Une série de recommandations ont été rendues publiques ce mardi, à l’issue de la rencontre-débat organisée à l’Hôtel Aurassi par le FCE en vue d’atteindre la sécurité alimentaire. Un défi auquel les chefs d’entreprises accordent une importance majeure au point d’avoir initié une étude approfondie de la problématique. La présentation de cette étude s’est déroulée en présence d’officiels, de représentants d’instituions impliqués dans la chaine alimentaire et de producteurs agricoles. Selon Omar BESSAOUD, Professeur et chercheur au CIHEAM –IAMM de Montpellier, à qui a été confiée l’étude rappelle dans l’introduction que « si le pays veut une agriculture prospère qui contribue au mieux à la sécurité alimentaire et à la souveraineté alimentaire, il doit disposer d’une industrie, des services et des sources de financement diversifiées qui répondent au mieux aux besoins de l’agriculture, des agriculteurs et du milieu rural. Sans une économie nationale suffisamment intégrée, il ne saurait y avoir ni sécurité, ni souveraineté alimentaires durables ». Partant de ce constat, des recommandations ont été mises en exergue afin d’assurer un niveau de sécurité alimentaire appréciable de réduire les importations qui alourdissent la facture des dépenses publiques. Il s’agit surtout de cibler certains produits qui peuvent être développés de façon intensive et soutenue. Selon ces recommandations « la première exigence qui s’impose dans le cadre de l’objectif de réduction de la vulnérabilité alimentaire de l’Algérie, est d’établir un nouvel équilibre entre approvisionnements extérieurs et offre nationale en réalisant l’objectif d’amélioration du taux d’autosuffisance au sein de trois filières prioritaires dont les produits ont un poids décisif sur le profil nutritionnel et les habitudes alimentaires des populations : le blé dur, la lait et la pomme de terre » a-t-on indiqué en expliquant que « pour le blé dur, l’option d’une réduction des importations sur le moyen terme est justifiée et légitime compte tenu des tendances des marchés du BD et de la forte volatilité des prix qui les caractérisent. Le blé dur occupe la part la plus importante des surfaces agricoles utiles dédiées aux céréales et constitue la base alimentaire de la majorité des populations rurales et agricoles. Produire plus de 1,5 millions de tonnes sur le moyen terme (3 à 5 ans) exigent un engagement de l’Etat pour renforcer les moyens techniques aptes à améliorer les rendements (intensification, irrigation d’appoint, recherche agronomique). Ces moyens techniques doivent être conjugués à des mesures économiques (prix auquel on peut le produire, prix payé au producteur) ». S’agissant du second du lait, le document argue qu’ « il est clairement établi que deux raisons majeures font obstacle à l’accroissement des productions de lait : la disponibilité fourragères et la productivité des vaches qui reste faible (3 000 l/vache et par an contre près de 7 000 l/vache/an en moyenne dans les pays de l’Union européenne). Le document ajoute que « les réserves de production supplémentaire et de productivité existent. Elles reposent, sur des modes de conduites et d’alimentation améliorés, sur des mesures de valorisation des races locales qui représentent près de 70% du cheptel bovin laitier, des mesures incitatives intégrant les exploitations laitières familiales très largement majoritaires (90% des exploitation laitières), la poursuite des mesures de soutien au développement des productions fourragères (incitations pour accroitre les surfaces fourragères en irrigué), la mise en œuvre d’innovations locales validées par la recherche (production de rations fourragères (techniques hydroponiques…) et le développement des industries des aliments du bétail. Des instruments économiques (politique de prix garantis, de crédits bancaires et de subventions) et organisationnels (notamment l’organisation des marchés des aliments) adaptés à cet objectif devront être poursuivis ». Concernant la production de pomme de terre qui, selon l’étude du FCE « a enregistré les performances les plus spectaculaires dans le pays. Elle a transformé la carte des cultures du pays et favorisé des changements dans les comportements alimentaires des populations. Une véritable transition alimentaire est en cours, car ce produit qui est, en dépit des hausses de prix qui le caractérise, l’un des produits les moins chères offerts sur les marchés, de plus en plus consommé par les ménages ». A cet effet, le FCE estime que « la filière pomme de terre doit être encouragée et être exclusivement orientée vers l’approvisionnement du marché national et des industries de transformation car il est illusoire d’envisager des volumes d’exportation et concurrencer des pays où les options agro-exportatrices sont très anciennes ». Le FCE préconise « d’améliorer la productivité et les rendements de cette culture afin de stabiliser et abaisser les prix à la consommation afin et de les rendre plus compatibles avec les revenus des ménages les plus modestes. La diversification de la consommation qu’elle peut favoriser permettra d’assurer une transition alimentaire faisant moins de place aux consommations de céréales (premier poste de dépenses alimentaires des ménages) ».
