La liste publiée en mai 2018 par la Banque Africaine de Développement, dans laquelle des pays étaient classés en fonction de la valeur de leurs Produits Intérieurs Bruts (PIB) respectifs, continue d’alimenter des discussions au sein des opinions publiques, notamment en Afrique francophone subsaharienne. Une information essentielle qui en ressort, c’est que le Nigéria occupe la première place avec ses 581 milliards $. Son deuxième, l’Afrique du Sud, approche les 281 milliards $ et l’Egypte boucle ce trio de tête. Les autres pays du top 5 sont l’Algérie et le Maroc. A contrario on relève qu’aucun du groupe des pays ayant comme monnaie le Franc CFA, ne figurait dans le top 10. Le premier de ce groupe, la Côte d’Ivoire, figurait à la 13ème place du classement. Cependant, plusieurs développements permettent aujourd’hui de s’interroger si la seule mesure du PIB permet de mesurer la santé économique d’un pays. Déjà, le terme en lui-même permet plusieurs interprétations.
Le PIB, un concept à sens multiples : Une des définitions du PIB est « la somme de tous les salaires, bénéfices, revenus locatifs et revenus fiscaux nets ». Pour certains analystes de la macroéconomie, la faiblesse de cette approche, c’est que dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne, une part importante des activités se déroule dans le secteur informel ou dans le cadre du sous-emploi.
C’est sans doute pourquoi, majoritairement, le PIB est calculé en additionnant la consommation, les investissements et la différence entre les importations et les exportations. Mais même là l’indicateur ne retrace pas une image fidèle, susceptible de déterminer la richesse créée sur un territoire. D’une part, certaines activités comme l’éducation, les services de santé et les entreprises illicites ou jugés immorales, ne sont pas prises en compte dans ce calcul. Pourtant de nombreuses personnes s’enrichissent dans ces segments d’activités. Aussi, la consommation ne se résume pas seulement à l’achat des biens matériels. Une part importante de la consommation concerne des biens périssables ou associés à la nutrition ou la santé corporelle. Dans ces derniers cas d’exemple, il pourrait être inapproprié de parler de richesse au sens d’accumulation. Enfin, alors que la richesse suppose un stock, le PIB est davantage un flux. Il additionne les différentes valeurs générées à travers les décisions économiques prises par plusieurs personnes, physiques, morales, privées et publiques, dans leurs activités.
Une comparaison avec d’autres indicateurs est nécessaire : Le PIB ne suffit donc pas, tout seul, à se prononcer sur la santé économique ou le niveau de richesse d’un pays. Dans une récente analyse effectuée sur la « Richesse des pays », la Banque Mondiale est entrée de plain-pied dans la discussion. Le document suggère que les notions de PIB et de Richesse des pays devraient non pas être appréhendées comme des synonymes, mais plutôt des compléments. La force économique d’un pays pourrait donc mieux se percevoir, si son PIB est comparé à d’autres indicateurs.
Pour la Banque Mondiale, en effet, ne parler que de la somme mathématique des valeurs ajoutées dans une économie, pour soutenir le niveau de sa vigueur, risque de conduire à des interprétations erronées. « C’est comme si une entreprise décidait de demander du crédit à une banque, en ne parlant que de ses performances sur une année et en cachant ses dettes », explique-t-on dans le rapport. Lorsqu’on ramène la valeur du PIB au niveau de chaque habitant, les Seychelles sont le pays le mieux classé d’Afrique subsaharienne. On retrouve aussi deux pays de la CEMAC (Guinée Equatoriale et Gabon), dans le top 10. Mais il serait difficile de dire que chacun des habitants de ces pays possède le niveau de richesse que présentent les calculs. Mis à part l’Afrique du Sud, la plupart de ces pays se caractérisent, soit par une faible population, soit une exploitation massive de ressources naturelles, soit les deux. Aussi, lorsqu’on rapproche le PIB des pays à leurs importations, on relève que les Seychelles cèdent la première place au Tchad, qui devient le pays dont les importations pèsent le moins sur la constitution de la somme des valeurs ajoutées. Les Seychelles eux rejoignent la dernière place en Afrique subsaharienne.
