Dans cet entretien, l’expert financier, Mourad El Besseghi s’exprime sur les différentes mesures annoncées dans le l’avant projet de la loi de finances 2020 tout en donnant son avis sur ces dernières.
Algérie-Eco : L’avant-projet de loi de finances 2020 (APLF), adopté dernièrement en conseil du Gouvernement, intervient dans un contexte particulier. Qu’en pensez-vous ?
MEl Besseghi : Rappelons que la Loi de finances est un outil de travail qui permet de déterminer les ressources et les charges de l’État dans les conditions et sous les réserves prévues par la loi organique relative aux lois de finances adoptée le 2 septembre 2018 sous le numéro 18-15.
La Loi de finances est un texte juridique qui règle les activités courantes de l’Etat lequel doit assurer un service public permanent, ne s’accommode nullement avec un quelconque différé dans le temps. Elle devrait s’inscrire dans un cadrage budgétaire qui définit pour l’année à venir, ainsi que les deux années suivantes, les prévisions de recettes, de dépenses et le solde du budget de l’Etat, ainsi que, le cas échéant, l’endettement de l’Etat.
Outre, le retard considérable pris pour sa rédaction qui n’a pas été aisée compte tenu du contexte politique et du manque de visibilité, les principaux indicateurs macroéconomiques sont complètement flous et certainement teintés de rouge, la croissance est en berne, ce qui a accru sa complexité dans son élaboration. Son adoption en conseil du gouvernement le 11 septembre courant, précède la phase adoption par le conseil des ministres pour finalement devenir un projet de Loi des finances. Ce dernier est ensuite déposé sur le bureau de la Chambre basse, qui l’examine en commission avant de le soumettre à l’assemblée pour son adoption. Enfin, le conseil de la nation l’approuve à son tour. Sa signature et publication interviennent avant fin décembre de chaque année.
Mais dans le contexte inédit actuel, ce processus risque d’être tumultueux en l’absence de tous les édifices institutionnels.
L’actualité brûlante de ces derniers mois, a mis à nu, l’état de déliquescence des structures de l’Etat dans la gestion budgétaire et financière, avec tout le lot de défaillances qui va de pair (gabegie, corruption, dilapidation, abus de fonction, etc…) rajoutant une dose supplémentaire au manque de confiance du peuple envers les gouvernants.
Selon les informations relayées par les médias, l’APLF 2020 se veut être un texte qui tient compte du contexte exceptionnel dans lequel évolue présentement le pays et ambitionne de créer de l’optimisme chez les principaux acteurs économiques.
On a entendu tous les vendredis des slogans totalement hostiles à l’ancien système, rejetant tout ce qui le symbolise. Certaines mesures prises dans la l’APLF vont en droite ligne avec les revendications fermement clamer par la rue. On veut donner l’impression de la remise en cause de l’ancienne gestion telle que l’abandon du financement non conventionnel, le recours à l’endettement externe pour les projets structurants, le renoncement à la règle de 51/49 pour l’investissement étranger, l’autorisation d’importer des véhicules de moins de trois ans, l’introduction de l’impôt sur la fortune, etc. En somme, la Loi de finances 2020 est un virage à 180 degré sans transition.
L’APLF propose le renforcement des impôts et taxes sur la fortune et les biens en fonction des signes de richesse mobilière et immobilière? Que pensez-vous de cette mesure?
Il s’agit d’une proposition classique, qu’on remet sur la table pour calmer l’opinion et tenter de faire réfléchir une image d’un Etat en quête de justice fiscale, brandissant le sempiternel slogan « Nous sommes tous égaux face à l’impôt », consacré par la constitution.
En effet, pour les concepteurs de cette Loi des finances, par les temps qui courent une mesure de cette nature serait bien perçue et susceptible d’entrainer l’adhésion des citoyens qui battent le pavé chaque vendredi.
