Maisons connectées, technologies de pointe, gestion optimale des ressources… les villes de demain seront de plus en plus intelligentes, suivant la tendance de la révolution technologique au niveau mondial. En Afrique, ces villes intelligentes semblent rencontrer un franc succès auprès des dirigeants qui y voient une opportunité pour mieux relever le défi de l’explosion urbaine qu’enregistrera le continent au cours des prochaines années.
La smart-city ou ville intelligente a été imaginée à l’origine pour résoudre des problèmes d’urbanisme et de développement durable des villes des pays du Nord. Plus concrètement, il s’agit de zones où technologie et connectivité sont au cœur de l’infrastructure et qui offrent des espaces pour vivre, apprendre, travailler, entreprendre et développer des activités innovantes.
Pour la plupart des experts, une ville doit remplir six critères pour être qualifiée d’intelligente. Elle doit avoir une administration, un mode de vie, des habitants, une économie, une mobilité et un environnement « intelligents ».
Transposées dans le contexte africain, il s’agit donc de villes conçues ou remodelées pour faciliter la mobilité, réduire la consommation d’énergie, proposer des solutions optimales et innovantes pour la gestion des déchets et l’assainissement, aider à la conception et à la construction d’établissements publics écologiques, offrir un large choix de matériaux efficaces sur le plan énergétique. Elles doivent pouvoir créer de nouveaux emplois durables, en s’appuyant notamment sur le développement du numérique.
Depuis quelques années, l’Afrique a enregistré de nombreux projets de villes intelligentes qui comptent se développer en réduisant rapidement la fracture technologique qui afffecte le continent.
Ces futures smart cities africaines : Selon le cabinet Estate Intel, plus de 100 milliards $ de projets de nouvelles villes sont en cours sur le continent africain. Prévus pour s’étaler sur des millions d’hectares, ces projets font la part belle aux villes intelligentes pour accélérer le processus de développement technologique du continent. En mars dernier, l’Agence française de développement (AFD) a sélectionné 12 villes africaines pour former un réseau africain de villes intelligentes (ASToN-African smart towns network) : Alger (Algérie), Bamako (Mali), Benguérir (Maroc), Sèmè-Kpodji (Bénin),Bizerte (Tunisie), Kampala (Ouganda), Kigali (Rwanda), Kumasi (Ghana), Lagos (Nigeria), Maputo-Matola (Mozambique), Niamey (Niger) et Nouakchott (Mauritanie).
Ainsi, au Bénin, le gouvernement a lancé depuis 2017 le programme Sèmè-City qui vise à créer une ville intelligente dédiée à l’innovation et au savoir, dans la ville de Sèmè-Kpodji, située entre Cotonou et la capitale Porto-Novo. Au Kenya, la Konza Technopolis ou Konza Technology City (KTC) ou encore « Silicon Savannah » est un projet phare du gouvernement.
Sur une surface de 2000 hectares, il vise à construire, pour un coût global de 400 millions $, une ville entièrement dédiée à la technologie, à l’image du projet de la Cité de l’Innovation de Kigali au Rwanda, financée par la Banque africaine de développement (BAD) et dont la valeur est estimée à plus de 2 milliards $. D’autres grandes métropoles comme Casablanca ou Abidjan couvent également des projets de migration progressive vers le statut de villes intelligentes. Cependant, c’est sans doute en Egypte que se trouve le projet le plus pharaonique de ville intelligente africaine.
A 45 km à l’est du Caire, une nouvelle capitale administrative égyptienne est en cours de construction depuis 2015. Pour un coût global estimé à 45 milliards $, la « Sissi City » comme on la surnomme, vise à construire sur plus de 700 km² une ville fondée sur les technologies de l’information et la connectivité, les réseaux intelligents, les moyens de transport intelligents ainsi que l’administration intelligente. Environ dix mille kilomètres de voies nouvelles et plus de 663 infrastructures de santé devraient y être construits.
Des contraintes urbaines à exploiter : Pour de nombreux experts, l’Afrique est le continent le mieux placé pour profiter du plein potentiel qu’offrent les villes intelligentes. Ceci est essentiellement lié à la structure actuelle des villes africaines considérées comme mal adaptées pour absorber les effets de la prochaine explosion démographique qu’enregistrera le continent.
