Dans cet entretien, M. SouhilMeddah, expert financier et Directeur Général du cabinet RMG Consulting, est revenu sur les récentes déclarations du Vice-gouverneur de la banque d’Algérie, notamment sur la dépréciation du dinar qui est, selon lui, un ajustement nécessaire, ainsi que sur la flexibilité des banques.
Algerie-Eco : Selon le vice-gouverneur de la banque d’Algérie, M. Benbelkacem, en moyenne annuelle, la baisse du taux de change dinar/euro était de 7%. En fin de période, à savoir de décembre 2016 et à décembre 2017, le dinar a perdu 15% par rapport à l’euro. Qu’en pensez ?
M. Souhil Meddah : La monnaie est un instrument permettant de faciliter les échanges entre acteurs locaux et sur la place internationale. Que ce soit sur le marché spot ou sur le marché à terme, ces échanges sont aussi mesurés par des appréciations ou des dépréciations qui obéissent à des règles à la fois universelles mais aussi par rapport aux autres unités monétaires les unes attachées aux autres, notamment celles de grandes économies. Nous remarquerons une appréciation significative de l’Euro par rapport au Dollar entre fin 2016 et fin 2017 de presque 14% et aussi entre 9% à 4% par rapport à d’autres monnaies (Yen, Franc Suisse…).
Dans un autre ordre, la moyenne des précédentes fluctuations Euro-Dollar-Dinar, montrent que l’écart de glissement entre l’Euro-Dinar par rapport au Dollar-Dinar s’est élargi en fonction de la règle de l’offre et la demande et aussi en fonction de l’utilité de créer une quantité suffisante en monnaie nationale par rapport aux recettes, pour soutenir une base plus important chargée d’alimenter une fiscalité pétrolière et aussi sur le cours Euro permettant de dégager une fiscalité ordinaire sur nos ports en plein évolution.
Est-ce que la dépréciation du dinar était un ajustement nécessaire ?
Il s’agit d’un ajustement naturel qui se dirige avec les données des marchés extérieurs (monétaire ou de biens), et qui se détermine sur deux fronts. A la fois sur l’offre et la demande sur les autres devises et de leurs impacts respectifs vis-à-vis des valeurs engagées à l’extérieur et en tenant compte de l’effet important que peut causer les agents économiques intérieurs dans une conjoncture où la structure des importations des biens reste dépendante de l’ajustement des autres monnaies qui,elles-mêmes, se déprécient par rapport à l’euro. Le deuxième front concerne la quantité du dinar dégagée en contrepartie des flux venant ou allant vers l’extérieur et de leurs impacts sur le modèle de la masse monétaire intérieure qui doit nécessairement faire l’objet d’un réajustement dans les couts en dinars tout en absorbant une quantité d’équilibre supplémentaire de cette masse à chaque fois qu’une opération d’importation est exprimée.
Le recours au financement non conventionnel ne va pas, à court termes, impacter directement la valeur du dinar, alors qu’ il vise à rétablir les équilibres de la balance des paiements et du budget de l’Etat. Quel est votre avis ?
Si on attache les deux faits dépréciation du dinar par rapport aux autres devises avec un écart plus important sur l’Euro et son influence sur la monnaie nationale en quantité par rapport au financement non conventionnel, on obtient indirectement un effet de soutien exercé sur le volume des flux bancarisés dans le circuit des banques primaires. Cette hausse des volumes intérieurs couvrira d’une manière ou d’une autre les besoins en dinar à partir des valeurs créées en amont sur le retour en fiscalité pétrolière et aussi pour le compte des prélèvements sur les importations en aval pour le compte du trésor public.
La question relative au financement non conventionnel, avancera tout en s’appuyant sur la condition des besoins en valeurs dinars par rapport aux recettes réalisées et au solde disponible à chaque fin de période. Reste maintenant de pouvoir bien maitriser les natures des flux financiers à partir d’une création ex-nihilo et de son impact sur les différents agrégats monétaires notamment dans le rapprochement entre M2 et ensuite M1 à partir des comportements économiques des agents concernés (operateurs, établissements financiers, ménages…)
Sur les 13.000 à 14.000 milliards de DA de la masse monétaire, environ 4.780 milliards de DA sont détenus sous forme de billets par les agents économiques pour leurs transactions, et entre 1.500 et 2.000 milliards de DA sont thésaurisés. Quelle lecture vous faites de ces chiffres ? Et quels sont les risques de cette masse monétaire ?
Les valeurs thésaurisées s’interprètent d’une part par des valeurs transigeant dans l’espace informel mais aussi par des valeurs statiques qui au sein de cet espace ne transigent pas avec un volume régulier. Il faut revenir au principe que les valeurs monétaires sont un moyen de transaction et non un bien à conserver. Cette question se pose sur deux parties. La première qui concerne les valeurs uniquement thésaurisées et qui bougent à un rythme très long qui créent un gap entre les masses transigées dans le circuit bancaire par rapport à la masse.