Lorsqu’enfin on rapporte le poids de la dette publique sur le PIB, le classement connait aussi une fluctuation. L’Algérie devient, techniquement, le pays le moins endetté par rapport à sa valeur ajoutée globale créée en 2017. Toujours selon les indicateurs de la BAD, la Guinée Equatoriale et la Centrafrique entrent dans le top 10 de cet indicateur…
Au-delà du PIB d’autres paramètres doivent être prises en compte : Les économistes s’accordent à dire, que le PIB peut tenir compte des volumes de consommation, sans prendre en compte la qualité de ce qui est consommé. Aussi, des infrastructures publiques, peuvent avoir été acquises, au détriment de la destruction d’espaces cultivables ou d’une faune et d’une flore riches. C’est pourquoi d’autres indicateurs que ceux relevant de la comptabilité publique, peuvent être considérés avec une certaine pertinence.
Lorsqu’on prend en considération la balance courante, c’est-à-dire le solde de toutes les opérations extérieures, qui intègre la balance des échanges commerciaux, celles des transferts des non-résidents et celle des comptes financiers, l’Algérie, puissant pays pétrolier d’Afrique du nord, est le pays le moins bien positionné en 2017. Un autre indicateur qui est très souvent attendu est celui des investissements directs étrangers. Pour l’année 2017, l’Egypte est demeurée le pays qui attire le plus de capitaux étrangers, et dans le top 10, on retrouve le Gabon, qui a attiré pour 1,4 milliard $ d’IDE.
D’autres indicateurs moins comptables, sont tout aussi importants dans l’analyse macroéconomique des pays. Il s’agit par exemple de l’Indice de Développement Humain, dont le dernier classement, celui de 2015, classe en tête les Seychelles, suivies de l’Île Maurice. Et on retrouve à la huitième place le Gabon. Autre classement celui du Doing Business qui évalue les pays en fonction du caractère propice de l’environnement des affaires. Ici le Rwanda et Maurice culminent, tandis que deux pays de l’UEMOA (Côte d’Ivoire et Mali) sont devant le Nigeria…
La zone Franc CFA, pas forcément condamnée : Comme on peut le voir dans les différents cas, le Produit Intérieur Brut n’est finalement pas un indicateur suffisant pour apprécier la santé économique d’un pays. Les pays de la Zone Franc CFA serait-il les moins bien nantis d’Afrique ? Une réponse simple à cette question n’est pas possible, tant il faut prendre en compte plusieurs paramètres en même temps.
On relèvera cependant que les performances des pays de la zone Franc ne sont pas moins bonnes que celles des autres pays africains. Selon de récentes statistiques de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest, les taux débiteurs de banque sont en baisse depuis le pic de 2009 (8,7%), caractéristique d’une amélioration de l’accès au financement. Pour 2017, le taux moyen au sein de l’UEMOA était de 6,93%. On est loin des 16,5% appliqué au Nigeria et des 14% appliqués au Kenya grâce à une limitation imposée par le gouvernement.
Plus généralement, les pays de la zone Franc CFA continuent de jouir depuis plusieurs années, d’une certaine stabilité qui les met à l’abri de grosses variations des prix. Deux des pays de la zone, le Sénégal et la Côte d’Ivoire, figurent parmi ceux qui affichent les croissances économiques les plus fortes de la région. Ainsi, le PIB seul en tant qu’indicateur, ne permet pas d’apprécier la santé économique d’un pays ou d’un groupe de pays. D’autres indicateurs parallèles ou complémentaires, permettent de considérer plusieurs facettes susceptibles de mieux éclairer notre perception de la situation d’un pays.
Ecofin