L’Allemagne poursuit son offensive de charme en Afrique. La dernière «déclaration d’amour» en date a été faite par la quatrième puissance économique mondiale à ce continent le 9 juillet dernier, lorsque le ministre allemand ministre de la Coopération économique et du développement, Gerd Müller, a annoncé que son pays allait utiliser des fonds publics pour soutenir les entreprises qui investissent en Afrique. «L’objectif est de relancer un dispositif des années 1980 permettant aux entreprises d’amortir les pertes sur les investissements réalisés en Afrique afin de modérer les risques initiaux», a expliqué le ministre dans un entretien accordé au quotidien Handelsblatt. «Je vais également faire pression pour que des dispositions soient prises en faveur des investissements africains afin d’obtenir un traitement fiscal plus favorable», a-t-il ajouté.
Ces mesures visent, selon lui, à inciter les entreprises allemandes à accroître leurs investissements sur le continent africain «sans trop tirer la couverture vers elles». Elles s’inscrivent dans le droit fil du «plan Marshall pour l’Afrique» et de l’initiative «Compact with Africa » lancés en 2017 par l’Allemagne, qui assurait alors la présidence du G20.
Le plan Marshall pour l’Afrique, en référence au Plan Marshall des Etats-Unis consacré à la reconstruction de l’Europe après la seconde Guerre mondiale, entend participer à la mise en œuvre des objectifs de l’agenda 2063, un programme de transformation économique conçu par l’Union Africaine (UA). Ce plan préconise une coopération gagnant-gagnant pour l’Afrique et les pays européens dans les domaines de l’investissement, l’industrie, l’éducation, l’agriculture, le commerce, la construction d’infrastructures et l’énergie. Il prévoit notamment l’augmentation des investissements européens générateurs d’emplois sur le continent, l’éradication des flux financiers illicites au départ de l’Afrique, la lutte contre l’évasion fiscale des multinationales et le soutien au développement des chaînes de valeur agricoles dans les pays africains. Plan Marshall pour l’Afrique, que certains dirigeants africains ont rebaptisé «Plan Merkel pour l’Afrique», du nom de la chancelière allemande Angela Merkel, offre par ailleurs une enveloppe de 300 millions d’euros d’aide supplémentaire à trois pays du continent considérés comme des «champions des réformes»: la Côte d’Ivoire, le Ghana et la Tunisie.
Annoncé en mars 2017, l’initiative «Compact with Africa» est, quant à elle, un programme qui vise à accroître les investissements privés et à améliorer les infrastructures sur le continent. Dans le cadre de ce plan auquel se sont associés les pays du G20, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque africaine de développement (BAD), les Etats africains s’engagent à mettre en œuvre des réformes qui augmenteraient leur attractivité pour les investisseurs, tandis que leurs partenaires internationaux aideront à trouver des solutions aux problèmes économiques et offriront une expertise technique pour accompagner les investisseurs dans la région.
Cinq pays bénéficieront de cette initiative dans une première étape: la Tunisie, le Maroc, le Rwanda, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Dans cette optique, la Banque mondiale s’est engagée à mettre en place une fenêtre pour l’investissement privé en Afrique (Private sector window, PSW). Cet outil est complémentaire à l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA), une institution membre du groupe de la Banque mondiale qui accorde des garanties aux entreprises opérant en Afrique.
Rattraper le retard par rapport aux autres puissances
La nouvelle offensive économique de Berlin en Afrique ne s’inscrit pas dans une démarche altruiste et philanthropique. Le premier exportateur européen cherche à rattraper son retard en matière de coopération économique avec l’Afrique par rapport à la Chine, aux Etats Unis, à la France, à la Grande Bretagne, et même à certains pays émergents comme l’Inde, le Brésil et la Corée du Sud. D’autant plus que le continent affiche un taux de croissance de 5 % par an depuis une quinzaine d’année et que sa classe moyenne représente désormais un marché de plus de 300 millions de consommateurs potentiels. «La tournée effectuée par la chancelière allemande en Afrique, en octobre 2016, a permis aux délégations qui l’accompagnaient de constater, d’une part, le retard qu’accuse leur pays en Afrique, en matière d’investissements, et d’autre part, de remarquer l’expansion des investissements et échanges économiques de certaines puissances comme la Chine, l’Inde, la France ou encore la Grande Bretagne avec le continent», estime l’économiste tchadien Doudjidingao Antoine.
Historiquement, l’Afrique n’a jamais été dans les petits papiers des décideurs politiques et des acteurs économiques allemands, longtemps tournés vers les Etats-Unis et l’Asie. Ce n’est qu’en 2005 que l’ancien président fédéral allemand, Horst Köhler, a lancé une initiative baptisée «Partenariat avec l’Afrique». Cette initiative a favorisé une coopération accrue entre le deuxième exportateur mondial et l’Afrique, notamment dans les domaines du commerce, de l’énergie, de la culture et de la santé. Mais la république fédérale ne s’est particulièrement intéressée, jusqu’en 2016, qu’à une poignée de grandes économies africaines. Sur les 10 milliards de dollars d’investissements allemands en Afrique, chaque année, 89% se concentraient dans trois pays: l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Algérie.
