Seconde puissance mondiale derrière les Etats-Unis, la Chine s’est remise rapidement de la maladie alors que le reste du monde demeure encore largement sous assistance médicale. Elle a d’ailleurs déjà amorcé sa reprise économique. Une reprise sous haute surveillance sanitaire qui devrait lui permettre de prendre une longueur d’avance sur les principales économies mondiales et d’être fin prêt pour le redémarrage économique de la planète. Au crédit géopolitique forgé au fil des années par ses investissements massifs à travers le monde, vient aujourd’hui s’ajouter celui d’une efficace politique d’assistance à de nombreux pays dans leur gestion de la crise sanitaire actuelle. Les puissances occidentales menacent, éructent, mais assistent impuissantes à l’inévitable ascension de leur rival No 1.
Le coronavirus aura plongé le monde dans un scénario catastrophe digne d’un film hollywoodien. Mais à la différence de l’habituel scénario, dans le rôle de « sauveur du monde », la Chine aura volé la vedette aux Etats-Unis. Le pays qui a été le premier touché par la maladie et qui s’en sort à ce jour sans trop de dégâts, a réussi à surfer la vague d’urgence mondiale et à consolider son image internationale.
Alors que les Etats-Unis se sont repliés sur eux-mêmes, conformément à la politique « America First » de son président Donald Trump, la Chine s’est montrée activement solidaire en apportant soutien médical et équipements sanitaires à de nombreuses nations.
L’opération chinoise a été, bien sûr, largement médiatisée et plusieurs analystes européens ont fini par la qualifier de « diplomatie du masque ». Si Pékin déteste le terme « propagande » qui lui est associé, il n’en demeure cependant pas moins vrai que cet appui médical international a permis aux pays qui y ont bénéficié de préserver de nombreuses vies et a profité grandement à l’image du géant asiatique.
Les gains issus du Covid-19 : Paradoxalement, le coronavirus aura été un formidable coup géopolitique pour la Chine, dans un monde désemparé et mal préparé face à la maladie. Plusieurs pays d’Europe du Sud comme l’Italie ou l’Espagne ; qui ont enregistré pendant une longue période de forts pics de décès ; lui doivent beaucoup. Tout comme la Serbie dont la Première ministre, Ana Brnabic, soulignait en mars dernier, lors d’une rencontre avec six experts médicaux envoyés par la Chine, qu’ils étaient « la ressource la plus précieuse dans la lutte contre la propagation du coronavirus » dans le pays.
Avant elle, le président serbe, Aleksandar Vucic, avait appelé Pékin à l’aide, affirmant que «la solidarité européenne n’existe pas. […]. Je crois en mon frère et ami Xi Jinping, je crois à l’aide des Chinois». Depuis le 1er mars 2020, la Chine aura expédié 3,86 milliards de masques et 35,7 milliards de vêtements de protection, plus de 16 000 respirateurs, des kits de test, partagé ses expériences de traitement avec plus d’une centaine de pays d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient, en plus d’y dépêcher des équipes d’experts médicaux.
La Chine se sera également attirée la sympathie de plusieurs organisations internationales, notamment l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a salué la réponse du pays à la maladie sur son territoire mais également félicité sa transparence dans le partage d’informations.
Pour la Chine, le Covid-19 pourrait finalement se révéler un précieux catalyseur de son leadership mondial, détrônant les Etats-Unis avec lesquels un bras de fer idéologique perdure depuis des décennies. Une ascension rendue possible par le retrait américain de grands enjeux internationaux et par des relations solides tissées au fil des ans par la Chine dans divers secteurs stratégiques.
Recul des Etat-Unis : Il faut dire que depuis son arrivée à la présidence de la République des Etats-Unis, le 20 janvier 2017, les décisions de Donald Trump- centrées sur les intérêts directs américains- lui ont certes permis de séduire une grande base d’électeurs, mais elles ont sérieusement écorné l’image du « leader du monde libre ». En 2017, le président américain a initié le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris ; premier pacte engageant l’ensemble de la communauté internationale dans la lutte contre le changement climatique, signé par son prédécesseur Barack Obama, alors que le Carbon Dioxide Information Analysis Center présentait la même année le pays comme le premier émetteur historique de gaz à effet de serre.
