Nous reproduisons ici une excellente analyse sur l’industrie pharmaceutique du générique du Professeur Jérôme Caby parue sur le site« The Conversation ».
Jérôme Caby est Professeur à l’IAE de Paris 1- Sorbonne.
Le 29 juillet 2019, Mylan et Pfizer, deux sociétés pharmaceutiques américaines, ont annoncé la fusion de Mylan et de la filiale Upjohn de Pfizer pour créer un géant du médicament générique. La nouvelle société sera détenue à 57 % par les actionnaires de Pfizer et à 43 % par ceux de Mylan. Elle devrait réaliser un chiffre d’affaires de l’ordre de 20 milliards de dollars pour un bénéfice d’environ 8 milliards, sachant qu’une dette importante de 24,5 milliards devra être épongée. Mylan était jusqu’ici le deuxième fabricant mondial de médicaments génériques derrière l’israélien Teva, devant le suisse Sandoz (filiale de Novartis) et les indiens Sun Pharmaceuticals et Lupin Pharmaceuticals.
Un marché en croissance régulière
Comme l’indique dans une étude le cabinet IMARC, le marché des médicaments génériques reste dynamique. Il a enregistré une croissance mondiale annuelle de 6,7 % de 2010 à 2017 pour atteindre un volume de 315 milliards de dollars, et cette croissance devrait se poursuivre au taux de 6,8 % de 2018 à 2023 pour parvenir à un marché global de 474 milliards de dollars. Cette dynamique est entretenue par les différents organismes privés ou publics d’assurance maladie car ces médicaments ne supportent pas de coût spécifique de R&D, ni d’essais cliniques, ni de marketing auprès des prescripteurs. Ils sont donc vendus moins cher. En outre, au fur et à mesure de la tombée des brevets dans le domaine public, de nouvelles molécules peuvent en permanence être proposées aux patients. Le vieillissement des populations, avec pour corollaire le développement de pathologies chroniques, contribue également au dynamisme de cette industrie.
Compte tenu des frais moindres supportés par les fabricants de médicaments génériques et de la croissance régulière du secteur, on pourrait s’attendre à une performance opérationnelle et une rentabilité supérieures à celles enregistrées par les fabricants traditionnels. Pour apprécier leurs performances respectives, nous avons retenus, d’une part les fabricants de génériques Teva, Mylan, Sun et Lupin (même s’ils ont d’autres activités comme Teva), et d’autre part, quatre géants de l’industrie pharmaceutique peu ou pas présents dans la fabrication de médicaments génériques : Roche (Suisse), Sanofi (France), Merck (États-Unis) et Astra Zeneca (Royaume-Uni).
Or, il n’en ait rien. En effet, les fabricants de médicaments génériques sont tout d’abord de tailles plus modestes. Même s’ils dépensent logiquement beaucoup moins en R&D, leur marge opérationnelle, mesuré en rapportant le résultat d’exploitation (EBIT) au chiffre d’affaires (CA), bien que tout à fait honorable, est généralement inférieure à celles des fabricants traditionnels.
Cette situation est très vraisemblablement imputable à deux phénomènes concordants : d’une part, la pression des organismes d’assurance maladie pour une baisse des prix, et d’autre part la concurrence entre les fabricants de génériques puisqu’il n’y a plus d’exclusivité possible lorsque les brevets tombent dans le domaine public.
En termes de rentabilité, qu’elle soit économique (ROA) ou financière (ROE), les écarts sont encore plus marqués, avec des performances intrinsèquement faibles chez les fabricants de génériques et nettement inférieures à celles des acteurs traditionnels. Par ailleurs, (à l’exception des entreprises indiennes), on note que les spécialistes des génériques sont beaucoup plus endettés.
Des performances moindres validées par le marché
Lorsque l’on observe l’évolution des cours boursiers des entreprises depuis 5 ans (au 22 août 2019), les tendances de ce diagnostic comparatif se confirment : les valeurs des fabricants de génériques enregistrent toutes d’importants reculs (Teva, -86,5 % ; Mylan, -60,5 % ; Sun, -51,6 % ; Lupin, -56,4 %), tandis que celles des acteurs traditionnels restent stables ou en hausse (Roche, +2,3 % ; Sanofi, -3 % ; Merck, +46,6 % ; et AstraZeneca, +65,8 %). De même, le multiple de valorisation VE/EBITDA, qui rapporte la valeur de l’entreprise à son résultat d’exploitation avant intérêts, impôts et amortissement, reste nettement plus élevé pour ces derniers.
D’une certaine façon, ce constat est rassurant puisque conforme à l’arbitrage rentabilité-risque prôné par la théorie financière. Autrement dit, la prise de risque supérieure liée à l’investissement dans la recherche se traduit par une rentabilité plus élevée. La fusion Mylan-Pfizer/Upjohn peut ainsi trouver une nouvelle interprétation : celle de la recherche d’un renforcement du pouvoir de marché pour obtenir une rentabilité supérieure. Toutefois, à la vue de l’évolution des cours de bourse respectifs de Mylan (+3,4 %) et Pfizer (-18,9 %) entre la date de l’annonce de l’opération, le 29 juillet, et le 22 août, il semble que le marché ne soit pas vraiment convaincu par la pertinence de cette orientation.
Prof. Jérôme CABY