Le 31 octobre 2021, l’Algérie avait décidé de ne pas renouveler le contrat du gazoduc Maghreb-Europe (GME) traversant le territoire marocain pour acheminer le gaz algérien vers l’Espagne et le Portugal. La fermeture du GME a impacté le Maroc qui tirait des profits du passage du gazoduc et s’approvisionnait en gaz.
Il y a quelques jours, Rabat et Madrid ont trouvé un accord sur l’utilisation des terminaux GNL espagnols par le Maroc pour s’approvisionner en gaz naturel via le GME.
Annoncé jeudi dernier par le ministre espagnol de la Transition écologique, cet accord permet au Maroc d’acquérir du gaz naturel liquéfié (GNL) sur les marchés internationaux, le faire livrer dans une usine de regazéification de l’Espagne péninsulaire et utiliser le GME pour l’acheminer vers son territoire.
Le gaz algérien non concerné
Interrogé par l’agence APS sur une éventuelle revente par Madrid du gaz algérien à Rabat, en profitant de ce nouvel accord, l’expert pétrolier, Mourad Preure, a expliqué qu’en vertu de la clause de destination incluse dans les contrats gaziers entre l’Algérie et l’Espagne, cette dernière n’est pas autorisée à revendre le gaz algérien à des clients hors du territoire espagnol.
« L’Espagne considère l’Algérie comme un partenaire stratégique, pas seulement sur le plan gazier, et ne peut se hasarder à enfreindre la lettre des contrats, et surtout l’éthique des affaires avec notre pays », estime-t-il.
« En clair, tous les volumes expédiés d’Algérie doivent être consommés en Espagne. Libre aux énergéticiens espagnols de spéculer, faire des opérations d’arbitrage ou de couverture contre le risque pris en achetant et revendant des volumes spot au plus offrant. Les volumes algériens ne peuvent être concernés par ces transactions », explique Mourad Preure.
L’accord se heurte à de multiples contraintes
L’expert pétrolier estime que cette solution d’utiliser les terminaux GNM espagnol par le Maroc se heurte à de multiples contraintes d’ordre technique et financier, et à leur tête « la contrainte de temps ».
Pour M. Preure : « Inverser le flux gazier demande du temps et de l’investissement, chose dont ne semble pas disposer le Maroc pour satisfaire ses besoins immédiats en gaz naturel », après la décision algérienne en octobre dernier de ne plus exporter son gaz via le GME, en raison de la politique marocaine « irréaliste et inutilement hostile » vis-à-vis de l’Algérie.
Il rappelle que la partie du gazoduc traversant le détroit de Gibraltar ainsi que les stations de compression appartiennent au groupe espagnol Naturgy, alors que le tronçon transitant par le Maroc, appartient à ce dernier et géré par Metragaz, une société mixte entre Natrugy et ses partenaires portugais et marocain.
S’y ajoute, la demande gazière importante de l’Espagne qui « ne peut pas sacrifier ses clients industriels, électriciens et particuliers » pour répondre à la demande marocaine.
La contrainte du coût
L’autre contrainte est d’ordre financier, explique l’analyste pétrolier qui s’interroge sur le coût de cette énergie importée d’Espagne, eu égard aux prix élevés du gaz sur le marché spot et auquel il faut ajouter le coût de sa regazéification dans les usines espagnoles et de son acheminement via le GME.
Si le Maroc peut assurer la satisfaction de ses besoins gaziers, ça sera au prix fort, alors qu’il bénéficiait auparavant de près d’un milliard de m3 de gaz algérien, dont une partie gratuite, au titre des droits de passage, et une autre au prix contractuel, préférentiel, précise Mourad Preure.
« Le Maroc a-t-il les moyens, et à quel prix livrera-t-il ce gaz au client final », s’interroge-t-il, constatant que les cours du GNL sur les marchés spot restent soutenus, tirés par une demande asiatique à la hausse.
En 2021 les prix spot ont augmenté de 600% et sont sujets à une très forte volatilité en Europe où les stocks sont au plus bas, alors que l’offre russe est lourde d’incertitudes, relève-t-il, précisant que la moyenne de décembre 2021 a été de 37 dollars le million BTU (British Thermal Unit), atteignant un pic de 60 dollars le 21 décembre.
« Le Maroc, qui vit déjà une crise économique inquiétante, dont les équilibres extérieurs sont aggravés par les effets de la pandémie de la Covid-19, devra subir la pression d’un marché gazier concurrentiel, de plus en plus intense et imprévisible », a-t-il expliqué.