Dans cet entretien, l’expert financier, M. Mourad El Besseghi, a réagi à la baisse du déficit commercial de l’Algérie de plus de 54% durant le premier semestre de l’année en cours et son impact sur l’économie nationale. En effet, le déficit commercial est tombé à 4,84 milliards de dollars au premier semestre de 2017, alors qu’il était de 10,57 milliards de dollars à la même période de 2016, selon les chiffres annoncés par le Centre National de l’Information Statistiques (CNIS), relevant des Douanes Algériennes.
Algerie-Eco: les autorités ont annoncé une baisse du déficit commercial 5,7 milliards de dollars, soit 54%. Quel est l’impact de cette baisse sur l’économie?
Mourad El Besseghi : Effectivement, selon les dernières données fournies par le Centre National de l’Informatique et des Statistiques (CNIS), le déficit commercial de l`Algérie a reculé de 5,7 milliards de dollars au cours du premier semestre 2017 par rapport à la même période de l’année précédente.
Mais cette baisse, ne résulte pas particulièrement d’une diminution des importations à 23 milliards (en baisse de 1 milliard seulement), mais plutôt découle d’une augmentation des exportations qui se sont accrues de prés de cinq milliards de dollars par rapport au premier semestre 2016.
En ce qui concerne les importations, on peut se rendre compte que le groupe « produits alimentaires » continue de connaitre une envolée, encore une fois, contrairement aux autres groupes qui ont quasiment tous dévissé. Les importations de « gros produits » tels que la poudre de lait et de produits laitiers, de sucre et sucreries, d’huile, de céréales, des cafés et thés, des viandes ont tous connus de sensibles augmentations.
Ceci n’implique pas forcément que la consommation des ménages est en hausse, mais une observation de cet épiphénomène sur une plus longue période permettrait de tirer une analyse sur l’évolution du modèle de consommation de l’algérien. Ce pic conjoncturel est probablement lié à la crainte des opérateurs économiques face à une perspective de limitations des quantités et des produits à importer et donc d’un comportement irrationnel mue par une frénésie à l’achat pour se prémunir des lendemains incertains.
Les dernières mesures concernant les restrictions sur les importations de produits alimentaires, sont trop récentes et n’ont pas encore produits les effets escomptés. Il faudra atteindre au moins la fin de cette année pour percevoir la portée et l’efficacité de ces mesures.
Selon vous, à quoi est dû ce recul?
Ce recul est la conséquence de l’augmentation des exportations qui ont nettement évolué de 4,82 milliards de dollars, comparé à la même période de 2016, soit une hausse de 36,2%, selon les données du Centre national de l`Informatique et des Statistiques des Douanes (CNIS). Il en a résulté une meilleure couverture des importations par les exportations qui a grimpé de 56% à 79% sur la même période de l’année précédente.
Pour atteindre ces chiffres, est-ce que l’Etat a dû augmenter la production d’hydrocarbures ?
Dans les exportations, Il y a évidemment les hydrocarbures qui se taillent, comme toujours, la part du lion avec prés de 95% du volume total. Il existe deux facteurs qui ont concouru à cette situation.
Le premier est lié aux prix du brut : bien qu’en deçà du seuil de rentabilité, les prix se sont relativement mieux comportés sur les marchés internationaux, durant ce semestre par rapport au 1er semestre 2016. Les accords des pays de l’OPEP sur la réduction de la production qui a été reconduit d’ailleurs jusqu’en Février 2018, ont certainement contribué à cela.
Le second est relatif au niveau de la production des hydrocarbures : ce facteur a été aussi à l’origine de cette amélioration puisque les chiffres annoncés par l’ONS, indiquent qu’au premier trimestre, la production a confirmé sa tendance haussière avec une amélioration de 2,5% d’augmentation par rapport au quatrième trimestre 2016. Ceci est valable aussi bien pour les activités d’extraction que les activités de raffinage.
Les exportations hors hydrocarbures, tout produit confondu, ont, eux aussi, enregistré une hausse minime de 6,25% en s`établissant à 952 millions de dollars contre 896 millions de dollars en 2016.
