Faire payer les internautes pour accéder aux articles en ligne n’a pas permis aux journaux d’enrayer la crise structurelle dans laquelle les plonge le déplacement des lecteurs du papier vers le web, et beaucoup sont obligés de repenser leur stratégie.
« Les gens sont beaucoup moins disposés à payer pour des informations en ligne que pour l’imprimé », a résumé Mike Ananny, professeur de journalisme à l’université californienne USC et co-auteur d’une étude parue en juillet dans l’International Journal of Communication.
Cette étude a comptabilisé 69 cas entre 1999 et mai 2015 où des journaux du monde anglophone ont abandonné un système visant à faire payer les internautes désirant accéder à leurs articles: 41 de ces abandons ont été temporaires, 28 définitifs.
Et ces systèmes « génèrent seulement une petite portion des revenus du secteur », allant de 1% aux Etats-Unis à 10% au niveau international, estimait l’étude.
L’American Press Institute a décompté dans une autre enquête cette année que 77 des 98 journaux américains tirant à plus de 50.000 exemplaires continuaient d’utiliser une forme d’abonnement pour tout ou partie de leurs contenus en ligne.
Mais ces derniers mois, des titres comme le Toronto Star au Canada ou The Independent et The Sun au Royaume-Uni ont renoncé à leur système payant. Le magazine américain Newsweek l’a également supprimé pour la plupart de ses contenus, mais il limite le nombre d’articles de fond accessibles gratuitement.
Pour Alan Mutter, ex-rédacteur en chef de journaux à Chicago et San Francisco aujourd’hui consultant pour le secteur des médias, l’étude de l’USC confirme que les systèmes payants ne sont rentables que dans d’assez rares circonstances.
Le New York Times, le Wall Street Journal ou le Financial Times ont un certain succès parce que leurs contenus sont uniques, relève-t-il.
« C’est difficile pour un site internet généraliste de faire payer pour des informations qu’on peut trouver gratuitement en quelques clics », et cela peut même s’avérer contre-productif en créant « une barrière entre le journal et un lecteur occasionnel », prévient-il.
La situation est particulièrement difficile pour les titres en anglais en raison de l’important volume de contenus dans cette langue disponibles gratuitement en ligne.
Seulement 10% des lecteurs des pays anglophones sont prêts à payer pour des informations en ligne, selon une étude du Reuters Institute for the Study of Journalism de l’université d’Oxford. Le taux monte à 15% au Danemark et en Finlande, à 20% en Pologne et en Suède, et à 27% en Norvège.
Globalement, le bilan de beaucoup de systèmes payants instaurés ces dernières années est mitigé: « Ceux lancés entre 2012 et 2014 ont eu de bons résultats au début, puis ils ont en grande partie calé », souligne Ken Doctor, un consultant spécialisé dans le secteur des médias, qui écrit le blog Newsonomics. « Ils ne gagnent plus beaucoup en termes de nouveaux abonnements numériques, et leur version imprimée est en déclin rapide »
Parmi les exceptions notables en dehors des journaux les plus renommés, le Boston Globe a réussi à augmenter son abonnement en ligne à 1 dollar par jour en conservant 90% de ses abonnés. Le Star-Tribune de Minneapolis a aussi augmenté ses recettes tirées du numérique.
Pour qu’un système payant fonctionne, il faut regarder à long terme et investir dans le journalisme aussi bien que dans la technologie, avance Ken Doctor.
« Ils ont besoin d’une rédaction suffisamment grande et expérimentée pour que le public sente qu’il obtient quelque chose de suffisant et d’unique », explique-t-il. « Ils ont aussi besoin d’investir dans les produits numériques pour que l’expérience (du lecteur) soit meilleure ».
Pour Mike Ananny, les journaux doivent aussi se montrer créatifs et développer des modèles payants qui ne rebutent pas leurs lecteurs. Son étude suggère qu’ils « s’aident le mieux eux-mêmes ainsi que leurs lecteurs quand les systèmes payants sont flexibles ».
Beaucoup de journaux vont par exemple remplir un rôle civique en mettant leurs contenus en accès gratuit en cas d’événement majeur ou d’urgence, d’autres vont facturer leurs lecteurs pour des fonctionnalités ou des contenus spéciaux
Source : AFP