C’est la dernière des grandes icônes de la lutte contre l’apartheid: l’archevêque Desmond Tutu, la conscience de l’Afrique du Sud mais aussi un grand espiègle et un rire puissant, est mort dimanche à 90 ans.
Jusque récemment, le prix Nobel de la paix a imposé sa petite silhouette violette et son franc-parler légendaire pour dénoncer les injustices et écorner tous les pouvoirs.
Le président Cyril Ramaphosa a exprimé « sa profonde tristesse » face au décès de ce « patriote sans égal », « un homme d’une intelligence extraordinaire, intègre et invincible contre les forces de l’apartheid », qui laisse une veuve, « Mama Leah », et leurs quatre enfants.
Cette mort représente « un nouveau chapitre de deuil dans l’adieu de notre nation à une génération de Sud-Africains exceptionnels qui nous ont légué une Afrique du Sud libérée », a-t-il ajouté, un mois après la mort de FW de Klerk, dernier président blanc du pays.
Après l’avènement de la démocratie en 1994, et l’élection de son ami Nelson Mandela, Desmond Tutu avait donné à l’Afrique du Sud le surnom de « Nation arc-en-ciel ». Il avait présidé la Commission vérité et réconciliation (TRC) dont il espérait qu’elle permettrait de tourner la page de la haine raciale.
The Arch, comme le surnomment affectueusement les Sud-Africains, était affaibli depuis plusieurs mois.
Souffrant depuis longtemps d’un cancer de la prostate, il est sans doute mort de vieillesse, paisiblement à 7 heures dimanche, selon plusieurs de ses proches interrogés par l’AFP.
Il ne parlait plus en public mais saluait les caméras présentes à chacun de ses déplacements, sourire et regard malicieux, comme lors de sa vaccination contre le Covid ou en octobre à la cérémonie célébrant ses 90 ans.
Une prière a été organisée à la cathédrale St George, son ancienne paroisse.
Des passants viennent déposer des fleurs et se recueillir.
« C’est si triste », soupire auprès de l’AFP Miriam Mokwadi, infirmière retraitée de 67 ans. « Tutu était un vrai héros pour nous, il s’est battu pour nous », dit-elle émue, tenant sa petite fille par la main.
D’autres se succédaient devant sa maison du Cap, ou encore celle que l’archevêque avait conservé à Soweto, un township de Johannesburg, selon des journalistes de l’AFP.
Perte « incommensurable »
En signe de deuil, les joueurs de cricket sud-africains ont aussi porté un brassard noir au premier jour d’une importante compétition contre l’Inde, près de Johannesburg.
« Nous pleurons sa disparition », a réagi l’archevêque anglican du Cap, Thabo Makgoba, mais célébrons « aussi la vie d’un homme profondément spirituel ».
« Il ne craignait personne (…) Il contestait les systèmes qui rabaissaient l’humanité », a-t-il rappelé, tout en pardonnant quand « les auteurs du mal connaissaient un vrai changement de cœur ».
Le Premier ministre britannique Boris Johnson s’est dit « profondément attristé » et la fondation Mandela a qualifié sa perte d' »incommensurable »: « C’était un être humain extraordinaire. Un penseur. Un leader. Un berger ».
Desmond Tutu s’était fait connaître aux pires heures du régime raciste de l’apartheid. Alors prêtre, il organise des marches pacifiques contre la ségrégation et plaide pour des sanctions internationales contre le régime blanc de Pretoria.
Sa robe lui a épargné la prison.
Son combat non-violent avait été couronné du prix Nobel de la paix en 1984.
Après l’apartheid, fidèle à ses engagements, il avait dénoncé les dérives du gouvernement de l’ANC, des errements dans la lutte contre le sida aux scandales de corruption.
En 2013, il avait même promis de ne plus voter pour le parti fossoyeur de l’apartheid: « Je n’ai pas combattu pour chasser des gens qui se prenaient pour des dieux de pacotille et les remplacer par d’autres qui pensent en être aussi ».
Parmi ses autres combats, il a aussi défendu les homosexuels — « Je ne vénérerais pas un Dieu homophobe (…) Je refuserais d’aller dans un paradis homophobe » — et milité pour le droit au suicide assisté.
La dernière fois que le pays a eu de ses nouvelles, c’était le 1er novembre. Loin des regards, il avait voté aux élections locales.
AFP