Le 8 mai 2018, il a retiré les Etats-Unis de l’Accord de Vienne, dont le but était de contrôler le programme nucléaire iranien et de faire lever les sanctions économiques qui touchent le pays. En 2019, à défaut de se retirer de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) comme plusieurs fois évoqué, Donald Trump a réduit la contribution financière des Etats-Unis dans l’organisation. Elle est passée de 22,1 % du budget de l’Otan à 16,35%. Le pays a durci ses politiques d’immigration et engagé une bataille commerciale avec ses alliés européens, en parallèle de celle menée avec la Chine. Le dernier grand coup international de Donald Trump concerne sa décision de suspendre le financement américain de l’OMS, le plus important en valeur, annoncé à 400 millions de dollars US en 2019.
Le président américain a peu apprécié les félicitations adressées à la Chine par l’OMS, qui estime que Pékin a apporté une réponse efficace face au Covid-19 sur son territoire et affiche de la transparence dans le partage d’informations liés à la maladie. Donald Trump a dénoncé un parti pris de l’agence onusienne envers la Chine. Ce retrait qui a soulevé des réactions mitigées, pas seulement de la Chine, s’est finalement révélée bénéfique pour Pékin car elle rend davantage crédible le message de Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, qui disait, le 24 mars dernier : la Chine fait « agressivement passer le message qu’à la différence des États-Unis, elle est un partenaire responsable et fiable ».
Des bases solides : La Chine qui rêve de conduire le monde a lancé en 2013 son projet de « nouvelles routes de la soie », qui vise à relier l’Asie à l’Europe en passant par l’Afrique. Plus de 120 pays d’Europe et d’Afrique ont déjà adhéré à ce programme d’aide financière « qui regroupe en fait toutes sortes de projets différents », selon Sébastien Jean, le directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). Plus de 900 milliards de dollars US de prêts consentis, ou en voie de l’être dans le cadre de ce programme, ont déjà permis à plusieurs pays de se doter d’infrastructures stratégiques (ports, aéroports, routes, énergie et chemins de fer) et à la Chine d’avancer ses pions. Aujourd’hui, Pékin est un partenaire économique mondial indispensable. « Les nouvelles routes de la soie » ont contribué à hisser le pays à la première place dans divers secteurs économiques ; notamment la détention de réserves de change, la production d’acier, de charbon et de ciment… La Chine contrôle par ailleurs plus de 70 % de la production de terres rares, métaux essentiels à la fabrication des téléviseurs, des batteries pour téléphones portables et voitures électriques, des pots catalytiques, des éoliennes. Le pays qui est devenu la principale source internationale de brevets déposées auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), s’est par ailleurs imposé comme pierre angulaire dans le marché de la fourniture des composantes informatiques.
Il devient incontournable dans l’innovation technologique et numérique, longtemps confisquée par les Etats-Unis. Même culturellement, la Chine se déploie à travers le monde. Mais les ambitions hégémoniques de la Chine, clairement mises en exergue lors de la crise de Covid-19, n’attirent pas que des sympathies. En Europe du Nord comme aux Etats-Unis, où les morts se comptent par dizaines de milliers, s’est rapidement développée une violente campagne dénonçant la responsabilité de Pékin dans l’épidémie et ses gigantesques conséquences économiques.
Paris, Berlin, Londres et Washington se montrent davantage incisifs après que le Washington Post, le 14 avril 2020, ait révélé que des télégrammes diplomatiques américains alertaient déjà en janvier 2018 sur des failles de sécurité au National High-Level Biosafety Laboratory de Wuhan, le nouveau centre ouvert en 2017 pour mener des recherches sur les agents pathogènes les plus dangereux.
Alors que Donald Trump annonçait qu’une enquête exhaustive a été lancée pour comprendre comment le coronavirus s’est déclaré, Emmanuel Macron, dans un entretien accordé au Financial Times, soulignait qu’ « il y a manifestement des choses qui se sont passées qu’on ne sait pas. Il appartient à la Chine de les dire ».
Malgré tout, rien ne semble pouvoir arrêter la progression de l’Empire du Milieu. Plus surendettés que jamais, incapables de solidarité entre eux, menacés par une récession sans précédent, ligotés par les populismes, les pays occidentaux peuvent bien s’agiter, une grande partie du monde a déjà les yeux tournés vers l’Asie.
Ecofin