Avec une population estimée à 1,3 milliard d’individus pour une superficie de 30,2 millions km², l’Afrique abrite environ 17% de la population mondiale sur 22% des terres de la planète. Au cours des dernières années, le taux d’urbanisation du continent a considérablement évolué. En seulement dix années, la population urbaine de l’Afrique a doublé. Elle est passée de 237 millions en 1995 à 472 millions d’individus en 2015. Cette progression devrait se maintenir dans les prochaines années. Pour les analystes, 560 millions d’Africains résideront dans les villes du continent dès 2020, et ce chiffre pourrait être porté à près d’un milliard, d’ici 2040. En d’autres termes, la moitié des 2 milliards d’habitants de l’Afrique attendus à cet horizon vivra dans les villes. Par ailleurs, d’ici 2050, l’Afrique réalisera à elle seule 50% de la croissance urbaine mondiale, selon la Revision of World Population Prospects réalisée par les Nations unies.
Pour de nombreux experts, la structure actuelle des villes africaines ne leur permettra pas de faire face à cette explosion urbaine, en raison notamment du manque d’infrastructures appropriées pour fournir les services de base. En matière de services technologiques, ce retard est encore plus important. Cependant, c’est justement ce retard qui devrait permettre aux villes africaines de réaliser des bonds de géants dans leur migration vers le statut de villes intelligentes.
En effet, les villes africaines sont plus jeunes et plus flexibles que les villes des pays développés et sont de ce fait, moins freinées par le poids des infrastructures existantes. Ainsi, elles ont de nombreuses opportunités pour développer des projets à fort potentiel technologique, comme le passage direct au mobile et à la fibre optique et l’installation de Smart Grid pour leur gestion énergétique. « L’avantage des villes africaines pour l’adoption des technologies dépasse de loin celui de leurs homologues orientaux et occidentaux, car bon nombre d’entre elles ne souffrent pas des coûts paralysants associés à l’entretien des infrastructures et systèmes existants », indiquait à cet effet Denise Lee, directrice associée chez Deloitte Afrique. Et d’ajouter : « Des pays comme l’Ethiopie, la Libye et le Soudan du Sud n’ont pas d’installations de câbles de télécommunications importantes et n’auraient donc pas besoin d’envisager le passage de l’analogique à l’ADSL, ils peuvent immédiatement envisager d’aller de l’avant avec une mise en œuvre pure du dernier réseau 5G/ LTE. De plus, ils n’auraient pas à s’inquiéter des coûts et de l’approvisionnement en ressources liés au patch et à la mise à niveau des sections de composants réseau existants mais obsolètes ».
Des retombées économiques et sociales attendues : Les nombreuses initiatives localisées qui foisonnent sur le continent sont des étapes vers le développement de villes intelligentes, contribuant ainsi à africaniser le phénomène de smart city. Au cours des prochaines années, ces initiatives devraient d’ailleurs avoir des retombées économiques et sociales pour les Etats africains. Ainsi, grâce au projet Sèmè City, l’Etat béninois espère former 200 000 apprenants à des programmes axés sur l’innovation, d’ici 2030, tout en créant plus de 190 000 emplois directs et indirects dont un tiers d’auto-emplois. Au Kenya, le gouvernement espère que le projet Konza Technology City (KTC) contribuera à hauteur de 2% au Produit intérieur brut (PIB), en plus de créer plus de 200 000 emplois d’ici 2030. Un campus pouvant accueillir jusqu’à 1500 étudiants, des industries de fabrication de matériaux d’assemblage, des hôtels et des zones résidentielles devraient également être construits dans la future smart city. Au Rwanda, le gouvernement espère, grâce à la Kigali Innovation City (KIC), créer plus de 50 000 emplois et générer 150 millions $ d’exportations dans le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC), en plus d’attirer environ 300 millions $ d’investissements directs étrangers par an.
En Egypte, les autorités espèrent, grâce à la nouvelle capitale administrative, désengorger Le Caire qui occupe le rang de ville la plus peuplée d’Afrique avec plus de 24 millions d’habitants. La nouvelle ville, en plus d’être intelligente, devrait donc accueillir plus de six millions et demi d’habitants, répartis sur vingt-et-un districts résidentiels, à une échéance de vingt ans environ.
De plus, ces projets semblent séduire les investisseurs privés, nationaux comme internationaux, intervenant pour beaucoup dans le domaine des nouvelles technologies. L’année dernière, par exemple, le géant chinois Huawei indiquait qu’il lancerait un fonds de 1,5 milliard $ pour soutenir les smart cities africaines. En novembre 2018, le fonds Africa50 avait également annoncé qu’il investirait environ 400 millions $ dans la KIC rwandaise. De bonnes nouvelles pour les Etats, dont les ressources publiques restent largement insuffisantes pour financer de tels projets. Cependant, si le problème du financement semble se résoudre progressivement, d’autres défis importants restent à relever. A cet effet, l’amélioration de la sécurité, sur un continent en proie à la recrudescence des violences et conflits, ainsi que l’optimisation de la connectivité internet qui reste encore en dessous des attentes, devraient particulièrement retenir l’attention des décideurs publics au cours des prochaines années.
Ecofin