Les masses qui sont synonymes d’une épargne individuelle doivent faire l’objet d’un placement bancaire converties en valeur scripturales contre une base fractionnaire importante pour les banques. Le deuxième partie concerne, l’exercice dans l’espace informel qui dans sa nature lui-même s’alimente de l’espace officiel, il s’agit entre autre de bien définir les circuits de cette espace qui sont généralement la résultante d’un cumul de fuites constatées à partir de plusieurs points dans les activités commerciales et extra-commerciales. Ces fuites passent par d’autres canaux non déclarés et qui reviennent ensuite au circuit officiel. Pour la sphère officielle il s’agit des écarts entre les volumes en masses injectées et leur retour dans le même canal, car les masses reviennent toujours mais à des rythmes différents. Ces différences de rythme s’expliquent naturellement par le passage obligé de ces masses par l’espace informel avant de retourner à leur source principale.
Les risques de ce gap transitoire de ces valeurs, se calcule en volume de la masse M1 qui est fortement sollicitée dans cette phase et de son impact sur l’usage et l’usure des billets de banque et de l’effet inflationniste qui peut en résulter.
Que doivent faire les banques commerciales pour aller chercher l’argent des agents économiques ?
Cette question ne concerne pas uniquement les banques primaires, mais concerne tout l’écosystème qui les entoure et qui entoure les autres secteurs d’activité. La question de la bancarisation doit faire l’objet d’une mobilisation des secteurs qui entretiennent des liaisons commerciales avec tous les agents économiques ( petits porteurs ou gros porteurs ), il s’agit d’une affaire qui concerne la régulation, comme pour les entreprises dans les versements des salaires et des rémunérations par banque au lieu de le faire en espèces. Les achats des biens avec les modalités exigées par les promoteurs (souvent les paiements en cash). Favoriser aussi l’utilisation des moyens de paiement par voie électronique. D’envisager même une exigence aux différentes classes dans le cadre du projet des subventions ciblées d’avoir des comptes bancaires mouvementes en permanence.
La banque d’Algérie a appelé les banques à plus de flexibilité avec les épargnants, en donnant davantage de souplesse aux opérations de dépôt et à l’accès à ces dépôts par les épargnants. Est-ce cette « flexibilité » va augmenter le taux de bancarisation et attirer cet argent thésaurisé ?
C’est une action d’allégement des procédures qui vient ajuster et qui va dans le même sens de la politique de l’inclusion financière amorcée depuis 2015, mais qui ne prends pas en compte tous les agrégats de mesures possibles et imaginables. La question la plus importante est de savoir si cette politique intéresse ou non les détenteurs de valeurs thésaurisées ou si elle les oblige à rentrer dans le droit chemin économique, dans le sens où eux-mêmes ils sont moins inquiétés sur la sphère du marché réel qui lui continue de confirmer son exigence en matière d’opter pour des moyens de paiements en cash et aussi de la réaction très neutre de la part des demandeurs de biens dans ce milieu. Il est impératif de commencer par la régulation du marché des petits porteurs avant tout qui est la source de cette passivité face à la rigidité d’un marché au sujet de ces modalités et moyens de paiement avant de s’adresser à cette partie population ciblée.
Quel est le taux de l’intermédiation bancaire en Algérie ? Quel est son rôle dans l’économie ?
Le taux de l’intermédiation bancaire est à déterminer entre les valeurs mobilisées par l’épargne et les divers placements par rapport à la taille du crédit accordé à l’économie. Avec un recours supplémentaire aux instruments de financement non conventionnels dus à un assèchement de la liquidité, il est peu probable que le taux soit élevé dans les normes. La matière principale de cette mobilisation est soutenue par la politique de la demande globale menée par les pouvoirs publics pour le compte d’une grande majorité des opérateurs économiques publics ou prives. L’intermédiation bancaire ne se limite pas uniquement dans les dépôts et dans les crédits mais aussi et à moindre degré dans la promotion des autres mâchés, tel que le marché financier qui demande une certaine intermédiation pour lui assurer des flux importants des titres et pour soutenir un autre marché secondaire en plein désintermédiation.
Le rôle de l’intermédiation bancaire, se résume dans le fait que les banques mobilisent une grande partie des masses monétaires en M1 pour alimenter les agrégats M2 et M3, et enfin de compte pour créer de la monnaie sur la base de la demande du crédit. Car la règle oblige que c’est le crédit qui crée l’épargne et favorise le dynamisme économique et de ce fait les flux financiers qui se transforment plus tard en ressources, avec en partie une fiscalité ordinaire en forte progression.
En phase de crise la place bancaire, ne doit pas s’arrêter de jouer son rôle d’intermédiaire. Car le moyen financier est le seul levier lubrificateur qui peut remettre de l’énergie aux acteurs économiques à chaque fois qu’ils sont en situation de souffrance.