Pour le président turc Recep Tayyip Erdogan, la croissance à 11,1% du troisième trimestre 2017 fait de la Turquie l’économie qui croît le plus vite au monde et cloue le bec de ses détracteurs.
Mais les économistes s’inquiètent que cette croissance — la plus élevée en six ans pour la Turquie qui se retrouve devant l’Inde et la Chine sur la même période — ne cache des risques potentiels.
L’inflation a en effet atteint le mois dernier 12,98% et la livre turque a perdu environ 11% de sa valeur depuis septembre tandis que le déficit du compte courant se creuse. Avec l’explosion du secteur de la construction à la faveur de crédits à taux bas et des fortes dépenses publiques, l’économie présente des risques de surchauffe. « L’économie croît bien au-delà de son potentiel de long-terme. C’est la définition même de la surchauffe, dont l’inflation à 13% est un autre signe », explique Selva Demiralp, professeure associée d’Economie à l’Université Koç d’Istanbul. Les chiffres actuels de l’inflation sont très loin de l’objectif de 5% de la banque centrale.
Erdogan a annoncé cette semaine que la Turquie connaîtrait une croissance annuelle de 7,5% en 2017, une estimation qui correspond peu ou prou à celles de nombreux économistes.
La popularité du président depuis l’arrivée au pouvoir de son parti en 2002 est largement fondée sur l’efficacité de ses politiques économiques qui ont permis de redresser l’économie après la crise de 1999-2000.
Avec l’augmentation du déficit du compte courant qui risque de se maintenir à plus de 5% du PIB sur le moyen-terme, « les incertitudes autour de l’économie vont se maintenir », selon Deniz Ciçek, économiste à la QNB Finansbank.
Mais une conseillère économique du président Erdogan, Hatice Karahan, a décrit mardi l’économie turque comme étant « très résistante ». Elle a en effet surmonté de nombreuses épreuves en 2016, dont un putsch manqué, avec une croissance principalement portée par la demande intérieure.
Mme Karahan a néanmoins admis, au cours d’un entretien avec des journalistes étrangers à Istanbul, que la croissance doit se faire d’une manière faisant aussi face « au problème du chômage », qui a atteint 10,6% en août, et que l’inflation est « clairement supérieure aux objectifs ».
Autre source d’inquiétude pour Ankara, le procès, actuellement en cours à New York, visant un banquier turc accusé d’avoir violé les sanctions américaines contre l’Iran.
Un ancien allié du gouvernement devenu le témoin-clé de ce procès, le magnat de l’or turco-iranien Reza Zarrab, plaide coupable dans cette affaire dans laquelle il a également impliqué M. Erdogan.
Selon M. Ciçek, « un résultat défavorable dans ce procès pourrait tendre davantage les relations diplomatiques avec les Etats-Unis, ce qui accroîtrait davantage la volatilité des marchés financiers ».
Le vice-Premier ministre Mehmet Simsek a assuré aux marchés qu’Ankara soutiendrait les banques turques pour empêcher toute menace sur le secteur financier. « Il va probablement y avoir des amendes (contre des banques turques), mais à moins qu’il y ait une enquête menée en Turquie, ce qui n’arrivera pas, ce sera probablement juste une autre tempête qu’Erdogan et le (parti au pouvoir) balaieront d’un revers de la main », estime Nigel Rendell, analyste chez Medley Global Advisors.
Une crise généralisée est toutefois loin d’être inévitable et la banque centrale aura jeudi l’occasion de restaurer la confiance en la livre turque avec une décision très attendue sur les taux d’intérêt.
Une augmentation de 100 points de base est attendue, mais les analystes estiment que seule une augmentation de 400 points de base serait suffisante pour convaincre les marchés qu’Ankara souhaite sérieusement lutter contre l’inflation et soutenir la livre turque. « Si les taux ne sont augmentés que de 100 points de base (…) nous pouvons être certains d’une faiblesse accrue de la devise, même s’il n’y a pas de crise généralisée dans l’année à venir », estime M. Rendell.
Les économistes affirment que la marge de manoeuvre de la banque centrale est limitée, M. Erdogan pestant régulièrement contre la logique selon laquelle il faudrait augmenter les taux d’intérêt pour contrer l’inflation, alors que lui-même appelle à les baisser.La QNB Finansbank ne s’attend pas à une crise en 2018, même si l’économie turque présente « un risque de ralentissement », selon M. Ciçek
Afp