. Les énergies renouvelables peuvent elles constituer une alternative viable aux hydrocarbures ? Quelle richesse hors hydrocarbure lui substituer ? L’agriculture sous la forme bio ou au contraire une agriculture intensive ? Comment réformer notre système éducatif afin qu’il dispense des enseignements en phase avec les besoins des entreprises et que nos centres de formation supérieure soient directement au service du développement des territoires et de la nation ?
Comme on a pu le constater, beaucoup de questions, pour certaines, fondamentales continuent, comme on le voit, à se poser, aussi bien, aux acteurs économiques (entreprises, banques, investisseurs etc.) confrontés à d’inextricables difficultés de terrain, qu’aux acteurs politiques, qui ont du mal à prendre des mesures législatives et réglementaire en cohérence avec les objectifs tant la situation politique interne est instable et sujette à d’imprévisibles retournements de conjonctures. L’absence de réponses à ces questions, explique en grande partie l’enlisement des réformes avec tout le cortège de dérives, parmi lesquelles, le marché informel, le recul de la production industrielle, la persistance d’un climat des affaires peu incitatif et la dépendance aux hydrocarbures, sont les plus apparentes. C’est la crise politique qui bloque les initiatives économiques et ce n’est qu’une fois cette crise résolue, que les algériens pourront prétendre aux changements économiques souhaités.