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Ferhat Ait Ali, expert financier : « L’inspection de l’usine Hyundai a été menée de manière aussi peu orthodoxe que le cahier des charges a été établi »

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Réagissant aux résultats de la commission d’enquête dépêchée à l’usine de Tahkout, l’Expert financier Ferfat Ait Ali, livre à Algérie-Eco, son analyse en décortiquant certains articles du Cahier des charges portant conditions et modalités d’exercice de l’activité de production et de montage de véhicules, lesquels par leur ambigüité ouvrent la voie à des pratiques retorses.  

Algérie-Eco : Le cahier de charges stipule dans son article 10 que « le taux d’intégration locale doit représenter au moins 40% à la cinquième année du démarrage de l’activité de production avec l’atteinte de 15% minimum à la troisième année » mais aucun taux n’est fixé durant les deux premières années, quelle lecture en faites-vous?

Ferhat Ait Ali : Avant l’article 10, il ya l’article 9, il faut déjà se pencher sur l’article 4, alinéa 5, qui impose à l’investisseur un engagement de débuter les opérations d’intégration, après une durée maximale de 2 ans de production. Ce qui revient à dire, que durant cette période le taux zéro d’intégration est admis de facto et de jure.

A l’entrée de la troisième année, on lui exige un taux de 15% qui devra être porté à 40%  durant la cinquième année soit deux ans après, et ce en vertu de l’article 10 de ce fameux cahier de charges. Or, rien n’est précisé, quant aux voies et moyens de préparer cette intégration, durant ces deux années de grâce.

L’article 9 lui, explicite le taux d’intégration au sens de ce cahier de charges, et de la vision des pouvoirs publics en la matière. Et là, dans une formule en apparence neutre, nous avons droit, à un chef d’œuvre de faux semblants,  consignés dans les définitions des abréviations CL et AL, Coûts locaux et Achats locaux. On y trouve intégrés, les salaires, la formation, les prestations achetées et la logistique pour les AL.

Ainsi en partant de cette fameuse logique, qui intègre des éléments de la valeur ajoutée, au coût du produit final défini par l’addition de AI+CL+CL dans la formule. On peut considérer d’ores et déjà que le taux d’intégration de 15% est atteint le premier jour, par simple effet d’imputation de ces dépenses locales, sur le premier véhicule débarqué au port, même monté.

Au sens de ces trois articles, même les précédents concessionnaires étaient arrivés à ce taux, juste avec les frais des shows room et de transport et stockages des véhicules.

A mon sens, un taux d’intégration qui ne tient pas compte de Ratios, précis de répartition, entre ces dépenses locales, et les coûts des pièces et composants achetés ou produits localement, pour être montés, ouvre la voie à toutes les ambigüités et de ce fait à toutes les pratiques, pour peu qu’on soit assez futé, pour intégrer des prestations locales assez coûteuses, surtout si on se débrouille pour les faire fournir par une entité appartenant à une société apparentée ou liée d’une manière ou d’une autre aux mêmes intérêts.

L’autre logique qui parait aussi irréaliste que peu convaincante, est portée par les délais de progression de ce taux vers 40%,  limités à deux années. Ayant déjà eu à expliquer que le taux peut varier d’un composant à un autre et d’un véhicule à un autre, on peut dire qu’au delà des 15% couvert par ces prestations et achats de services et coût de main d’œuvre locale, les 25% restants sont ardus, dans cette vision.

Cela suppose que sur le prix de vente hors taxes d’un véhicule local, et non sur son prix de revient, en matières et services consommés, de 10000 Dollars, il faudrait qu’il y’ait l’équivalent d’au moins 2500 dollars en pièces et composants locaux. Cela suppose, que les composants en question, soient ou électroniques ou de motorisation, sinon de châssis.

Ni le câblage, ni la sellerie, ni les accessoires, divers n’atteignent ce coût assemblés dans un véhicule.

Je me demande comment un constructeur, doté d’unités de montage telles qu’on les a vues, chez tous les opérateurs déjà impliqués dans cette démarche, pourrait induire dans son sillage, la création d’un réseau de sous-traitance locale, à ce niveau de coûts et de maitrise, sans y investir soi-même.

Je me demande aussi, qui aurait l’idée d’investir dans des pièces pour moteurs,  ou des composants électroniques locaux, à ce volume de production et de ventes, qui ne couvre même pas, l’amortissement des intérêts sur crédit d’équipement.

Imaginez un fabriquant qui aurait à lui seul le marché de tous les composants, pour un chiffre d’affaire de 25 Millions de dollars/ an, qui investirait dans une unité multiple d’usinage ou de conception, avec ses brevets qui lui reviendraient au bas mot à 100 Millions de dollars, il va y laisser sa chemise, au bout de la troisième année !

Pensez-vous que l’usine de montage de TMC de Tiaret pratique réellement du SKD ?

Selon la définition toute élastique du SKD, on peut partir du montage de portes, jusqu’à la série totale de composants pré-montés. Ce cahier de charges ne précisant rien de particulier en la matière, on peut dire que même avec un vehicule à moitié ouvert, on y ouvre droit.

