La politologue Louiza Dris-Aït Hamadouche a estimé que « la question de la libération des détenus d’opinion et l’arrêt des arrestations pour ‘délit d’opinion’ sont un véritable test pour le nouveau Président », Abdelmadjid Tebboune.
« Souvenons-nous que ce sont les mesures d’apaisement jamais mises en place qui ont tué dans l’œuf la crédibilité du panel pour le dialogue et la médiatisation. À l’époque, le chef de l’État avait été contredit et avait été désavoué par le chef d’état-major », a rappelé Dris-Ait Hamadouche dans un entretien accordé à El Watan de ce dimanche 22 décembre.
La politologue a estimé que « si Abdelmadjid Tebboune veut convaincre qu’il n’est pas le prolongement de Abdelkader Bensalah, la mise en place rapide des mesures d’apaisement est primordiale ».
« La question du changement radical n’est pas une promesse que l’on peut tenir à travers une décision ou une loi »
Évoquant le discours d’investiture de Abdelmadjid Tebboune, pour la politologue, il « ressemble plus à un discours de campagne qu’à une déclaration solennelle susceptible de révéler le cap le Président prendra ».
« Il a fait énormément de promesses dans énormément de domaines, ce qui contribue à brouiller le message essentiel ou à laisser penser qu’il n’y en a pas », a noté la politologue, pour qui « la question du changement radical n’est pas une promesse que l’on peut tenir à travers une décision ou une loi ».
« Il s’agit d’un processus qui ne peut absolument pas être mené ni de façon unilatérale ni de haut en bas. Dans le monde, il existe des pays où un dirigeant issu du système en place a effectivement pu conduire une transition et beaucoup d’autres où ce dernier n’a fait que reproduire le système en place », a-t-elle expliqué.
Concernant la promesse exprimée du nouveau président de modifier la Constitution, Dris-Ait Hamadouche a indiqué que « si les tenants du pouvoir sont seuls à conduire et à maîtriser le processus, où s’ils choisissent eux-mêmes leurs partenaires, le résultat ne sera pas différent de ce que nous avons déjà ».
« Les mêmes causes produiront les mêmes effets »
À la question de l’émancipation du Président de la tutelle de l’Armée, la politologue a estimé que « c’est très difficile à dire ». Selon elle « deux scénarios sont envisageables », un optimiste et un autre pessimiste.
Concernant le scénario optimiste, elle a considéré qu’Abdelmadjid Tebboune « se rendra compte que les ressources matérielles et symboliques, que le pouvoir politique a usées et abusées, ne sont plus aussi disponibles qu’avant. Et que tenter de les solliciter malgré tout est un véritable danger pour le pays ».
« Je pense notamment à la distribution de la rente qui maintient un semblant de paix sociale tout en produisant du sous-développement et de la corruption. Je pense aussi au soulèvement populaire pacifique qui continue à maintenir une très forte pression. Dans ce cas de figure, il pourrait amortir un processus de négociation avec les forces de l’opposition traditionnelle et nouvelle. Lesquelles négociations détermineront les procédures, les étapes, le calendrier d’un changement progressif et profond de la nature du pouvoir politique en Algérie », a-t-elle expliqué.
Dans le scénario pessimiste, pour la politologue « les mêmes causes produiront les mêmes effets ». « Le pouvoir tentera de se reconfigurer autour de l’institution présidentielle et militaire. Les acteurs en présence tenteront de revenir à la gestion des équilibres entre les groupes d’intérêt », a-t-elle ajouté.
« Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce schéma risque d’être difficile à remettre en place. Tous les événements qui se sont succédé depuis le 22/2 sont de véritables séismes et les tenants du pouvoir auront beaucoup de mal à faire comme si de rien n’était, et ce, indépendamment du Hirak qui constitue une source de pression extrêmement grande », a-t-elle analysé.
« En fonction des scénarios que j’ai cité plus haut, soit il tentera de l’affaiblir, de le diviser et de gagner du temps en essayant de coopter des personnes qui serviront d’alibis ; soit il mettra en place les mesures qui permettront l’ouverture d’un vrai dialogue de fond, transparent, conforme aux normes universelles », a conclu Dris-Aït Hamadouche.