Renforcer les capacités des exploitations agricoles
L’étude explique que « l’agriculture d’entreprise est en plein développement dans le pays notamment depuis la mise en œuvre des dispositions sur la concession agricole ou l’Accès à la Propriété Foncière Agricole. Des investissements sont mobilisés dans la création de petites et moyennes exploitations familiales (de l’ordre de 5 à 10 ha en irrigué) ou de grandes exploitations (supérieures à 50 ha) jugées plus qualifiées car mieux dotés en capital pour développer la production agricole. L’agriculture d’entreprise (ou patronale) concurrence très fortement les deux autres pôles structurant l’agriculture algérienne que sont le pôle de l’agriculture familiale et celui de la petite agriculture paysanne de survie ». A cet effet, l’entité patronale indique que « ces trois formes abritant des populations différentes ont des objectifs et des logiques de fonctionnement différents. Une politique agricole rationnelle ne consiste pas simplement à définir des modes de gestion technique ou l’atteinte d’objectifs de production. Elle s’adresse également à une diversité de producteurs ou à des populations avec des intérêts qui ne gèrent pas de la même façon » Pour ce faire « Il convient d’intégrer la diversité des exploitations agricoles dans les objectifs de politique agricole et de sécurité alimentaire, et de soutenir équitablement et conjointement les trois pôles qui structurent l’agriculture du pays. L’Etat doit énoncer des mesures de promotion des petites et moyennes exploitations agricoles familiales par l’appui à la reconversion des cultures, à l’intensification (des céréales), à la diversification des activités et au développement des produits de qualité et des produits de niche dans les différents terroirs inventoriés. L’on ne peut construire une agriculture sans agriculteurs et l’Etat se doit de poursuivre un processus de modernisation des exploitations familiales. Il doit les aider par le moyen de dispositions fiscales et règlementaires à se doter d’outils collectifs de proximité (coopératives d’utilisation de matériel, coopératives de commercialisation…) leur permettant de réaliser les économies d’échelle et de mieux s’insérer dans la chaine de valeur ».
Le développement rural en ligne de mire
L’étude constate que « les solutions au pôle de la petite agriculture paysanne, caractérisé par de faibles dotations foncières et de nombreux actifs sous employés ou sans emploi, sont à rechercher dans les secteurs non agricoles. L’Etat doit localiser les projets de développement local dans les zones rurales et promouvoir les nouveaux métiers ruraux liés au développement de l’agriculture et des industries agroalimentaires. Les agences de promotion de l’emploi tels l’ANSEJ peuvent développer des activités non agricoles en milieu rural ce qui contribuera à desserrer la pression foncière ». Il s’agit selon le document de mettre en place « un modèle de croissance agricole fondé sur une exploitation intensive des ressources en eau et en sol confié à un seul « pôle capitalistique» –et assignant des millions de paysans à survivre dans de petites exploitations- ne pourra faire face ni aux défis des changements climatiques, ni à celui de la protection des ressources naturelles largement dégradées, ni in fine à celui de la sécurité alimentaire. Aussi convient-il de renforcer par des mesures institutionnelles, techniques et financières les interventions publiques au profit de l’agriculture familiale dont on sait le rôle primordial qu’elle joue dans la couverture des besoins alimentaires des ménages et la sécurité alimentaire des territoires ruraux ».