Par contre, si les composants étaient définis, avec précision, en fonction de leur taux de montage préliminaire chez le constructeur, les choses seraient plus claires, pour toutes les parties, y compris les observateurs.

Ce que par contre j’ai vu, dans un reportage vidéo sur un site électronique, ne montre pas une chaine de montage selon la méthodologie universellement admise en la matière, ni encore moins des personnels ayant l’air d’avoir une formation spécialisée dans autre chose que la manutention. Ou même des équipements qui permettent des opérations de montage, à la chaine, rapides, fiables et efficaces.

Mais un atelier de montage empirique, et même dangereux pour les employés, comme les crics à losange, utilisés pour caler un moteur, qui devait être monté, et boulonné, par un employé juché, sur une plateforme non conçue à cet effet, dans une position, inconfortable, dangereuse et qui n’a rien à envier à n’importe quel garage sous équipé d’Alger.

Une chaine SKD, est conçue comme un circuit de marche en avant, sans retour en arrière, ou à chaque étape, des équipements d’assistance, manipulés par des ouvriers qualifiés, installent les composants, avec pour unique tache le boulonnage, et pas le maintien des composants en équilibre ou en place.

Sinon c’est dangereux, coûteux en temps et main d’œuvre, et empirique. Par certains côtés, on peut même dire que cette usine fait du CKD pour les essieux, et aucun SKD sur les garnitures et sellerie. Les essieux en SKD sont prémontrés avec fusées, cardans, étriers de freins et triangles, l’opération consiste juste à introduire les fusées dans les trous de vis et les cardans dans la boite à vitesse. Là, nous avons des étriers épars, des amortisseurs sans ressorts et des cardans montés tous seuls, attendant les disques, et c’est le modus opérandi d’un mécanicien et pas d’une unité de montage. Mais en vertu de ce cahier de charges, on ne peut rien reprocher de précis à ce constructeur, qui se conforme à un texte qui peut être lu comme chacun le veut.

Quelle est votre réaction concernant les résultats de la commission d’inspection dépêchée  à l’usine Hyundai et la célérité avec laquelle cette affaire a été bouclée?

Là nous sommes revenus à la démarche orthodoxe connue d’autres structures de contrôle publiques, et dans ce cas, avant de se pencher sur les résultats, qui étaient prévisibles, il faudrait peut être se pencher sur la démarche, qui au moins pour l’Inspection Générale des Finances, et celle des Douanes me parait franchement des plus incompréhensibles.

Pour l’inspection du Ministère de l’Industrie, si c’est pour vérifier la conformité à ce cahier des charges, le déplacement était de trop, et les frais qui vont avec aussi.

Par contre pour les deux autres, je n’ai jamais vu l’Inspection Générale des Finances, procéder de cette manière, et faire une visite sur site, pour conclure dans les heures qui suivent, c’est une nouveauté en matière de contrôle financier.

L’IGF, a pour mission essentielle, déjà de vérifier, les documents, relatifs à l’investissement, son coût, son mode de financement, sa conformité aux engagements pris et aux textes en vigueur, en matière de financements et aides publiques, et surtout la conformité de l’investissement avec les clauses financières et juridiques du cahier des charges, et les différents agrégat financiers de l’exploitation de cet investissement, y compris les coûts d’achat des composants, leur coûts de vente et la conformité aux conditions d’exonération douanières et fiscales.

Ce genre de mission durant des semaines si ce n’est des mois, commence en général, au niveau des banques et des douanes, sur les documents financiers de l’opération avant d’aller sur site, vérifier les stocks existants, et leur nature physique.

Une équipe sur site, n’est utile le premier jour que pour établir cet inventaire à priori, et récupérer les documents comptables nécessaires à la suite des opérations. Le reste peut se faire au bureau, calmement, et dans le respect des droits de l’entité objet de l’enquête et des procédures, cela ne semble pas avoir été le cas, vu cette conclusion en un jour.

Pour la Douane, l’Inspection Générale, contrôle par  vocation, les activités des services douaniers et pas les opérateurs, ceux-ci relevant de la Direction des Enquêtes Douanières. Précédemment dénommée SERD.

Et pour ces deux services, l’enquête commence au port, ou même avec un couloir vert, la visite primaire et sommaire peut être faite, ou les scellés posés, avant ouverture sous contrôle douanier sur site.

Et si cela n’a pas eu lieu, l’infraction est partagée entre l’opérateur et les fonctionnaires de ce Corps. Si elle a été faite, si infraction il y a, le SERD s’occupe de l’opérateur et l’Inspection Générale des fonctionnaires. Aller sur site, revient à dire que la Douane ne savait pas exactement ce qui s’est passé, sur documents au débarquement, ou au dépotage, et là c’est un autre débat.

En conclusion, cette inspection de l’usine Hyundai, a été menée, de manière aussi peu orthodoxe que ce cahier des charges a été établi.

Le chemin vers toutes les éventuelles errances chez les opérateurs, étant préalablement ouvert et balisé, aussi bien par les textes, que par les procédures à posteriori qui s’éloignent de plus en plus des règles universellement admises, et consignées dans nos textes généraux.

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