Dans cet entretien, l’expert financier, Mourad El Besseghi, réagit à la dernière position de la commission des finances de l’APN qui vient de rejeter l’impôt sur la fortune. Selon lui, au-delà de la forme, la version proposée de l’impôt sur la fortune introduit une très grande discrimination en taxant très lourdement les redevables potentiels ajoutant que l’impôt sur le patrimoine continuera d’être en vigueur en vertu des dispositions des articles contenus dans le titre premier de la troisième partie du code des impôts directs et taxes assimilées.
Algérie-Eco : Annoncée en fanfare par le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, il y a quelques semaines, à l’occasion de la présentation du plan d’action du gouvernement, avant son introduction dans le projet de loi de finances 2018, l’impôt sur la fortune vient d’être finalement rejeté par la commission des finances de l’APN. D’abord pourquoi à votre avis le gouvernement voulait imposer cet impôt?
Mourad El Besseghi : Nonobstant, l’existence d’un impôt sur le patrimoine depuis 1993, les parlementaires au sein de l’hémicycle ont toujours discouru sur le désir et la volonté d’instaurer plus d’équité fiscale. Tantôt démagogique, par moment électoraliste, les propos étaient plutôt destinés à ébahir la « galerie » qu’à rechercher une véritable solidarité entre différentes strates sociales.
En supplantant l’impôt sur le patrimoine par l’impôt sur la fortune, la mesure fiscale projetée s’est pratiquement limitée à un simple changement d’intitulé, pour épater les couches de la population les plus défavorisées. Les principales différences se situent dans l’assiette de calcul qui exclut la résidence principale et qui introduit certains biens de valeur avec naturellement un réaménagement de barème. Mais si l’on regarde de prés, en termes d’impact financier, de poids spécifique dans les ressources potentiellement mobilisables et de difficultés de mise en œuvre, il n’y a qu’un fin trait qui sépare les deux types d’impôts.
En quête, d’une popularité et d’un soutien par les temps de vaches maigres qui courent, les protagonistes de cette mesure voulaient répondre certes aux vœux des représentants du peuple, mais aussi pour reléguer délibérément au second plan son plus gros souci de l’époque qui était de faire passer l’amendement de la loi sur la monnaie et le crédit, relatif au financement non conventionnel.
En se focalisant sur l’impôt sur la fortune, le citoyen lambda a failli oublier les autres dispositions qui impacteront de façon directe et certaines son pouvoir d’achat tels que les augmentations sur les carburants.
Selon certains médias, l’impôt sur la fortune a été rejeté par la commission de finances et budget de l’APN, ce qui n’est habituellement pas de ses prérogatives mais celle de la plénière. Mais au-delà de la forme, il est vrai que la version proposée de l’impôt sur la fortune introduit une très grande discrimination en taxant très lourdement les redevables potentiels. L’objectif recherché de réorienter l’argent thésaurisé vers l’économie productive sera galvaudé et détourné de sa vocation originale.
Dans l’hypothèse où cette disposition serait retirée par une quelconque partie, y compris par le gouvernement, il ne faut pas perdre de vue que l’impôt sur le patrimoine continuera d’être en vigueur en vertu des dispositions des articles contenus dans le titre premier de la troisième partie du code des impôts directs et taxes assimilées. Cependant, comme il n’a jamais connu de début réel d’application, il serait prétentieux de vouloir compter sur un aléatoire recouvrement de cet impôt pour équilibrer le budget de l’Etat. Il y a de l’ordre à mettre en urgence dans la législation fiscale en particulier sur ce point.
Enfin, rassurons-nous, beaucoup de pays voisins sont présentement confrontés à la même problématique et en quête de solution pour susciter une solidarité sociale devant l’impôt.
L’argument de la commission étant d’éviter une fuite des capitaux du secteur formel vers le circuit informel et vers l’étranger. Y t-il à votre avis d’autres raisons de ce revirement?
