Alors que le continent africain peine à se remettre des conséquences de la crise provoquée par la chute des cours du pétrole et des matières premières, il est pourtant urgent de continuer à investir en raison des bons fondamentaux. C’est ce qu’il ressort de la table ronde sur les stratégies de croissance organisée jeudi 23 novembre à Paris par Leaders League, dans le cadre de son événement Africa Investments, Forum & Awards (AIFA Paris).
Après avoir connu des taux de croissance moyenne autour de 5 % entre 2000 et 2010, le Continent connaît aujourd’hui des « moments difficiles et compliqués », ont reconnu les participants d’une table ronde sur les stratégies de croissance, organisée par le groupe Leaders League (éditeur du magazine Décideurs) dans le cadre de l’Africa Investments, un événement qui a réuni quelque 400 dirigeants du secteur public et privé, jeudi à Paris.
De fait, les taux de croissance des économies africaines ne se situent plus à présent « que » aux alentours de 3 %, car la plupart des pays ont du mal à sortir de la sévère crise qui les frappe depuis 2014, après la chute des prix du pétrole, des cours des matières premières et des printemps arabes.
« Mais paradoxalement, c’est le bon moment d’investir, car les actifs sont dépréciés alors que sur le long terme les fondamentaux sont très bons », a estimé Yves Biyah. Le directeur des Opérations de Jeune Afrique a ainsi mis en avant les trois atouts majeurs du Continent : une « population active en train d’exploser », qui comptera 1 milliard de personnes en 2035 ; une urbanisation en forte croissance, ce qui augmente la productivité ; une transformation digitale des économies, qui génère du e-commerce, du crédit, des services, etc. Donc autant d’opportunités pour investir et faire des affaires.
« La vitesse d’exécution, l’agilité des Africains, l’esprit entrepreneurial sont tels qu’ils représentent notre avenir. Tant les grandes sociétés que les petites ont donc intérêt à investir en Afrique », a renchéri pour sa part Xavier Jacomet, ancien directeur financier de Microsoft Afrique et aujourd’hui associé Afrique chez Procadres International, l’un des cabinets leaders du management de transition en Afrique.
Fonds vautours et situations contrastées
Certes, « l’Afrique c’est compliqué, mais c’est aussi une terre d’opportunités absolument extraordinaires », a abondé Albdelmalek Alaoui, PDG du groupe Guépard, holding d’investissements dans les médias (Huffingtonpost Maghreb, La Tribune Afrique, etc.). Mais selon lui, il faut quand même faire preuve de prudence. : « Nous sommes aujourd’hui dans une situation où il est possible que des États africains, surendettés, fassent défaut… Les États d’Afrique centrale notamment n’ont pas assaini suffisamment leur économie et sont potentiellement en détresse. Si ces Etats étaitent une société – Afrique SA – les fonds vautours américains seraient en train de roder autour… »
« Il est abusif de parler de l’Afrique en général, s’est insurgé Dominique Lafont, PDG de Lafont Africa Corporation et ancien patron de Bolloré Afrique, car dans ce continent de 54 pays, il y a des EÉats qui reculent et d’autres qui avancent vite ». Abdelmalek Alaoui en convient : « C’est vrai, au nord la situation est ambivalente : des pays sont en phase d’industrialisation rapide, comme le Maroc qui devient le hub automobile et financier de la région, alors que l’économie algérienne reste collée aux hydrocarbures et que, pour avoir un budget du pays à l’équilibre, il faudrait un baril à 94 dollars ». Un constat qui vaut aussi pour l’Angola, qui se trouve dans une situation similaire.
« Cela étant, a lancé l’homme d’affaires marocain qui s’est employé à s’affranchir de la langue de bois, la réalité, c’est qu’il y a un manque d’infrastructures en Afrique, qu’on n’arrive pas à y progresser aussi rapidement qu’on le voudrait, et que le numérique et la technologie ne sont pas la solution à tout… Il faut des routes, il faut des infrastrucutures physiques, il faut que l’on puisse mettre de l’argent dans ces investissements », a-t-il martelé.
Pour un marché commun africain
À cet égard, Yves Biyah a estimé qu’il était urgent de trouver des financements pour les infrastructures, « notamment en Europe car elle sera la première à subir les conséquences si jamais le développement de l’Afrique ne se fait pas ».
Mais l’ancien patron de Bolloré Afrique a exprimé son désaccord : « Certaines infrastructures sont autofinançables. J’ai vu des routes à péages se faire, efficaces, désenclavantes et profitables pour les opérateurs ». Idem pour les ports et aéroports. Problème, toutefois : il vaut mieux construire un port en Asie qu’en Afrique, car « les volumes y sont plus importants ». C’est pourquoi « il faudrait parvenir à la construction d’un Marché commun africain, car aujourd’hui pris individuellement les marchés sont trop petits », a plaidé le représentant de Jeune Afrique.
Le « gros problème » de la corruption, et autres freins
Puis les débateurs ont abordé les freins classiques au développement du Continent, régulièrement évoqués lors des colloques : l’absence d’un secteur bancaire capable de mobiliser l’épargne locale et de financer les PME africaines, les barrières tarifaires et non tarifaires « trop importantes », la nécessité de mettre en place un « choc fiscal pour faire revenir en Afrique les capitaux enfuis à l’étranger », à l’instar du Maroc – une mesure réclamée par Abdelmalek Alaoui qui a aussi plaidé pour la création d’un « Netflix des jobs afin que les gens aient accès à une Sécurité sociale avec une base contributive extrêmement faible », ce qui serait une brique d’une sorte de Small Business Act adapté à l’Afrique.
Sans oublier, parmi les freins, l’épineuse question de la corruption. Un « gros problème » pas du tout « exagéré », selon Yves Biyah, citant notamment l’Afrique du Sud et le Nigeria, deux pays incontournables pour les entreprises qui veulent realiser un gros chiffre d’affaires sur le Continent.
Mais Xavier Jacomet a affiché son désaccord sur ce point : « Il faut démystifier ce problème ! Selon les indices de corruption, dans les cinquantes premières places mondiales, le Bostwana arrive en 25ème position – c’est le premier pays africain – devant l’Espagne ou l’Italie et certains pays de l’Asie du Sud-Est. Certes le pays est petit, mais il n’y a aucune tolérence sur la corruption ».
Reste que, pour Dominique Lafont – qui représentait également l’Institut Montaigne, un cercle de réflexion libéral –, l’Afrique a décidément perdu beaucoup de temps lors de la décennie faste des années 2000-2010.
Et surtout, elle a perdu l’occasion de « faire les réformes de fond. Elle a amélioré les choses, mais pas au niveau que l’on aurait pu espérer, tant sur les infrastructures, l’éducation, que sur l’édification d’un État de droit, etc. Quand la crise est arrivée, à partir de 2014, l’Afrique s’est retrouvée encore plus dépourvue qu’auparavant. Alors, certes les investisseurs sont toujours là, mais ils sont plus exigeants, plus avertis, plus aguerris…» a-t-il conclu.
Ce temps perdu peut-il se rattraper ?