Cependant, la mise en œuvre de cet impôt sur le terrain est très difficile. En 1993, on avait institué l’impôt sur le patrimoine, un ancêtre de l’impôt sur la fortune, qui avait produit de très faibles rendements ce qui a conduit dans les faits à son abandon pur et simple.
Certains représentants du peuple, déployant un discours populiste, avaient réclamé sa reprise, mais en vain.
En 2018, le projet de loi de finances contenait une disposition analogue mais qu’on a retiré in extrémis au dernier moment, en raison de divergences d’opinions sur son applicabilité du fait de la faible digitalisation au niveau des services des finances et sous prétexte également que cette mesure allait favoriser la fuite de capitaux vers le circuit informel.
L’inconvénient majeur de cet impôt, qui se situera entre 1% à 3,5%, sur tout le patrimoine d’une valeur supérieure à 50 millions de dinars, est qu’il constitue pour les contribuables réguliers, une imposition supplémentaire, alors que les personnes qui activent dans l’informel et l’opacité ne seront pas touché encore une fois.
Certains experts et le nouveau SG de l’UGTA demandent de supprimer l’IRG relevée sur les salaires des fonctionnaires, jugée très exagérée. Que pensez-vous aussi de cette demande?
L’impôt sur les revenus global (IRG) retenu à la source au titre des traitements et salaires versé par les employeurs est la cédula d’impôt la plus rentable. Son recouvrement est simple, puisqu’il est ponctionné à la source et c’est l’employeur qui est responsable de sa collecte.
En Algérie, les onze millions de salariés ont concouru à eux seuls au titre de l’IRG, à alimenter le trésor public à concurrence de 26% de la fiscalité ordinaire sur un total de 2700 milliards de dinars recouvrés en 2018.
Cette injustice fiscale et cette iniquité devant l’impôt puissamment ressenti par les travailleurs, sont des revendications légitimes qui seraient par ailleurs un frein à la création de l’emploi.
Parallèlement, d’autres contribuables, essentiellement ceux activant dans la sphère informelle, continuent à échapper au fisc. L’Impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS), quant à lui, qui s’est situé à 400 milliards de dinars est comparativement plus faible.
Il est en conséquence pertinent d’y remédier mais il est évident qu’il faut mesurer l’impact d’une telle démarche sur l’équilibre des grandes masses du budget. Si on s’achemine vers la réduction de cet impôt, on doit nécessairement trouver une autre ressource, un autre gisement fiscal pour permettre l’équilibre budgétaire. Une réflexion s’impose et un travail de fond est à engager dans le cadre d’une révision du système fiscal Algérien.
Autre point qui est prévu dans cette Loi, celui relatif au régime de l’imposition du forfait dont le seuil maximum a été ramené à 15 millions de dinars annuellement au lieu du plafond de 30 millions actuellement en vigueur. Une mesure qui va remettre au régime d’imposition du réel de réintégrer bon nombre de contribuables. Mais il semble que l’on a agit seulement au niveau des seuils, sans modifier le principe d’exclure les personnes morales du régime du forfait, dont la nature et la forme juridique ne s’apprêtent pas avec ce traitement fiscal.
Autre point, celui de l’importation des véhicules de moins de trois ans? Quel commentaire faites-vous à ce sujet?
Selon l’APLF pour l’année 2020, les particuliers algériens seront autorisés à importer des véhicules d’occasion avec leurs propres moyens. Autrement dit, les citoyens algériens résidents en Algérie, qui souhaiteraient importés un véhicule âgé de moins de trois ans, doivent disposer d’un compte devises. En utilisant leur propre compte devises, la bancarisation de la devise circulant sur le marché noir est visée.
Il est par ailleurs précisé que la voiture autorisée à l’importation doit être doté d’un dispositif GPL, GNC ou être prédisposé pour subir cette transformation. Les véhicules Diesel ne seront pas, à priori, concernés.