Gouvernance foncière
Le document précise qu’ « un modèle de croissance agricoles fondé sur une exploitation intensive des ressources en eau et en sol confié à un seul « pôle capitalistique» –et assignant des millions de paysans à survivre dans de petites exploitations- ne pourra faire face ni aux défis des changements climatiques, ni à celui de la protection des ressources naturelles largement dégradées, ni in fine à celui de la sécurité alimentaire. Aussi convient-il de renforcer par des mesures institutionnelles, techniques et financières les interventions publiques au profit de l’agriculture familiale dont on sait le rôle primordial qu’elle joue dans la couverture des besoins alimentaires des ménages et la sécurité alimentaire des territoires ruraux. Etroitement liée aux formes sociales d’organisation sociale la question foncière constitue l’une des questions centrales des politiques agricoles » Le FCE souligne que « La législation définissant les modes d’exploitation des terres du domaine privé de l’Etat reste en effet incomplète. Pour le secteur privé, comme pour les terres relevant du domaine privé de l’Etat, l’Etat doit combler le vide juridique et afficher clairement les principes visant, d’une part, à consolider les droits des exploitants agricoles, et d’autre part, réduire les pratiques informelles, rentières et spéculatives portant sur ses actifs fonciers et préjudiciables à la production. Il doit définir les règles de la location des terres et encadrer le marché des droits de location des terres ». Ainsi « le fermage, c’est à dire le contrat qui lie un propriétaire (Etat ou personne privée) parait être la cadre juridique le plus approprié. Il évite aux exploitants le paiement d’une lourde charge foncière liée à l’achat des terres, charge qui augmenterait des coûts de production des produits passablement élevés actuellement dans l’agriculture algérienne. Ce statut doit fixer le cadre juridique définissant les règles régissant les relations entre le bailleur et le fermier et leurs droits respectifs (encadrement des loyers, durée minimale et tacite reconduction des contrats, droit de préemption en cas de vente, indemnités en cas d’éviction, etc.). Ce contrat de fermage doit cependant être encadré et étroitement contrôlé par l’Office Nationale des Terres Agricoles dont les moyens humains et matériels devraient être renforcés. Afin d’éviter le morcellement des terres lié à l’héritage intergénérationnel et à l’indivision, la législation foncière peut inciter les co-exploitants ou co-indivisaires à créer des sociétés civiles et/ou des sociétés agricoles d’exploitation en commun, constituées de parts transmissibles et négociables de manière à maintenir l’unité et la viabilité des terres agricoles ».
Les ressources naturelles et le risque du changement climatique
Le diagnostic porté sur l’état des ressources naturelles est sévère : les ressources naturelles dont dispose le pays sont rares et dégradées par des formes multiples d’érosion et de dégradation. Même si la politique des barrages a amélioré au cours de ces deux dernières décennies le potentiel mobilisable, l’eau est plus chère (coût élevé des forages et de l’exploitation), plus rare et plus salée. Le changement climatique en cours qui affecte sévèrement les régions agricoles est devenu en outre un « multiplicateur de menaces » pour l’agriculture. Pour l’entité patronale « dans la définition de ses objectifs, l’Etat doit assurer une meilleure gestion environnementale et décliner dans le cadre des concessions de terres les règles écologiques et définir dans les cahiers des charges les mesures agro-environnementales et de protection des ressources confiées au concessionnaire. Il faut impérativement réduire les pressions exercées sur la ressource terre ou eau, réhabiliter les espaces naturels et dégradés et poursuite la vaste entreprise d’aménagements des bassins versants visant à conserver les eaux et le sol ».Et d’enchainer que « les plans d’orientation agricoles fondés sur les vocations naturelles des régions et des wilayas doivent identifier les mesures d’adaptation, de reconversion des cultures. Ils doivent enfin identifier les pratiques agricoles aptes à favoriser une résilience des agroécosystèmes (robustesse des itinéraires techniques, choix des rotations et des variétés plus résistantes aux aléas climatiques…) ». Pour faire face aux aléas et aux risques liés au changement climatique, « l’Etat doit mettre à son service les outils et institutions les plus modernes. Les premiers satellites au service du climat permettent d’envisager la mise en place des mécanismes de monitoring et de suivi des précipitations afin de gérer sur la base de l’état végétatif les risques encourus par les agriculteurs et permettre aux agriculteurs mais aussi aux assurances de mobiliser les moyens de leur adaptation. Pour prévenir et gérer les risques liés au climat de façon rigoureuse, le Ministère de l’agriculture devrait davantage mobiliser les ressources et les expertises de l’Agence Spatiale Algérienne. Il peut utilement tirer profit de l’adhésion du pays à des organisations internationales (Bureau des Affaires Spatiales des Nations Unies), et bénéficier des données sur la « food security » mis en place par le système Copernic ».
Promouvoir l’agriculture contractuelle
L’étude relève que « Les entreprises de l’agroalimentaire sont en déficit de relations l’amont des filières et notamment les producteurs du secteur agricole. Les approvisionnements en produits dans la durée ne sont pas assurés pour des raisons qui tiennent à la fois au caractère saisonnier et aléatoire des productions réalisées dans les exploitations agricoles, mais aussi de relations organisées et contractualisées. Faute de professionnalisation et d’organisation des acteurs, il y a déficit d’articulation entre l’agriculture et les IAA. La question des volumes, des prix relatifs de la matière première agricole et des coûts de production font obstacle à l’accroissement des approvisionnements des entreprises des IAA par l’agriculture. Ces déficits enregistrés dans les relations des entreprises avec le secteur agricole incitent les entrepreneurs à acheter des actifs fonciers ou à prendre des concessions dans le cadre du partenariat public-privé, ceci afin de sécuriser leurs approvisionnements. Comme solution, le FCE plaide pour « l’agriculture contractuelle semble être l’une des voies facilitant les articulations nécessaires entre agriculture et IAA. Elle permettra de mieux exploiter la chaine des valeurs et d’améliorer la coordination entre les secteurs ». Un autre aspect a été également mis en évidence, il s’agit du « développement de la logistique, de la chaîne de froid, du stockage, du transport, du conditionnement ou du marketing. Les bassins de production qui se développent dans les nouvelles régions agricoles doivent bénéficier en priorité de ces investissements ».
