L’amélioration du taux de pénétration de la data sur le continent a fortement contribué à la diversification, et parfois à la dégradation, de l’offre d’information. Elle a également libéré la parole de la société civile. Dans un monde de plus en plus de connecté, les gouvernements africains soufflent le chaud et le froid, partagés entre les perspectives économiques de la digitalisation et les risques politiques d’une information de moins en moins contrôlable.
Blocage d’Internet et des réseaux sociaux : Dans son rapport intitulé «Dictateurs et restrictions : cinq dimensions des coupures d’Internet en Afrique », révèle que pas moins 22 gouvernements africains ont ordonné des coupures du réseau Internet au cours des quatre dernières années.
En 2018, il y a eu 21 cas de pannes partielles ou totales d’Internet, contre 13 en 2017 et 4 en 2016, selon Access Now, un groupe de surveillance indépendant.
Depuis le début de l’année 2019, six pays africains dont l’Algérie, la République Démocratique du Congo (RDC), le Tchad, le Gabon, le Soudan et le Zimbabwe ont déjà connu des coupures d’Internet.
Bien que les gouvernements justifient généralement ces mesures restrictives comme indispensables pour des raisons de sécurité nationale, nécessaires contre la désinformation ou les discours haineux, Access Now, dans son rapport 2018 sur « l’état des interruptions d’Internet à travers le monde », estime qu’il n’en demeure pas moins des entraves à la liberté d’expression et d’information au regard du contexte particulier dans lequel elles surviennent généralement : élections, protestation sociales.
A défaut de bloquer Internet, le blocage de l’accès aux réseaux sociaux est l’autre mesure restrictive qui s’est développée sur le continent. Le Tchad est à ce jour le pays africain qui détient le record du nombre de jours de blocage de l’accès aux réseaux sociaux. La restriction, levée le 13 juillet 2019, a duré plus d’un an.
Egypte, Ethiopie ; censure de sites internet : Plusieurs gouvernements se sont aussi dotés d’instruments numériques qui leur donnent un contrôle sur les plateformes d’informations et même les contenus. En 2017, Amnesty International avait dénoncé le blocage d’au moins 63 sites Internet en Egypte. Najia Bounaim, directrice des campagnes Afrique du Nord de l’organisation de défense des droits de l’homme, affirmait que « cette répression visant les médias numériques illustre une nouvelle fois la mise en œuvre des anciennes méthodes de la police d’État. Même lors des jours les plus sombres de l’ère répressive de Moubarak, les autorités n’avaient pas coupé l’accès à tous les sites d’information indépendants. Avec ces mesures, les autorités égyptiennes semblent cibler les rares espaces de libre expression qui subsistent dans le pays. Cela montre à quel point elles sont déterminées à empêcher les Égyptiens de prendre connaissance de reportages, d’analyses et d’opinions indépendants sur leur pays ». Selon Paradigm Initiative, depuis mai 2017, le gouvernement égyptien a autorisé le blocage d’au moins 496 sites Web de médias, de blogs, d’organisations de défense des droits de l’homme.
En 2016, l’Ethiopie avait également appliqué le blocage de certains sites d’informations. Amnesty International et l’Open Observatory of Network Interference (OONI) révèlent dans leur rapport commun intitulé « Ethiopia Offline » que le gouvernement a utilisé la technologie DPI (inspection approfondie des paquets) pour filtrer l’accès aux sites Internet, lors des manifestations lancées par les membres de l’ethnie Oromo qui redoutaient que le plan directeur du gouvernement ne se traduise par la confiscation de terres.
Uganda, Tanzanie : les pressions financières : Selon CIPESA, l’une des « mesures insidieuses », adoptée par bon nombre de gouvernements africains pour freiner l’usage d’Internet par les citoyens à des fins d’information et d’expression est le recourt aux pressions financières. Au-delà de l’augmentation des droits d’accises sur les recharges, il y a eu la taxe sur les réseaux sociaux.
