En suspendant les manifestations le temps que durera la pandémie de Coronavirus, le Hirak a fait preuve d’un admirable civisme. Un civisme d’autant plus appréciable du fait que la décision de surseoir aux manifestations traditionnelles du Hirak fut prise avant même que le gouvernement n’envisage d’édicter les premières mesures de protection consistant, on s’en souvient, à fermer jusqu’au 5 avril, les universités, les établissements scolaires et les crèches.
Ce sont les étudiants qui avaient appelé les premiers à suspendre leur manifestation du mardi 17 mars correspondant à leur 56e sortie hebdomadaire. Et même s’ils n’avaient pas été totalement suivis, leurs mots d’ordres appelant à une trêve des marches en signe de participation à la lutte contre cette pandémie qui fait des ravages dans le monde et commencé à faire ses premières victimes en Algérie, avaient été largement entendus et admis comme meilleures postures possibles, pour préserver la santé publique. Dés la veille des manifestations estudiantines, tous les pronostics sérieux pariaient sur l’annulation des marches des mardis et vendredis, tant que la déferlante de coronavirus ne sera pas endiguée.
Entre temps, le gouvernement avait commencé à édicter de nouvelles mesures de protection en évitant toutefois, d’évoquer les plus efficaces d’entre elles. Ce n’est en effet que deux jours plus tard, sans doute sous la pression des médias, qu’il décida de fermer les sources de contamination les plus prolifiques que sont les frontières, les transports publics, les mosquées, les cafés et restaurants et salles des fêtes. Faute d’actions coercitives bon nombre de ces décisions ne seront pas appliquées sur le terrain et, pour preuve, les médias signalent chaque jour des marchés municipaux bourrés de monde, des cérémonies de mariages insouciantes, des prieurs invétérés alignés à proximité immédiate des mosquées, des salles d’attentes des administration et des postes pleines et des grands magasins pris d’assaut etc.
D’importantes autres mesures de protection restent à prendre par les pouvoirs publics qui se font dramatiquement attendre. On citera l’insuffisance de masques, de gants et de blouses de protection dont se plaignent les médecins et personnels soignants dans les hôpitaux et cabinets médicaux privés, nonobstant, les citoyens lambda contraints de les acheter à prix fort sur les marchés informels. Les algériens ne comprennent pas qu’une grande entreprise publique comme SOCOTHYD qui produit en quantités industrielles toute la gamme des produits destinée à la chirurgie (coton, pansements, lingettes, gants de chirurgie etc.) ne produise pas de masques anti-bactériens qui sont encore plus faciles à fabriquer. Qu’attend le gouvernement pour donner ordre à cette société étatique de produire en priorité et en quantité des masques et des gants, en lui garantissant la prise en charge financière de la commande ? Il suffirait que le premier ministre l’ordonne. Il en est de même pour les produits désinfectants que pourraient fabriquer pas mal d’entreprises en collaboration avec les facultés de chimie et pharmacie, comme on a commencé à le faire à l’université de Tizi Ouzou sur initiative purement citoyenne.
En matière d’hygiène publique on peut également reprocher au gouvernement d’être resté en retrait. Il n’a, à ce jour, pas donné ordre aux collectivités locales de désinfecter les espaces publics et les établissements sanitaires. Quelques actions ont certes été effectuées par quelques communes (cas de l’APC d’Alger Centre), mais dans la plupart des communes, seuls les citoyens ont procédé à leur propre initiative et avec leurs propres moyens, à la désinfection des rues, trottoirs et dépôts d’ordures, comme nous l’avons constaté le vendredi matin au quartier, Les Vergers (Bir Mourad Rais) et vu sur les réseaux sociaux dans de nombreuses localités du pays où les «hirakis» se sont, nous dit-on, concertés pour transformer les marches traditionnelles du vendredi, en actions citoyennes multiformes, allant du lavage des espaces publics en passant par l’installation d’équipements collectifs de désinfection, la distribution de masques et l’installation de stands d’information et de sensibilisation aux dangers du Coronavirus animés par des étudiants en médecine. Mais la plus importante mesure édicté par le Hirak est, sans aucun doute, le confinement des personnes à leur domicile. Cette mesure phare préconisée par toutes les institutions sanitaires du monde, comme la plus efficace dans la lutte contre ce type de pandémie, vient à peine d’être imposée par le gouvernement. Le Hirak était donc en avance sur l’administration, là aussi !
Le journalisme citoyen n’est pas en reste dans cette offensive du Hirak contre la pandémie. Des images et des commentaires qui nous viennent de l’ensemble du territoire national couvrent magnifiquement le combat que mène, sans attendre les injonctions des administrations publiques, la population algérienne qui redouble subitement d’ingéniosité quand il s’agit de substituer des moyens de lutte qui font défaut par d’autres, certes plus archaïques, mais tout de même, efficaces. C’est sans doute ça le génie populaire et il était remarquable le vendredi 20 mars dans toutes les villes du pays.
Il est tout de même regrettable, qu’au lieu de mettre en évidence et de louer toutes ces initiatives populaires destinées à faire barrage au Coronavirus, les télévisions algériennes ne se sont intéressées qu’à filmer les rues vides de la capitale et des grandes villes du pays, le vendredi 20 mars, jour de suspension du Hirak à l’initiative des « hirakis » eux-mêmes. Lorsque la décision fut prise le 16 mars, le gouvernement n’avait, en effet, pas encore décidé d’interdire les rassemblements. Il ne le fit que le 18 mars. Ces chaînes de télévisions qui s’étaient jusque là interdit de filmer les manifestations du Hirak se sont, comme par enchantement, prises d’engouement pour montrer ces avenues vides, sous le fallacieux prétexte que cela serait le résultat des «instructions gouvernementales scrupuleusement suivies par les algériens.» Pour ces médias le Hirak n’a jamais existé et n’existera que le jour où une instruction officielle leur donnera un avis contraire.