On se rappelle qu’il fut un temps ou le marché Algérien est devenu un cimetière des véhicules d’occasion, de vieilleries dont l’âge et le compteur étaient carrément trafiqués. Des réseaux mafieux, établis en Algérie et en Europe, étaient à l’origine de la production de faux documents et d’infraction à la réglementation des changes. Ils ont tiré des profits illicites immenses sur le dos de l’économie Algérienne.
Devant cette saignée à blanc, en 2005, l’importation des véhicules d’occasion a été interdite par le gouvernement à juste titre. Avec l’arrivée et l’installation des concessionnaires automobiles et plus tard par les soit disant « fabricants de voitures », cette interdiction s’est renforcée pour booster l’industrie mécanique.
L’APLF 2020 propose d’y revenir aux véhicules d’occasion, ce qui constitue une remise en cause de l’orientation prise jusque là. Outre, son impact sur le secteur de l’industrie mécanique, le risque de voir le marché inondé par des véhicules usagés est important. Il est donc important d’encadrer cette mesure par un dispositif qui protégera l’économie ;
Le texte prévoit aussi que les dépenses publiques devraient connaître en 2020 une réduction de 9,2%. Pourquoi à votre avis?
Tout d’abord, la prévision de réduction des dépenses publiques est forcément liée aux prévisions de recettes qui connaîtront eux aussi une baisse proportionnelle. Il est naturellement attendu une plus grande rationalisation de la dépense publique, conséquence de toutes les affaires de corruption enrôlées ces derniers temps, qui ont touché les plus hauts responsables du pays. Ces affaires auront des répercussions sur les comportements des fonctionnaires de l’ensemble des structures de l’Etat et de ses démembrements. .
Les commissions versées directement ou indirectement, les passes droits accordés en contrepartie, les influences de toutes natures dans les conclusions des contrats nationaux et internationaux, etc… qui portent atteinte à l’image de l’Etat, devraient laisser la place à plus de transparence et en conséquence à moins de dépenses.
Le gouvernement prévoirait également « la levée des restrictions prévues dans le cadre de la règle 49/51% appliquée aux investissements étrangers en Algérie » afin de « renforcer l’attractivité de l’économie nationale ». Cette levée devrait toucher les secteurs « non stratégiques », selon le gouvernement. Est-ce une bonne décision?
La règle dite 51/49 %, qualifiée par certains milieux d’affaires comme entrave à la liberté d’investir, a été introduite par la loi finances complémentaire 2009 qui a modifié la loi sur l’investissement. Elle a limité la part de participation d’un investisseur étranger dans une société de droit algérien à 49%, contre un taux de 51% du capital social pour l’investisseur local. A l’époque, le fait déclencheur de cette mesure était, entre autres, les transferts faramineux au titre des dividendes d’un investisseur étranger dans la téléphonie mobile.
Conséquence de cette restriction, en termes d’attractivité des investissements directs étrangers, l’Algérie a reculé au profit des pays voisins. Les quelques investisseurs étrangers qui ont manifesté leur volonté de venir ont trouvé des entreprises publiques complètement déglinguées ou des entreprises privés en deçà du niveau requis pour supporter une restructuration dans le cadre d’une démarche rythmée et novatrice.
Accueillie très favorablement pour les investisseurs potentiels étrangers, cette règle restrictive des 49/51 est remise en cause pour les secteurs non stratégiques. On ne connait pas encore les secteurs concernés et ceux exclus par cette mesure, mais il est clair que le secteur des hydrocarbures ne serait pas touché, alors que probablement c’est à ce niveau que le pays a le plus besoin des investissements étrangers.
Il est évident que l’abandon de cette règle va alléger le dispositif d’investissement et contribuer à l’attractivité des IDE, mais il n’est pas l’unique mesure à engager pour mettre en place les mécanismes d’amélioration du climat des affaires. Tous les volets (politique, juridique, fiscal etc.) sont à réformer afin de drainer véritablement les capitaux étrangers.