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Scrutin du 12 décembre : Les électeurs sur lesquels compte le pouvoir

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Le peuple a réitéré pour la 37e fois et encore plus massivement ce vendredi 1er novembre, sa détermination à reprendre en main sa souveraineté et notamment son destin politique. Les premières estimations font état de plusieurs millions de manifestants à travers le territoire national et plus de trois millions uniquement dans la capitale. Il n’y a évidement aucun intérêt à polémiquer sur les chiffres puisque les images diffusées par les médias ne souffrent d’aucune ambiguïté quant au caractère massif des sorties populaires en cette date commémorative du déclenchement de notre guerre de libération nationale. La symbolique du 1er novembre étant très forte, les manifestations du hirak ont eu un écho significatif à travers le monde et notamment à Paris où une centaine de milliers de compatriotes avaient pris part à une marche gigantesque allant de la place de la République à celle de la Bastille.

Il est étonnant que ces démonstrations populaires, qui drainent des millions d’algériens depuis plus de huit mois, puissent laisser froid les tenants du pouvoir auxquelles elles s’adressent. Ces derniers ont non seulement sombré dans une sorte d’autisme teinté de mépris, mais, pire encore, dressent des feuilles de routes occultant totalement la réalité des faits. On se pose alors la question du pourquoi de cet arrogant mépris qui encourage les détenteurs du pouvoir à organiser le 12 décembre prochain une élection présidentielle dans un contexte politique et social qui ne se prête guère à ce genre d’exercices. À travers les informations que nous avons pu recueillir de diverses sources, nous avons pu esquisser quelques réponses à ce comportement jusqu’au-boutiste, certes propre aux militaires, mais auxquels peuvent se greffer d’autres motivations.

Les tenants actuels du pouvoir partent en effet de la certitude que la loi électorale permet de légaliser un scrutin sans limite inférieure du nombre d’électeurs. Comme le vote n’est pas obligatoire, le peu d’électeurs qui y prendront part suffit à légaliser le résultat et donc à élire le futur président. Cela a toujours été ainsi et, pour preuve, les quatre mandats d’Abdelaziz Bouteflika se sont contenté d’à peine 20% d’électeurs, fraude comprise. Ceux qui tiennent à organiser le scrutin du 12 décembre sont empreints de cette réalité et en font un modèle à suivre et un objectif à atteindre.

Qui seront ces votants ?

Il reste à trouver l’électorat potentiel sur qui compter pour donner un minimum de légitimité à ce scrutin, qui ne manquera pas d’être contesté et cette fois de manière particulièrement bruyante par le peuple algérien, qui a appris à contester dans la rue.

Le premier grand vivier électoral sera évidement le corps constitué composé de militaires, gendarmes, policiers et sapeurs pompiers duquel le pouvoir peut tirer environ 1,5 million d’électeurs.

Le second gisement d’électeurs potentiels se trouve dans le fichier électoral qui contiendrait, selon les estimations de certains partis d’opposition, plus de 4 millions d’électeurs fictifs (morts non déclarés, inscription dans plusieurs fichiers communaux, âges trafiqués, etc.). Toutes les tentatives d’assainir ce fichier ont échoué faute de volonté politique et le problème se pose aujourd’hui encore avec plus d’acuité.

Les fonctionnaires constituent également des électeurs potentiels, en ce sens que le déroulé de leurs carrières et notamment leurs promotions consiste à prouver constamment leur fidélité au pouvoir. Une communication offensive du pouvoir pourrait convaincre des centaines de milliers d’entre eux à se rendre aux urnes, avec l’idée déjà préconçue de voter pour un candidat bien précis.