En effet, un assujetti qui possède une fortune de 40 milliards devrait payer annuellement 1,75 milliard au trésor public, ce qui est considérable. A terme, cet impôt va contribuer à une fuite des capitaux vers d’autres cieux où la fiscalité est plus clémente. Le nivellement systématique par le haut et la recherche de l’égalisation des fortunes ont toujours produits des résultats contestés et constituent un parfait levain de médiocrité.
Au moment où il est recherché la transparence dans les transactions commerciales, la bancarisation de l’argent qui circule dans l’informel, l’instauration d’un réseau de petites et moyennes entreprises transparentes et toujours plus dense,…..la mise en place de cet impôt dans la version proposée est à contre-courant de toute la stratégie développé par les pouvoirs publics depuis trois années. Cette mesure est d’autant plus contre-productive parce qu’elle met l’accent sur une niche fiscale qui est déjà fiscalisé. Or, ce qui doit être visé, c’est ce qui hors circuit et dans le « noir ».
En dehors du fait que « trop d’impôt tue l’impôt », il y a une règle d’or en fiscalité qui consiste à ne jamais soumettre à imposition un même revenu deux fois de suite. Plus vous superposez les impôts et plus vous suscitez la fraude et l’évasion fiscales. La fortune acquise dans des conditions de transparence avérée qui provient d’une source de valeur visible ne constitue pas un danger moral pour la société, quel que soit son niveau.
Par contre, les grosses fortunes érigées dans la pénombre et construites de façon occulte, usent de manœuvres patrimoniales qui sortent des sentiers battus. Trop les lâcher dans la nature conduirait à terme à une catastrophe financière, trop les éteindre les amèneraient à se terrer ou à s’expatrier par différents canaux et moyens ce qui se traduiraient par une saignée à blanc de l’économie. Ces fortunés de l’ombre ne mettront jamais dans des valeurs visibles ou dans de l’immobilier mais privilégie le cash et la liquidité principalement la devise. L’impôt sur la fortune, dans la version proposée, serait donc à leur égard totalement inefficace.
Autre propositions d’amendement du PLF 2018, celle d’augmenter la part des communes dans le produit de la Taxe sur l’activité professionnelle (TAP). Quel commentaire faites-vous à ce sujet?
La réduction de la TAP de un point depuis deux ans, a eu une incidence positive sur le secteur industriel et productif et celui du bâtiment et des travaux publics, mais les conséquences sur les finances locales ont été dramatiques. La TAP étant un impôt totalement consacrée aux collectivités locales, sa diminution s’est immédiatement répercutée sur leurs budgets déjà mis à rude épreuve par les coupes sur les programmes sectoriels.
Sur les 1.541 communes que compte le pays, plus de 960 sont déficitaires, alors que la commune est par nature la locomotive du développement et le moteur de la croissance économique.
Il faut rappeler que la fiscalité locale est tirée principalement par quatre impôts dont la taxe sur l’activité professionnelle (TAP) pour 55% et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour 35%. Mais la répartition de cette ressources entre la commune et la wilaya est disparate et c’est pourquoi cette mesure vient à point nommée pour augmenter grâce à cette ressource le taux de couverture des besoins de financement des communes qui est actuellement de 60% alors qu’il serait de 80% pour les wilayas.
Ainsi, l’objet de l’amendement proposé par la commission finances et budget de l’APN vise à rétablir un équilibre dans cette ventilation des ressources entre la commune qui atteindrait 66%, tandis que le reste irait à la wilaya.
En effet, les collectivités locales souffrent d’une faiblesse cruelle en matière de capacités de financement, et qu’à ce titre, elles demeurent essentiellement dépendantes des dotations de l’Etat.
La révision en profondeur de la fiscalité locale en particulier des taxes foncières, d’assainissement, d’habitat et certaines taxes écologiques, la fiscalisation des activités agricoles, sont un passage obligé pour renflouer les caisses des collectivités locales.
Les élus locaux issus du scrutin du 23 novembre 2017, devront affronter la dure réalité et savoir que l’essentiel de la réforme en matière de finances locales doit impérativement et en priorité commencer par le développement d’activités sur leur territoire en vue de diversifier les sources de revenus par la stimulation de l’activité économique et en conséquence de l’élargissement de l’assiette fiscale.