Celle qu’on n’hésite plus à qualifier de « Révolution du 22 février 2019 » a largement entamé son septième mois d’existence, non sans avoir arraché de nombreuses victoires. Comme à ses débuts, il continue à se battre de façon pacifique pour en arracher d’autres à l’épreuve du pénible bras de fer qui oppose des millions de manifestants algériens au haut commandement de l’armée qui tend à faire passer ses propres intérêts sur ceux de la nation qu’il prétend pourtant défendre.
Des victoires désormais arrachées on peut énumérer, sans être exhaustif, l’annulation du 5é mandat auquel prétendait l’ex président Bouteflika peu après suivie de sa démission, le refus de la période de transition que devaient conduire Lakhdar Brahimi et Ramtane Lamamra, des personnalités proches de l’ex cercle présidentiel, la chute des quatre partis de l’Alliance Présidentielle dont les chefs sont pratiquement tous en prison, la fin des oligarques les plus toxiques aujourd’hui sous les verrous ou dans le collimateur de la Justice, la disparition du clan des Bouteflika principale cause du malheur des algériens et, victoire sans doute la plus importante, la mise à nue de l’état major de l’armée, autrefois retranché derrière la gouvernance civile, comme réel détenteur du pouvoir politique en Algérie.
Le butin de six mois de cette révolution tranquille est, à l’évidence, énorme, mais il reste à achever par ce que réclament des millions d’algériens depuis ce fameux 22 février 2019, à savoir, la prise en main de leur destin politique au moyen de l’organisation d’une élection présidentielle honnête et transparente confiée à une instance de transition constituée hommes de confiance qu’ils auront eux désignés. Il n’est plus question que le peuple algérien aille à cette élection que réclame le chef de l’état major, tant ceux qui seront appelés les organiser (premier ministre, ministre de l’intérieur, walis, maires et magistrats), avaient brillés dans un récent passé dans le fraude électorale et la corruption à grande échelle. Il n’est, en outre, pas question de voter tant que cette constitution de type monarchique faite sur mesure pour Abdelaziz Bouteflika, est encore en vigueur. Cela reviendrait à élire un autre potentat à la tête du pays !!
Ce refus d’aller aux urnes s’est, comme on le sait, déjà traduit par l’annulation d’un scrutin qui devait se tenir le 4 juillet 2019 et c’est certainement, ce qui attend la prochain rendez vous électoral que le chef d’état major de l’armée tient, cette fois encore, à imposer avec sa brutalité habituelle, en piétinant les règles élémentaires de bienséance. On n’a en effet jamais vu nulle part dans le monde, hormis dans certaines républiques bananières aujourd’hui disparues, un Vice Ministre donner ordre à un Chef d’État, d’organiser une élection présidentielle à une date qu’il a lui-même arrêtée. Les juristes et les spécialistes en sciences politique sont tout simplement sidérés par ce type d’acte politique, qui ne figure dans aucun manuel de Droit, ni même, comme exemple à citer à travers l’Histoire de l’humanité. Même les pires dictateurs qui ont généralement le rang de Chef d’État, prennent le soin de respecter la forme en enveloppant leurs ordres dans une apparente légalité. Ce qui n’est pas le cas d’Ahmed Gaid Salah, qui ne détient pourtant que le titre de Vice Ministre dans un gouvernement constitué, il est bon de le rappeler, du temps de l’ex président Bouteflika. Le départ de ce dernier et l’application de l’article 102 de la constitution, impose pourtant on ne peut plus clairement, au vice ministre de la défense national et chef d’état major de l’armée, de se mettre, non seulement, sous les ordres du chef de l’Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, mais aussi, sous ceux du chef du gouvernement, Nouredine Bedoui. Ce refus d’obéir à cette hiérarchie clairement codifiée par la Constitution l’a, de surcroit, conduit à bloquer tout changement au niveau de ces deux instances. Il ne veut pas que Bensalah et Bedoui démissionnent ou soient démis de leurs fonctions, car, étant membre du gouvernement en place, leurs départs entraîneraient fatalement le sien. On se retrouve de ce fait dans une situation ubuesque qui porte un grave préjudice à une nation déjà fortement malmenée par le calamiteux long règne des Bouteflika.
Mais que faire en pareille situation ? Si les témoignages recueillis auprès d’un certain nombre d’acteurs du hirak, d’universitaires et de collègues journalistes, divergent sur la manière de conduire le processus de transition, l’avis est toutefois unanime sur la nécessité de poursuivre le mouvement de contestation jusqu’au départ de ceux, aujourd’hui bien identifiés, qui entravent la volonté du peuple de gérer lui-même son propre destin. S’ils ne sont pas contre l’adaptation des modes de lutte aux difficultés qui surgiraient sur le terrain par la faute des services de répression zélés et des manipulations de foules, tous nos interlocuteurs sans exception, insistent pour que cette révolution demeure pacifique car, affirment-ils, c’est ce pacifisme qui a su épargner des vies humaines et les biens de la communauté. C’est également cette non-violence, qui fait l’admiration de la communauté internationale et nous préserve de l’ingérence des puissances étrangères qui préfèrent que les algériens règlent entre eux leurs différends, tant qu’ils seront capables de le faire pacifiquement. Ceux qui ont tout à perdre de cette révolution « dégagiste » le savent et feront tout pour provoquer des violences qu’ils se dépêcheront de mettre au passif du hirak pour justifier l’instauration d’un état de siège qui permettra au commandement militaire de rester légitimement au pouvoir de longues années encore. Il y aura certainement un prix à payer à cette « contre révolution d’Etat », en termes, d’emprisonnements, de répressions diverses, d’intimidations et, plus grave encore, de tentatives de divisions d’un peuple que tout devrait unir. On jouera en effet beaucoup sur les fibres religieuses et identitaires pour susciter des divisions au sein des manifestants, mais la conscience politique des algériens n’est plus la même qu’au temps du parti unique. Les réseaux sociaux, les grandes manifestations hebdomadaires et l’information de proximité, qui n’existaient pas en ce temps, sont déjà mises à contribution par les jeunes acteurs « branchés » du hirak pour déjouer, comme ils l’ont fait à plusieurs reprises, les ruses et coups de boutoir émanant du pouvoir et de ses clients.