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Pr Abdennour Nouiri, Expert  en commerce à Algérie-éco   « Il faut favoriser le développement de la production nationale si on veut que la Grande distribution évolue»

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Interview réalisée par Fatma Haouari

Pr Abdennour Nouiri est docteur en sciences économiques de l’université de Montpellier où il a soutenu une thèse sur les supermarchés en Algérie et professeur à Hec Alger (ex-INC) depuis 1986. Il y dirige le laboratoire Marketic (Marketing et TIC) tout en supervisant l’équipe de recherche « Sport, Tourisme et Environnement ». Il est aussi directeur de recherche de thèses de doctorat et auteur de plusieurs contributions sur la grande distribution. Consultant en entreprise, il a occupé le poste de sous-directeur des investissements au sein du ministère du commerce. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, il identifie plusieurs facteurs qui freinent le développement de la grande distribution.  

Algérie-éco : Quel constat faites-vous du secteur de la distribution en Algérie ?

Mr Abdennour Nouiri : La distribution en Algérie est marquée par la coexistence de deux systèmes, l’un assez archaïque : vente sur les trottoirs,  par camionnettes dans les quartiers, souks traditionnel et l’autre plutôt ancré dans le modernisme avec  ses centres commerciaux, ses hypermarchés et sa multitude de supérettes. Ceci se comprend aisément, l’Algérie, en tant que société, elle est tiraillée entre son mode de vie marqué par des relents de ruralité et une forte propension à une certaine occidentalisation favorisée depuis 30 ans par l’intrusion soudaine des télévisions étrangères via le satellite.  Cependant il existe un dénominateur commun à chacune de ces deux facettes de la distribution, à savoir, l’absence ou la faiblesse d’une organisation logistique en amont qui entraine invariablement les prix à la hausse. On le remarque d’une manière significative au niveau de l’approvisionnement des supérettes, par à-coups, et sans désir aucun d’être fédérées sous des enseignes communes avec centrale d’achat et entrepôts répartiteurs sans oublier la négligence de la chaîne logistique, la supply chain qui représente un pôle stratégique des entreprises englobant l’ensemble du processus de production : de l’approvisionnement à la livraison finale en passant par la fabrication, le stockage et la distribution s’agissant des produits locaux.

Quelles sont à votre avis les contraintes qui freinent l’expansion de la grande distribution ?

Ces contraintes sont de plusieurs ordres. Il faudrait citer entre autres l’attitude du consommateur vis-à-vis de l’épicier de quartier. Il a une relation très proche avec lui et un rapport construit sur la fidélité et la convivialité. On peut dire même que souvent des amitiés se tissent quand on vit et travaille dans le même quartier. L’autre contrainte a trait à la faiblesse de la production nationale,  le déficit du foncier, l’offre étant très insuffisante. Le commerce informel qui est d’une ampleur alarmante est à la base d’une concurrence déloyale ainsi que la quasi-inexistence de bases logistiques comme nous l’avons relevé ci-dessus. On pourrait ajouter à cette situation peu reluisante, le manque flagrant de formation de la majorité des gestionnaires et managers qui activent dans ce type de distribution (merchandising par exemple).  Cette somme de facteurs constitue un blocage  à l’installation des enseignes internationales de la grande distribution. L’environnement des affaires n’encourage pas non plus au développement de ce secteur. Les atermoiements bureaucratiques, administratives et notamment bancaires auxquelles sont confrontées les grandes enseignes comme le dédouanement, de transit etc, quand leurs marchandises arrivent dans un port algérien exacerbent la complexité du problème.  Cependant l’écueil majeur qui caractérise la grande distribution et qui reste prépondérant est la faiblesse de l’offre en terrain d’assiette. Il faut savoir qu’un hypermarché de taille  moyenne requiert une certaine superficie dans un endroit  stratégique pour pouvoir s’implanter. Il faut un terrain d’au moins deux hectares situé non loin d’une bretelle d’autoroute.  Le marché du foncier étant ce qu’il est, établir un commerce de grande distribution devient un parcours du combattant. Le prix du mètre carré est très prohibitif. En outre, on ne peut envisager une grande distribution sans une production nationale forte. Un ratio utilisé par les grandes enseignes internationales donne un minimum de 30% de produits locaux s’agissant de l’ensemble des produits vendus en magasin. Or nous sommes loin d’une production nationale solide, diversifiée et surtout de qualité. Le marché informel et les importations tous azimuts ont mis à mal  en dix ans, le peu de produits locaux qui avaient pu avoir pignon sur rue du temps de la pénurie. Il faut favoriser le développement de la production nationale si on veut que la Grande distribution évolue or cette même grande distribution est obligée de mettre sur ses étals des produits importés pour palier à cette insuffisance de « produits made in Algéria ». C’est un cercle vicieux. Le moteur essentiel pour créer un effet d’entrainement de ce segment de l’économie et du commerce est indéniablement l’investissement dans les secteurs agricoles, agroalimentaires et industriels. Le contexte actuel marqué par la baisse du prix du pétrole doit nous inciter à repenser nos politiques et définir nos priorités. L’amenuisement des recettes engrangées par les exportations en hydrocarbures va avoir une incidence prévisible sur le niveau de « l’import-import ». Un mal pour un bien si les pouvoirs publics donnent la priorité dans l’affectation des devises à l’importation des matières premières pour les industries nationales plutôt qu’aux produits finis, souvent d’origine douteuse et de qualité médiocre. 

Une  récente note de conjoncture de la banque d’Algérie impute les causes de l’inflation récurrente des prix de produits de consommation durant le ramadan et à des périodes d’importantes demandes sur le marché à  la spéculation des intermédiaires et des distributeurs, selon vous, est-ce la cause essentielle, si oui, à votre avis, comment résoudre ce problème ?

C’est une histoire d’offre et de demande qui tire les prix vers le haut, tout le monde voulant les mêmes produits au même moment, mais il y a aussi une rétention des marchandises sur les étals par les « barons » des marchés de gros (mandataires et autres affairistes…). La solution n’est pas entre les mains de l’Etat mais du consommateur lui-même : vous avez  sans doute déjà entendu parler de la grève du couffin. C’est un moyen efficace pour contrebalancer la donne et un comportement civique qui obligera les spéculateurs à changer d’attitude. Les citoyens doivent s’impliquer davantage pour mettre fin à ces agissements.

A votre avis, la grande distribution est-elle une piste susceptible de mettre fin au marché informel ?

Le marché informel n’est pas une mince affaire. Il faut y aller graduellement, de tous les côtés à la fois et opérer sur plusieurs fronts. Par exemple appliquer l’obligation de régler ses achats par le biais de chèques ou de cartes de crédit. Permettre à ceux qui sont en marge des circuits commerciaux de les intégrer en leur  octroyant des facilitations (impôts, CNRC etc) dans la création de TPE (Toutes Petites Entreprises). Fournir des aides à la formation à tous ceux qui veulent quitter cette zone de « non droit », ouvrir l’accès aux locaux, au recrutement d’apprentis etc… Il serait illusoire de croire que ce n’est que l’affaire du ministère du commerce ou de la grande distribution. L’informel fait vivre des milliers de familles et ce ne serait pas le cas pour la grande distribution s’il venait à lui céder sa place. Je pense qu’il faut y aller « step by step » mais résolument et sans jouer au chien qui se mord la queue. Des étapes doivent être clairement identifiées et les moyens pour les atteindre mobilisés sans états d’âmes ni reculades. Je pense notamment à l’application du paiement par chèque qu’il faut généraliser avec plus de rigueur.

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