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Relations économiques France-Algérie : Jean Louis Levet « Une véritable transformation des relations est à l’œuvre »

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Dans cet Entretien exclusif  que nous a accordé à la veille de la réunion du COMEFA du 29 octobre , Jean Louis Levet, haut responsable à la coopération technologique et industrielle franco-algérienne, retrace les enjeux des relations économiques entre l’Algérie et la France. Pour le haut responsable français « la grande transformation en cours » dans les relations économiques entre les deux pays,  va permettre l’émergence de projets de partenariat « fiables » particulièrement dans l’industrie.

AE : Un nouveau Comité mixte économique franco-algérien (COMEFA) va se dérouler à Paris le 29 octobre prochain : que faut-il en attendre ?

JLL : Chaque année depuis 2013, nous avons un COMEFA qui s’inscrit dans le cadre de la Déclaration de Coopération et d’Amitié signée en décembre 2012 à Alger par les deux Présidents de nos pays respectifs. C’est donc un lieu pérenne, d’échanges, de concertation, d’évaluation des progrès accomplis dans la coopération entre les deux pays. Il est en général suivi d’un Comité Intergouvernemental de haut niveau (CIHN), sorte de conseil des ministres franco-algérien.

AE : Pouvez-vous donner des exemples ?

JLL : L’année dernière, au cours de ces deux instances qui se sont réunies respectivement à Alger mi-novembre, puis à Paris mi-décembre, plus d’une douzaine d’accords de coopération économiques, industriels notamment ont été signés et ce dans des domaines très variés : citons à titre d’exemple, la convention de partenariat relative à la création de trois centres d’excellence en matière de formation dans le domaine des automatismes industriels par le groupe SCHNEIDER ELECTRIC (Sidi-Bel-Abbès, Tizi-Ouzou et Sidi-Aïch) avec le ministère algérien de la formation professionnelle et le ministère français de l’éducation nationale ; l’accord entre le groupe SANOFI et le groupe SAIDAL pour la production de vaccins ; le protocole de coopération entre le CEIMI et la CPME (Confédération française des PME) qui va permettre de rapprocher des PME des deux pays dans des secteurs communs comme la mécanique, la transformation des matières plastique, l’agroalimentaire, etc.  ; Ou encore l’accord devant déboucher sur la création d’une usine d’assemblage de voitures par le groupe PSA dans la région d’Oran avec aussi un centre d’excellence en formation dans les métiers de l’électromécanique. La culture n’était pas en reste avec des projets dans les domaines du Livre et des métiers des arts et du spectacle.

AE : Et le 29 octobre prochain à Paris ?

JLL : Le 29 octobre prochain, je pense que comme pour les COMEFA précédents, les ministres directement concernés auront à cœur de faire un point sur l’état d’avancement des dynamiques en cours, d’évaluer ce qui marche et ce qui devrait mieux marcher, les perspectives concrètes en matière de coopération et des domaines éventuels à prioriser. Sans doute, mettrons nous à profit cette journée, pour finaliser un nouvel ensemble de projets de coopération qui seront signés par les opérateurs concernés (entreprises, universités, etc.).

AE : Pouvez-vous nous donner des précisions ?

JLL : Vous comprendrez que tout ceci à ce stade est confidentiel, ne serait-ce que par respect des opérateurs des deux pays qui signeront ces éventuels projets de coopération. Tout ceci nécessite un très lourd travail !

Vous savez, lorsque par exemple tel projet de coopération industrielle est signé, c’est toujours des mois et des mois de travail, parfois un à deux ans et c’est normal ; il s’agit d’abord de construire des relations de confiance, d’être persévérant, d’étudier rigoureusement ce qu’il est possible de faire ensemble et de définir un premier plan d’action. C’est un fort engagement des deux parties. Et nous leur devons de créer un cadre stable, sécurisant, d’accompagnement, afin que les dynamiques qui se créent, s’amplifient et se structurent dans le temps.

AE : C’est-à-dire ?

JLL : Il ne s’agit pas, comme certains le souhaiteraient, de faire « un coup commercial », ou un « coup de communication » pour faire du buzz !  Mais de réaliser dans la durée des projets de qualité. Car une fois le projet d’accord signé, ce n’est qu’une première étape : le plus dur commence, la mise en œuvre effective ! Ces projets peuvent associer des Universités, des laboratoires de recherche, des entreprises, des collectivités territoriales ; de plus en plus, nous nous orientons vers des projets complexes, car c’est comme cela que nous pouvons ensemble répondre aux grands enjeux actuels et futurs ; à commencer par nos jeunesses respectives auxquelles nous devons leur donner la possibilité de se construire un avenir.