Au cours des deux dernières années, la présence allemande en Afrique s’est cependant étendue au-delà de ces grandes économies. A preuve : l’Association des chambres de l’industrie et du commerce allemandes (DIHK) a ouvert de nouvelles antennes dans cinq pays africains, dont la Tanzanie et le Kenya. Selon cette association, 1025 entreprises allemandes, dont les géants du DAX (principal indice boursier allemand, Ndlr) comme Siemens, BASF, Bayer et BMW, opèrent en Afrique.
Le retour sur investissement de ce tropisme a été rapide: Berlin a ravi en 2017 à la France le statut de premier fournisseur européen de l’Afrique, selon une étude de l’assureur-crédit Coface. Et après un bond de 35% en 2016, les échanges commerciaux germano-africains ont enregistré une hausse de 12% l’an passé, pour s’établir à 46 milliards d’euros.
Signe de l’intérêt croissant qu’accorde l’Allemagne à l’Afrique, Berlin a organisé en mars 2017 le premier forum Allemagne-Afrique en vue de pousser davantage ses pions sur le continent. «Les entreprises allemandes commencent à lorgner l’Afrique et voient un grand potentiel dans les classes moyennes émergentes africaines qui n’ont pas besoin d’une troisième Porsche, mais de biens et de services comme le logement adapté aux besoins de l’Afrique», constate Saschsa Meyer, dirigeant du cabinet de consulting allemand African Development Solutions (Adesol).
Le géant industriel Siemens estime, en effet, qu’un «point de basculement» démographique devrait se produire en 2035 en Afrique, lorsque plus de la moitié de la population vivra dans les villes, ce qui se traduira par une explosion de la demande pour l’énergie, l’eau, le transport et les soins de santé. «La hausse de la consommation en Afrique va créer plus de demande pour les produits locaux, suscitant un cycle de renforcement de la croissance interne», prédit Sabine Dall’Omo, la directrice de Siemens pour l’Afrique australe et l’Afrique de l’Est.
Maintenir chez eux les damnés de la Terre
Au-delà de la quête de nouveaux marchés pour sa florissante industrie et la sécurisation de ses approvisionnements en matières premières, la vraie nouveauté du renforcement de l’engagement allemand en Afrique réside dans la question migratoire. Berlin ne cache pas d’ailleurs que l’objectif du Plan Marshall pour l’Afrique et de l’initiative Compact with Africa est avant tout de contenir les flux migratoires en maintenant les damnés de la Terre chez eux.
«S’il y a trop de désespoir en Afrique, alors évidemment des jeunes vont se dire qu’ils vont aller chercher une nouvelle vie ailleurs. Mais si nous travaillons ensemble pour aider vos pays, nous créerons plus de sécurité pour nous même et pourrons mettre un terme au trafic illégal d’êtres humains», avait souligné la chancelière allemande lors de la présentation du Plan Marshall pour l’Afrique.
En tournée à l’automne 2016 au Mali et au Niger, pays de transit pour nombre de migrants, et en Éthiopie, où siège l’Union africaine, la Chancelière avait déjà déclaré que «le bien-être de l’Afrique est dans l’intérêt de l’Allemagne».
L’enjeu migratoire est au cœur du débat politique en Allemagne, à telle enseigne que l’intégration de la gestion des flux migratoires dans la nouvelle politique africaine a été l’une des pierres angulaires des négociations entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates lors de la récente formation d’une coalition gouvernementale. Le continent a été cité 28 fois sur des questions liées à la sécurité et à l’immigration dans le traité de coalition de 177 pages conclu entre l’Union démocrate- chrétienne (CDU/CSU) et le Parti social-démocrate (SPD) !
L’intégration de l’enjeu migratoire dans la politique africaine de Berlin a été décidée après une vague d’agressions sexuelles collectives, de vols et de braquages survenue le soir du Nouvel An 2015 à Cologne, dont les auteurs étaient, selon la police, des hommes originaires d’Afrique du Nord. Les suspects étaient principalement des demandeurs d’asile ou des immigrés en situation illégale. En décembre 2016, un Tunisien débouté du droit d’asile, et qui devait donc théoriquement être expulsé, a perpétré une attaque terroriste au camion-bélier au marché de Noël de la Breitscheidplatz, à Berlin, faisant 12 morts. L’expulsion d’Anis Amri, auteur de l’attentat revendiqué par l’Etat islamique, a été retardée parce que les autorités tunisiennes ne voulaient pas le reconnaître comme un ressortissant. Suite à cet épisode, Angela Merkel a pris son bâton de pèlerin – et son chéquier – pour se rendre en Egypte, en Tunisie, où elle conclue avec ses hôtes des accords facilitant l’identification et l’expulsion des demandeurs d’asile déboutés.
Alors que des élections régionales sont prévues en octobre, Berlin cherche désormais à conclure avec les pays d’Afrique du Nord et du Sahel des accords similaires à celui qu’elle a signé en 2016 avec la Turquie, en vertu duquel Ankara a accepté le retour sur son territoire des migrants arrivés en Grèce, en contrepartie d’une aide financière de 6 milliards d’euros. Malgré les promesses d’aides conséquentes miroitées aux pays qui accepteraient l’installation sur leurs territoires de «plateformes régionales de débarquement» destinées à accueillir les migrants secourus en mer, seul le Niger a jusqu’ici accepté de jouer le rôle «sous-traitant» africain de la politique migratoire de l’Europe en échange d’un montant sans commune mesure avec celui versé à Ankara.
Ecofin