L’Ouganda l’a instituée depuis le 1er juillet 2018 à minuit. Les consommateurs qui veulent accéder aux applications Over-The-Top (OTT) comme Facebook, WhatsApp et autres doivent payer 200 shillings ougandais (0,05 dollar US) par jour, 1400 shillings (0,36 dollar US) par semaine et 6000 shillings (1,56 $) par mois. Dans les trois mois qui ont suivi l’introduction de la taxe que le président de la République, Yoweri Museveni, considérait comme « la contribution des mauvaises langues au développement du pays », la Commission des communications d’Ouganda (UCC) révélait un recul du nombre d’abonnés Internet de 2,5 millions.
D’autre pays sont allées plus loin en instituant des licences pour les fournisseurs de contenus. C’est le cas en Tanzanie où la nouvelle réglementation sur les communications électroniques, adoptée en mars 2018, a imposé aux blogueurs le paiement 100 000 shillings (44 dollars US) pour demander une licence de service de contenus en ligne, valable trois ans. A cela s’ajoutent 1 000 000 shillings (442 dollars US) pour les frais initiaux de licence, 1 000 000 shillings pour les frais de licence annuelle. Soit près de 900 dollars US. Après trois ans, le blogueur qui voudra renouveler sa licence, devra débourser 1 000 000 shillings. Pour les promoteurs de web télé, ils doivent payer 50 000 shillings (22,10 dollars US) pour demander une licence valable trois ans. A cela s’ajoutent 200 000 shillings (88,43 dollars US) pour les frais initiaux de licence, 200 000 shillings pour les frais de licence annuelle. Soit près de 200 dollars US. Après trois ans, le promoteur qui voudra renouveler sa licence devra débourser 200 000 shillings. Ce sont les mêmes montants pour les promoteurs de web radio. En plus de ces frais financiers, la nouvelle réglementation sur les communications électroniques accorde à l’Autorité de régulation des communications (TCRA) le pouvoir de suppression en ligne de « contenus interdits » sans aucun contrôle d’un organe judiciaire indépendant et impartial.
Lois restrictives : De plus en plus subtils dans leur approche répressive, les gouvernements africains délaissent peu à peu les tactiques brutales comme le blocage d’Internet et des médias sociaux jugées trop voyantes, pour des approches plus fines, plus «légales». Dans son rapport 2018 sur les droits numériques en Afrique, Paradigm Initiative révèle que « la répression des droits numériques et les violations à travers le continent ont revêtu une nouvelle dimension juridique et sophistiquée. Sur tout le continent, une tendance est apparue, où les dictateurs et les régimes répressifs adoptent rapidement la tactique dite de « l’Etat de droit » pour faire taire la dissidence, la mobilisation des citoyens et le discours civil en ligne. La tactique de « l’Etat de droit » est, selon l’organisation, « une utilisation cynique de lois et de la politique pour légitimer des actions qui restreignent l’espace pour la liberté d’expression, la vie privée, la liberté de réunion et d’association et d’autres droits numériques en ligne ».
La Tanzanie, l’Ouganda et la Zambie en Afrique orientale et australe ; l’Egypte et le Maroc en Afrique du Nord ; le Bénin et le Togo en Afrique de l’Ouest, sont quelques-uns des pays qui ont déjà adopté ces lois et politiques. Le Cameroun, lui, n’a pas encore de loi spécifique sur les médias sociaux et Internet mais les autorités s’inspirent parfois de plusieurs lois pour justifier la restriction des libertés sur Internet. C’est parfois le cas avec la loi n° 2010/012 du 21 décembre 2010 sur la cybersécurité et la cybercriminalité ou encore la loi n° 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme qui comprennent la publication de fausses informations. Pour l’Unesco, toutes ces perturbations affectent l’accessibilité de l’information ou sa diffusion, entravent les processus politiques, limitent les manifestations politiques et empêchent les défenseurs des droits de l’homme de rendre compte des abus commis par les forces de sécurité.
Ecofin