Dans cet entretien, le président du syndicat national des pharmaciens d’officines (Snapo) Messaoud Belambri réagit à la dernière décision du gouvernement concernant la vente des psychotropes. Selon lui, le décret est le premier texte réglementaire qui organise enfin la gestion technique des psychotropes au niveau des structures de santé publiques et privées. Il tire par ailleurs la sonnette d’alarme sur la pénurie des médicaments qui persiste selon lui.
Algérie-Eco : Le Gouvernement a enfin réagit à propos de la vente des psychotrope. Un décret vient de paraître sur le journal officiel à ce propos. D’abord quel lecture faites-vous à ce décret?
MBelambri : Ce décret était en préparation depuis octobre 2016 sur instruction du gouvernement, et c’est le ministère de la santé qui était en charge de sa préparation. Il faut également signaler que c’est le premier texte réglementaire qui organise enfin la gestion technique des psychotropes au niveau des structures de santé publiques et privées. Avant ce décret, les médecins et les pharmaciens n’avait entre les mains aucun texte qui définissait les modalités de prescription, de détention et de dispensation des produits psychotropes. Et face à ce vide, nous rencontrions sur le terrain d’énormes difficultés sur tous les plans. Ceci compromettait la bonne prise en charge des malades, et compliquait l’accessibilité aux soins et aux médicaments.
Le vide juridique dans le quel on exerçait nous mettait en situation de risque et d’insécurité.
Ensuite, le Snapo qui a longtemps appelé à réguler la vente des psychotropes, est-ce que vous êtes satisfaits?
La publication de ce décret est un grand pas dans le sens d’une sécurisation du circuit des psychotropes et des conditions de travail des professionnels de santé, notamment les pharmaciens. Plusieurs outils techniques sont prévus par ce nouveau texte, et les procédures de contrôle sont également définies. Il est également utile de rappeler que ce décret concerne tout le secteur PHARMA ; importation, production, distribution, officines, et les établissements de santé publics et privés.
Parmi les nouveautés, nous citons les ordonnances à souches, sans lesquelles aucun médicament psychotrope ne peut être dispensé. En effet tout médicament classé officiellement comme psychotrope, devra désormais être prescrit sur une ordonnance à souches, en trois exemplaires et de différentes couleurs, avec des numéros de série. La digitalisation de la gestion des psychotropes est également prévue, ce qui va encore améliorer la sécurisation de la gestion et l’utilisation des ces produits essentiels et sensibles.
Nous devons dire que le travail ne s’arrête pas à la promulgation de ce nouveau texte, car une autre commission du ministère de la justice a préparé un projet de loi qui modifie la loi 04-18, et va introduire d’autres mesures essentielles et très importantes. Telle la création d’un fichier numérique nationale sécurisé, l’introduction d’un nouveau mode de classification des produits faisant l’objet de détournement ou de mésusages, mais aussi l’introduction de mesures de protection des professionnels de santé dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, ceci pour répondre à l’inquiétude grandissante des médecins et pharmaciens face aux agressions et menaces quotidiennes.
D’un autre côté, le ministère de la santé, est en train de mettre à jours les tableaux portant classification des produits psychotropes et stupéfiants, et ce, en révision de l’arrêté du 09 juillet 2015. Ces nouveaux tableaux vont être publiés par arrêté signé par le ministre de la santé au journal officiel dans quelques semaines.
Nous avons donc plusieurs raisons de montrer optimistes, car les pharmaciens, exerçaient dans la peur, et nombreux sont ceux qui avaient abandonné ces produits à cause du manque de sécurité, mais aussi à cause du manque de visibilité et de protection sur le plan technique et juridique. Le nouveau décret ne règle pas tous les problèmes, mais il permet déjà d’assurer des conditions d’exercice plus claires, en attendant qu’il soit complété par la réforme des autres textes existants cités plus haut.
Autre sujet d’actualité celui de la pénurie des médicaments qui continue de susciter l’inquiétude des malades. Vous avez révélé au niveau du Snapo, récemment que la liste des médicaments manquants s’élève à plus de 200 produits. Pourquoi à votre avis ce problème persiste-t-il?
Le problème des ruptures persiste toujours, et nous comptons plus de cent 150 produits en rupture ou sous tension. Le pharmacien est obligé de chercher quotidiennement une longue liste de produits au près de ses fournisseurs, qui malheureusement ne lui fournissent pas la totalité des produits demandés. C’est ainsi des milliers de citoyens qui n’arrivent plus à accéder au médicament prescrit par leur médecin. Nous avons avance plusieurs solutions aux autorités dans le cadre de la cellule de veille. Et cette année par exemple, le ministère a signé pour la première fois depuis trois ans, une centaine de programmes complémentaires (les avenants), qui viennent en plus des programmes annuels. Mais sincèrement nous ne voyons guère d’amélioration sur le terrain, et face à travers ces ruptures et tensions, c’est le marché national du médicament qui est totalement perturbé et déstabilisé. L’Algérie dispose en 2020 de plus de 700 grossistes distributeurs, et paradoxalement, lez marché officinal souffre des ruptures et de la concurrence déloyale, car ces tensions sur la disponibilité aboutissent vers des comportements qui ne devraient pas se voir dans ce secteur, puisqu’ »il s’agit de la santé des citoyens. Le pharmacien, professionnel de santé exerçant une profession noble régie par un code de déontologie, et qui doit répondre à des besoins précis des malades en matière de santé publique, se retrouve otage de pratiques commerciales qui le mettent en difficulté financière et économique. Car face aux ventes concomitantes, aux packs, et à la délivrance conditionnée de quelques boites de produits introuvables, il se retrouve par la suite face a des difficultés de gestion ; de surstocks de produits à proches péremption et très peu prescrits, et en situation de surendettement vis-à-vis de ses fournisseurs.
Comment le ministère de la santé doit-il s’en prendre avec ce problème?
Les pharmaciens d’officine demandent une régulation du marché et des pratiques qui sévissent au sein de ce secteur. Au lieu d’une régulation nous faisons face à une rétention de produits sous tension, qui deviennent donc automatiquement en rupture. Et au lieu d’une équité en matière d’approvisionnements, on se trouve face à des injustices et à un manque d’équilibre dans la répartition des produits. Si les livraisons deviennent sélectives, ce n’est pas seulement de nombreux pharmaciens qui deviennent pénalisés suite à ces pratiques, mais ce sont des millions de citoyens qui sont privés de leurs médicaments.
Les problèmes sont connus, et portés à la connaissance du ministère à plusieurs reprises. Il y a même des rapports détaillés élaborés de manière commune entre tous les acteurs du secteur. Le ministère de la santé dispose de toutes les informations qui affectent se secteur. Il ne reste plus qu’à s’asseoir tous autour d’une table pour arrêter les priorités et les actions à entreprendre sur le terrain. La situation n’a fait que trop durer, et nous risquons d’aller vers plus de complications.