Des 3 à 4 millions d’électeurs que le pouvoir pourrait tirer de ces trois gisements peuvent s’ajouter d’autres sources qui, lorsqu’elles s’agrègent, peuvent atteindre des résultats étonnants. Ces sources, on l’a compris, se trouvent chez tous ceux qui craignent de perdre des privilèges, des rentes de situations ainsi que des fonctions et des biens mal acquis. Dans un article posté sur Facebook, le très fin observateur de la scène politique algérienne, M. Lies Goumiri, cite précisément ces fonctions occupées quasi-naturellement par les plus fervents adversaires de la révolution du 22 février. Ils sont non seulement nombreux, mais également influents sur les opinions qu’ils pourraient convaincre ou contraindre à prendre le chemin du vote.

On peut y mettre, écrit-il, une grande partie des hauts fonctionnaires : ambassadeurs et consuls voire tout le personnel diplomatique et les cadres des institutions et entreprises activant à l’étranger et payés en devises, les walis et leurs exécutifs, les personnels dirigeants des grandes institutions ey des grandes entreprises publiques, les fonctionnaires des administrations « juteuses » comme les douanes, le fisc, la police des frontières, auxquels pourraient s’ajouter les personnels des corps constitués, sous grande influence répressive, et enfin les islamistes.

Le même expert ajoute à cette liste d’électeurs potentiels sur lesquels table le pouvoir pour gagner le pari de l’élection du 12 décembre 2019, un certain nombre d’acteurs économiques et politiques activant en dehors du secteur étatique. Il cite les affairistes privés, les spéculateurs, les tenants de l’import-import, les pseudo-capitaines de l’industrie algérienne, les abonnés à l’ANSEJ et aux micro crédits non remboursables, le personnel politique qui a soutenu le 5ème mandat, les retraités déplafonnés à 250.000DA/mois, une grande partie des ministres, secrétaires généraux, directeurs de grandes institutions, walis, chefs de daïras, sénateurs, députés du FLN et RND à la retraite ou encore en activité, pour qui le Hirak constitue un danger, en ce sens qu’il peut les empêcher de « continuer à traire la vache Algérie ».

Un Hirak conscient des enjeux

On comprend donc que si l’élection du 12 décembre parvient à se tenir (et rien dans les propos du vieux général n’augure un éventuel changement de cap), le pouvoir peut effectivement compter sur un nombre d’électeurs suffisamment élevé pour donner au résultat une certaine crédibilité. Le nombre de votants se situerait en cas de vote entre 8 et 10 millions, soit un niveau égal voire même légèrement supérieur à ceux des 3e et 4e mandats d’Abdelaziz Bouteflika. De nombreux chefs d’États étrangers se dépêcheraient alors de féliciter le président élu, même si l’élection n’a pas brillé par sa transparence. C’est sans doute le calcul sur lequel table le pouvoir en place. D’où le mépris affiché envers tous ceux qui contestent cette feuille de route à laquelle semble tenir tout particulièrement le chef d’État major militaire.

À travers certains slogans « makanch el vote maa el issabates, hadh laam makanch el vote » (pas d’élections avec la bande, cette année il n’y aura pas de vote),le Hirak semble avoir très bien saisi cette problématique. Il sait que  l’avenir de l’Algérie se jouera sur sa capacité ou non à empêcher que ce scrutin se tienne, d’où la montée en cadence des manifestations et des revendications anti-vote. Il reste encore plus d’un mois pour l’éventuelle tenue de l’élection présidentielle et beaucoup d’événements produits par l’ampleur du Hirak, ou de faits conjoncturels imprévus, pourraient surgir d’ici là pour changer carrément la donne ou, a contrario, renforcer l’hypothèse du rendez vous électoral.

Fort des certitudes que nous venons d’énumérer, force est de constater que le pouvoir maintient le cap du 12 décembre. Fort de sa légitimité et de l’adhésion de l’écrasante majorité du peuple algérien, le Hirak poursuit de son côté la pression sur ce pouvoir qui n’a plus de légitimité constitutionnelle depuis le 9 juillet 2019, avec la certitude de le faire plier et l’amener à accepter la mise en œuvre des article 7 et 8 de la constitution, grâce auxquels il compte recouvrer sa souverainement et, par voie de conséquence, la possibilité de relancer le processus électorale au moyen d’une instance de transition qu’il aura lui-même choisie.

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