Le taux d’inflation s’est établi à 6,5 %. Est-ce que vous voyez une corrélation entre la baisse du déficit et l’inflation?
Au début de cette année, le taux d’inflation a avoisiné les 8% pour se calmer rapidement et revenir à fin juin au taux que vous avez indiqué. La réduction du déficit de la balance commerciale n’est certainement pas étrangère à cette légère compression du taux d’inflation, mais il reste tout de même élevé par rapport au taux de croissance qui est de 3,7%.
Cependant, il faut rappeler que le dinar n’est pas convertible et sa dévaluation est plutôt un acte administratif qui n’est pas soumise aux aléas du marché financier international. L’impact d’une dévaluation ou d’une dépréciation n’influe pas immédiatement sur les transactions internationales.
Les macro-économistes s’accordent à dire qu’une inflation faible et stable relance la croissance économique. En d’autres termes, un niveau mesuré d’inflation permettrait d’avoir des retombées positives pour booster « la machine économique», mais lorsque ce taux est élevé, les conséquences sont dramatiques sur le taux de croissance et sur les autres indicateurs macroéconomiques. Une forte dévaluation de la monnaie locale aurait inéluctablement des effets sur le volume des transactions internationales et donc sur la balance commerciale.
Au cours du premier semestre et en considérant qu’il n’y a pas eu de création monétaire selon la Banque d’Algérie, l’inflation est surtout due à l’effet prix à la consommation des biens et services et au jeu des taux de changes sur les devises fortes (euro-dollars).
Les lignes de crédit ont financé les importations à hauteur de 36%. Qu’en pensez-vous ?
En effet, les lignes de crédit qui correspondent au crédit documentaire ont financé les importations à hauteur de 8,35 milliards de $ au cours du premier semestre 2017. L’utilisation de ce moyen de paiement est en baisse tendancielle, sous le double effet de la réduction du volume global des importations et la préférence de la remise documentaire contre moyen de paiement des importations. Le crédit documentaire présente la particularité de faire engager la banque de l’importateur qui garantit à l’exportateur, via la banque de ce dernier, le paiement des marchandises contre la remise des documents attestant de l’expédition et de la qualité des marchandises prévues au contrat dans les formes et délais.
Par contre le mode de financement en cash ou remise documentaire s’est stabilisé en comparaison avec l’exercice précédent puisqu’il a permis d’assurer les règlements de plus de 60 % des importations au cours de ce premier semestre 2017. Ce mode de paiement a été supprimé en 2009 au motif qu’il constituait un puissant moyen d’encouragement des importations et pour certains analystes de surfacturation par des opérateurs économiques véreux. C’est précisément le contraire qui s’est produit au cours des années qui ont suivi, puisque la facture globale des importations a considérablement augmenté, conduisant les pouvoirs publics à reconsidérer leur position initiale et à réintroduire en janvier 2014 la remise documentaire comme autre mode de règlement. Rappelons que la remise documentaire n’engage pas les banques qui interviennent qu’en tant que mandataires.
Tandis que les transferts libres à partir des comptes en devises propres (compte devises des personnes morales, compte CEDAC,…) ont financé prés de 8 millions de dollars en recul par rapport au premier semestre 2016.
Cet engouement pour la remise documentaire est certainement justifié par le moindre coût qu’elle engendre par rapport au crédoc, mais surtout par le fait que l’importateur n’est pas obligé de mobiliser au tout début, les fonds nécessaires à la couverture de l’opération, ni de recourir, pour ce faire, à des crédits bancaires onéreux. Par contre, il peut être source de problème de qualité, et d’allongement des délais d’exécution qui se répercutent sur le fonctionnement des entreprises. En fait, les économies qu’un opérateur peut réaliser dans le choix du mode de paiement, peuvent se transformer en exact-contraire si l’opération est mal gérée, et ce, quel que soit le mode de paiement adopté.
Pour ce qui est des surfacturations et autres niches de corruption, il serait plus adéquat de rechercher les sources et les moyens de les éradiquer dans le cadre approprié.
Enfin, il serait intéressant de revoir l’efficacité du système bancaire d’une manière générale, ce qui figure déjà comme point nodal dans le programme du gouvernement.