AE : Il reste que la présence des entreprises françaises sur le marché algérien tend à régresser, au détriment d’entreprises d’autres pays européens, mais aussi turques ou asiatiques : comment l’expliquez-vous ?

JLL : C’est un constat indéniable, mais partiel. Il ne faut pas se limiter à une telle approche ; et ce pour au moins deux raisons :

  • dans la mondialisation à l’œuvre et la concurrence de plus en plus âpre entre entreprises, entre territoires, entre pays, il n’y a rien de bien surprenant à ce que des entreprises d’autres pays européens et asiatiques notamment pénètrent davantage le marché algérien ; d’autant que celui-ci croît, est largement solvable, avec des consommateurs à la fois de plus en plus exigeants en qualité, mais aussi très attentifs en termes de prix, ce qui est normal !
  • Ensuite, il faut prendre en compte une autre facette des réalités économiques : celui du développement des investissements directs étrangers (IDE), c’est-à-dire les stratégies d’implantation et d’investissement réalisées par les entreprises. Or la France est le principal investisseur en Algérie hors hydrocarbures. C’est un point capital, car des IDE de qualité contribuent à la croissance du pays et surtout à sa montée en qualité, dans les domaines clés de la formation, de l’innovation, du développement des territoires, et par les effets d’entraînement que ces IDE exercent sur le tissu économique local. Et en matière d’attractivité, l’Algérie a un potentiel considérable. Son stock d’IDE n’est que de l’ordre de 27 milliards, contre 29 en Tunisie pour une population 4 fois moindre et de 55 au Maroc.

Ce qui par contre est problématique, c’est que du côté français, globalement nos entreprises sont encore trop frileuses, alors que l’Algérie est un voisin ! Et un voisin demandeur de produits français, d’expertises françaises, de savoir-faire français ! Un ancien dirigeant du MEDEF estimait il y a une période récente, qu’environ 3000 entreprises dont les effectifs se situent entre 100 et 1000 personnes ont des produits et des services exportables mais n’exportent pas ! C’est considérable ! C’est donc à la fois un atout à mobiliser de notre côté, et un levier puissant pour développer des partenariats avec des entreprises algériennes.

AE : Quels sont justement d’après votre expérience les freins, les obstacles, qui minent davantage de partenariats entre entreprises françaises et entreprises algériennes ?

JLL : Du côté français, je viens d’en évoquer un premier ; un autre frein est la difficulté des PMI à agir ensemble ; à plusieurs reprises j’ai été confronté à ce problème. Une fois identifié un besoin algérien nécessitant une réponse collective de plusieurs entreprises à savoir-faire complémentaires, celles-ci une fois réunies ne sont pas arrivées à se décider à jouer collectif ; c’est très frustrant !

Alors que pour ne prendre que cet exemple, les PME italiennes savent se serrer les coudes, elles n’hésitent pas à nouer des alliances entre elles, avec leurs fournisseurs, voire avec leurs concurrents pour cibler des marchés de niches à forte valeur ajoutée et s’adapter, à trouver des solutions alternatives, à être agiles, à l’écoute des exigences qui varient d’un pays à un autre !

C’est pour cela qu’il nous faut en France mobiliser davantage les clusters, les pôles de compétitivité qui sont des lieux d’apprentissage de l’action collective, comme nous commençons à le faire par exemple dans le domaine de l’agroalimentaire.

AE : Et du côté algérien ?

JLL : Il suffit d’écouter les entrepreneurs algériens, et les équipes franco-algériennes qui montent des sociétés communes (51/49) ils mettent surtout en avant, dans leur vie quotidienne de dirigeant d’entreprises, deux facteurs bien connus :

  • la lourdeur de la bureaucratie qui à leurs yeux est dénuée de culture économique, en tout cas d’attention insuffisante portée aux réalités économiques et sociales ;
  • et des réglementations à la fois souvent changeantes et pouvant donner lieu à des interprétations différentes. Rien de plus difficile pour une entreprise que d’essayer de se mouvoir, de mobiliser ses équipes et a fortiori d’anticiper, dans un tel environnement.