Un plan d’urgence pour la recherche agricole et la formation
Selon l’étude « Il apparaît ainsi qu’une diversification de l’offre de formation agricole s’appuyant sur les besoins des agriculteurs, des chefs d’exploitation et des entrepreneurs agricoles contribuera au développement agricole du pays. L’Etat, formateur attitré pour le secteur agricole, doit se doter d’une vision actualisée du marché du travail et réviser sa politique de formation en rapport avec les nouveaux référentiels techniques exprimés par le secteur agricole ».Parmi les principales recommandations, figure la réforme de la gouvernance et le perfectionnement les institutions agricoles ».Ainsi « le secteur agricole dispose d’une législation couvrant de nombreux domaines d’activité, et l’Algérie a le privilège de disposer d’une loi d’orientation agricole depuis l’année 2008. De nombreuses dispositions de la loi d’orientation peuvent inspirer des orientations de progrès et les moyens institutionnels de les réaliser. Si le titre 2 de la loi d’orientation qui porte sur les instruments d’orientation agricole doit être actualisé à la lumière de l’expérience passée, de nombreuses dispositions restent pertinentes et méritent d’être mises en œuvre par des de décret d’application. Il s’agit en particulier des dispositions relatives aux nécessités d’élaboration de schémas d’orientation aux échelles régionales, aux dispositions juridiques portant sur le foncier agricole, à celles renvoyant au Conseil supérieur du développement agricole et rural (article 71-72). Les liens forts reliant la santé à l’alimentation, la transition alimentaire en cours posent aujourd’hui l’exigence de la création d’une Agence Nationale de Sécurité Sanitaire et de Sécurité alimentaire dont l’objectif sera de veiller à établir et faire respecter les règles de sécurité sanitaire des aliments au profit du bien-être et de la santé des citoyens ».
Réforme du système d’information agricole
Pour le FCE « l’Administration agricole doit impérativement refonder un Système d’information, d’intelligence et de veille économique agricole au service de la décision publique. Ce système est dans l’incapacité actuellement de renseigner le public sur l’état des structures agricoles (le dernier recensement de qualité médiocre remonte à l’année 2000), l’état des revenus agricoles, des actifs et de leurs qualification (alors que le marché du travail dans l’agriculture est en crise), d’indice des prix agricoles, de l’état du marché foncier, des coûts de production, des Comptes de l’agriculture etc…Ce système d’information refondé doit intégrer plus systématiquement les outils satellitaires (pour les prévisions de récolte) et autres système d’information géographiques développés à une échelle locale. L’Agence spatiale algérienne peut être au service de la sécurité alimentaire du pays ». « La politique agricole a été accompagnée par la mise en place de fonds de soutien aux investissements (FNDIA, FMVTC…). Des aides et primes sont allouées à des opérateurs économiques (agriculteurs, transformateurs, collecteurs…) activant dans les filières agricoles (lait, blé) ». Le FCE recommande la création d’ « une Agence unique et spécialisée dans le paiement, le suivi et l’évaluation des fonds (agence chargé dans la gestion des fonds), devrait être mise en place afin de discipliner davantage le système des aides, le rendre plus transparent et mesurer à terme son efficacité économique sur la base d’indicateurs de performance objectifs ».Selon le document « le Ministère ne dispose ni d’une Direction des Etudes et de la Prospective, ni d’une véritable Direction des relations internationales aptes à gérer les questions globales (les questions de climat…) ou les questions de coopération régionale (accords d’association avec l’UE…). Ce déficit d’administration et de gouvernance du secteur devra également être comblé » en concluant que « la sécurité alimentaire qui est une question politique, est également une question de société qui conditionne l’avenir du pays. Des structures de concertation, de débat et d’échanges doivent favoriser la mobilisation de tous les secteurs de la vie sociale, des acteurs économiques, des représentants des associations et de la société civile (écologiques, de consommateurs, de producteurs, forums et think thank nationaux..). Les synergies créées seront un facteur de renforcement de la politique agricole et de la sécurité alimentaire nationale ».
Fatma Haouari