La loi sur les hydrocarbures, dont le projet est présenté aujourd’hui à l’Assemblée Populaire Nationale (APN) est utile mais insuffisante, selon le professeur Mohamed Cherif Belmihoub.
Le bilan dressé par le professeur en économie, invité de la rédaction de la Radio chaîne III ce matin, est mitigé. Pour lui, en effet, « cette loi est venue au bon moment. Elle est utile et opportune, parce qu’elle répond à la problématique de la dépendance de l’économie algérienne aux hydrocarbures fossiles ».
Cependant, si justifiée, la loi sur les hydrocarbures reste incomplète. L’Algérie n’a pas de politique énergétique, selon Belmihoub, estimant que le projet de loi en débat aujourd’hui à l’Assemblée est fragmentaire.
Ainsi, dès l’indépendance, on a fait de la valorisation des ressources naturelles un outil de développement, explique l’analyste, « mais il se trouve que l’Algérie n’est pas un grand pays pétrolier, d’une part, et nous n’avons pas réalisé suffisamment d’investissements dans ce secteur stratégique, d’autre part ».
De la nécessité d’une politique nationale de l’énergie
À la lumière de ces insuffisances, l’Algérie est arrivée à « une impasse », car « le pays n’est pas exploré ». Cette loi, qui favorise l’exploration, a été écrite pour améliorer la production. Une production qui d’ailleurs enregistre une baisse continuelle en 2008. En janvier 2019, elle avait chuté de 7,7% par rapport au même mois de l’an précédent. « Les investissements n’ont pas été suffisamment importants pour garder au moins la production de 2008 », déplore Belmihoub.
« C’est une question de gouvernance. Nous sommes aujourd’hui en train de payer la facture aujourd’hui de vingt ans de gabegie, d’irresponsabilité, de non-gouvernance du pays. »
Malgré l’impact positif qu’aura la loi sur les hydrocarbures sur leur production, elle ne remplacera pas toutefois une réelle politique énergétique, poursuit le professeur. En effet, « il ne suffira pas d’une loi » pour couvrir les nouveaux enjeux que représente notamment la transition énergétique. Belmihoub préconise un débat national faisant intervenir hommes politiques et experts autour de questions telles que le gaz de schiste, le solaire et autres énergies renouvelables.
Car, en 2025, l’Algérie ne sera plus en sécurité énergétique, selon les études. Un danger que l’Algérie doit anticiper en ayant « une vision globale et cohérente ». « On ne va pas des énergies fossiles au solaire, par exemple, du jour au lendemain », poursuit l’analyste.
Consommation interne : L’enjeu majeur
Une autre zone d’ombre qu’une politique nationale de l’énergie serait à même d’éclairer : la problématique de la consommation interne, subventionnée à hauteur de 16 milliards de dollars.
« Quelle que soit la production réalisée dans les années à venir, elle ne suffira pas. La croissance de la consommation interne avoisine les 10%. »
Une consommation qui représente un véritable « handicap », spécialement si l’État souhaite préserver cette rente permettant le financement du développement économique. D’où la nécessité de repenser les tarifs de l’énergie à destination de la consommation locale. Surtout compte tenu de la répartition « préoccupante » de cette consommation entre ménages et industrie.
« L’Algérie est un des rares pays, si ce n’est le seul, où la consommation domestique est supérieure à la consommation industrielle. Dans les pays développés, c’est l’industrie qui consomme l’essentiel de l’énergie. »
Souveraineté nationale : Un faux débat
Le débat autour de la souveraineté de l’Algérie sur ses ressources est un faux débat. « Stocker l’énergie pour les générations futures, ça n’a pas de sens », soutient Mohamed Cherif Belmihoub. Il souligne que dans 20 ans la demande en pétrole, et par conséquent sa valeur, sera moindre que les cours actuels. L’exploration et l’exploitation immédiates représentent donc une nécessité pour l’économie du pays, en berne depuis le lancement de la politique d’ouverture tous azimuts en 1989, s’étant focalisée sur l’importation et la désindustrialisation.
« Nous avons été pervertis par les hydrocarbures, alors que l’Algérie n’est pas parmi les plus grands producteurs. Aujourd’hui, nous découvrons que c’est un pays pauvre. »
L’analyste a constaté que la structure économique algérienne n’a pas changé en 30 ans. « Les hydrocarbures représentent toujours 98% des recettes d’exportations et vers 70% des recettes fiscales », explique-t-il.
Et de poursuivre : « Ces 20 dernières années, la dépendance s’est aggravée. Nous avons opté pour un modèle économique de croissance par la commande et la dépense publiques, conforté par l’augmentation des prix des hydrocarbures ».
« Nous n’avons aujourd’hui pas de structures économiques capables de produire des richesses ; notre économie n’est pas compétitive. Plus préoccupant encore : les revenus engendrés pas les hydrocarbures sont allés vers les patrimoines particuliers des ménages plutôt vers le capital des entreprises. »