Mais pour revenir à votre question précédente, l’enjeu de la relation entre nos deux pays se joue fondamentalement à un autre niveau, moins visible, plus difficilement mesurable : celui de la créativité, de la montée en formation, du développement d’un tissus d’entreprises innovantes, de liens entre universités et entreprises, de processus de travail collectifs entre territoires des deux pays ; une véritable métamorphose est en route et c’est celle-ci qu’il nous faut mener : tel est en tout cas l’axe stratégique de ma Mission.

AE : Que voulez-vous dire par « métamorphose » des relations entre la France et l’Algérie ? Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?

JLL : Une véritable transformation des relations entre nos deux pays est à l’œuvre, fondée sur des processus innovants de coopération.

Trois types de coopération se sont engagés que nous cherchons à privilégier, et qui correspondent à la fois aux impératifs qui pèsent aujourd’hui sur le développement de l’Algérie, à la démarche modernisatrice de la plupart des opérateurs économiques algériens et aux atouts et nouveaux modes d’action des opérateurs français :

  • des accords de Co-investissement des entreprises entre elles ; nous en avons cité quelques exemples précédemment ;
  • la prise en compte des chaînes de valeur en alliant création d’un site de production, formation et recherche ;
  • réunir autour de projets réalistes et importants pour le développement local, des acteurs qui n’avaient pas assez l’habitude de travailler ensemble. Comme par exemple les liens entre universités et les entreprises.

AE : Vous vous rendez très souvent dans les territoires algériens, vous prenez le temps de rencontrer des entreprises, pouvez-vous nous expliquer votre démarche et nous donner un aperçu  des projets en cours ?

JLL : Depuis le début de ma prise de fonction en mi-2013 (et reconduit dans mes fonctions par le nouveau gouvernement français à la rentrée 2017), je vais à la rencontre des acteurs algériens (mais aussi français) pour connaître, comprendre, écouter ; Que ce soit notamment à Tlemcen, Mascara, Oran, Blida,  Bejaia, Ouargla, Sétif, à nouveau à Annaba les 30 et 31 octobre prochains, ou encore à nouveau à Tizi-Ouzou, pour notre première Rencontre économique et industrielle algéro-française qui aura lieu les 27 et 28 novembre prochain, il y a un point commun : tous ces territoires cherchent à se prendre en main, à se développer, et recèlent des ressources humaines et des compétences trop méconnues des entreprises françaises.

C’est tout notre travail qui consiste, à partir de cette écoute et de la connaissance acquise au plus près des entreprises, des universités, des clubs d’entreprises, des associations, à contribuer à construire des processus de travail collectif autour de projets communs, et d’y associer progressivement des opérateurs français.

Ainsi par exemple plusieurs projets se montent dans ces villes entre universités et entreprises des territoires algériens et français concernés. Que ce soit par exemple la création d’un pôle numérique appliqué à la santé à Tlemcen avec l’Université de Rennes 1, à Ouargla dans les domaines de la transformation de la viande cameline, à Sétif dans l’électroménager, dans la région d’Oran dans la construction automobile avec des groupes comme Renault et PSA, à Bejaia autour de la thématique de l’entrepreneuriat étudiant avec l’Université de Lyon 3 et les entreprises des deux territoires concernés, ou encore autour du défi énorme du recyclage des déchets et de l’économie circulaire sur lesquels nous travaillons actuellement, demain j’espère à Tizi-Ouzou où notamment le groupe Schneider Electric va créer un centre d’excellence en formation dans le domaine des automatismes industriels. Bien d’autres dynamiques sont en cours de gestation pour les prochains mois et dans des domaines clés, comme ceux liés à la transition énergétique, à la transition numérique, à l’industrie du futur, etc.

AE : Un problème récurrent entre l’Algérie et la France, et qui s’intensifie sur la période récente, est celui des visas ; vous prônez une véritable transformation des relations entre l’Algérie et la France, mais comment la mener à bien, dans un tel contexte ? C’est décourageant pour nos entrepreneurs, nos chercheurs, etc…

JLL : Il est tout-à-fait normal et indispensable que les processus de gestion et d’attribution ou/et de renouvellement des visas soient des deux côtés menés avec rigueur, avec soin.  Il est clair que pour les deux pays, la fluidité est nécessaire et n’est pas incompatible avec la rigueur dont je viens de parler ; pour les entreprises à quelque niveau que ce soit, pour les universitaires, de façon générale celles et ceux qui contribuent à rapprocher nos deux pays, c’est bien entendu très important. Si nous sommes géographiquement face à face, nous avons vocation à penser et à agir côte à côte, pour le plus grand bien de nos concitoyens respectifs.

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